Tu fais combien d’heures ?
Le ministre de l’éducation nationale a engagé des discussions sur le métier d’enseignant. Malheureusement, la conjoncture très crispée du moment, la crainte de mouvements d’enseignants si l’on bouge un tant soit peu les choses, pourraient bien donner raison au dessin publié dans le Libération du 27 novembre où est détournée la célèbre réplique des Tontons flingueurs : « les socialistes, ça n’ose rien, c’est à ça qu’on les reconnait ».
Enlever une heure à certains, donner plus de temps devant élèves à d’autres provoque déjà des remous. J’ai reçu un communiqué du « collectif Racine », les profs sympathisants de Marine Le Pen qui défendent avec vigueur les profs de classes prépas, en citant l’élitisme républicain et se réclamant de Langevin !
Mon ami Patrice Bride a fait des propositions bien plus révolutionnaires sur le site des Cahiers pédagogiques et il récolte déjà, à travers des commentaires virulents sur certains forums, le fruit de son audace : on l’accuse de traitrise et de méconnaissance des réalités.
Permettons-nous quelques remarques sur ce sujet qui peut déchainer les passions dans le milieu professoral.
Le service des enseignants du second degré est de 15h (agrégés) ou 18h (certifiés) Aucune raison qu’il y ait cette distinction qui se justifiait au temps où les agrégés en lycée avaient des classes très nombreuses, avec beaucoup de corrections de copies. Qu’est-ce qui justifie de conserver cette différence ? La peur d’avoir une marche de 2013 avec une petite main « touche pas à mon agreg » ?
Toutes les heures se valent-elles ? D’abord, elles sont de 55 minutes. Ensuite, elles demandent des préparations différentes selon les années. Ne faudrait-il pas au fond faire un service qui serait plus réduit les premières années et un peu plus long ensuite ? Notons qu’on fait exactement le contraire au Luxembourg où au contraire on favorise les plus anciens (dans ce pays de la justice sociale si éloigné du libéralisme par ailleurs, n’est-ce pas ?) Dans la journée, on peut remarquer que les heures de fait n’ont pas la même durée (après la récréation par exemple). Certes, on ne peut pas forcément calculer tout cela, mais ça aide à relativiser la religion de l’heure de cours (avec le modèle de l’Inspection qui veut qu’on boucle en une heure, comme si cette unité avait un sens) Où sont passées les expérimentations passionnantes des années 80 sur le « temps mobile » ? Quel capital de réflexion bien oublié ? On sait par exemple qu’une heure trente ou deux heures de cours, c’est plus intéressant qu’une heure, on fait plus de choses dans un temps équivalent et on est davantage obligé de varier…
De même, les services hebdomadaires tout compris ne se valent pas d’une discipline à l’autre ou d’un niveau à l’autre. Peut-on vraiment comparer les corrections de copies d’un enseignant d’anglais de sixième et d’un enseignant de terminale ? Etre professeur principal en troisième, c’est autre chose qu’en quatrième. et pourtant, tout est compté pareil, dans une terne logique arithmétique.
Dernier point (pour aujourd’hui, car je reviendrai sur le sujet) : combien de temps les enseignants passent-ils à « travailler » ? Le SNES par exemple affirme au moins 48H. Sur toute l’année sauf les cinq semaines (mettons six) de congés payés( oui, payés, car l’idée qu’on ne paierait pas les deux mois d’été est une « légende urbaine ») ? mais surtout, je m’étonne toujours qu’on prenne au comptant ce qui n’est fait que sur la base de déclarations, comme si on prenait au comptant les chiffres syndicaux de participation à des manifestations. Je pense surtout qu’il y a une grande variabilité, mais que :
– on pourrait gagner bien souvent en efficacité, en étant mieux organisé et au fil des ans, normalement, c’est le cas. Donc, là encore, arrêtons de nous considérer comme des quasi forçats qui travaillent pour pas grand-chose, et à qui on demande toujours plus. On n’aimerait pas, par exemple, travailler le samedi après-midi comme c’était le cas lors de mes études secondaires. Tout ne se dégrade pas, donc ?
– il ne faut pas oublier que pouvoir travailler une partie importante chez soi, pouvoir souvent négocier ses horaires (l’après-midi libre, le fait de commencer plus tard le matin…), tout cela est un bel avantage. Je ne crache pas dans la soupe, c’est appréciable, mais au mons, reconnaissons-le !
Et puis, finalement, l’essentiel ne serait-il pas de rendre ces heures de travail plus plaisantes, pour qu’elles ne soient pas des corvées qui nous feraient penser que la « vraie vie est ailleurs ». Mais en disant cela, j’aggrave mon cas, non ?