Enseigner au XXI siècle

Adèle : ambition instit !

 

Je viens de voir le film La vie d’Adèle et je voudrais en parler ici évidemment non d’un point de vue cinématographique (la Palme d’or, pourquoi ? Kechiche un génie ou pas ? chef d’œuvre ou film ennuyeux ?…) encore moins d’un point de vue people (la polémique Léa Seydoux/réalisateur), mais parce que voilà encore un film français où il est question d’école (pas autant que la précédente Palme française Entre les murs, bien entendu), ce qu’on ne souligne peut-être pas assez. Et un film où me semble valorisée une orientation vers le métier d’enseignant, métier qui y apparait dans toute sa noblesse .
Auparavant, Adèle est au lycée en première . Voilà une œuvre de fiction où on ne nous montre pas des élèves ignorants, qui seraient en série L par défaut, où les élèves d’un lycée lillois suivent à peu près le discours professoral (un peu magistral, mais intéressant et faisant des ponts avec la vraie vie), où une jeune fille d’un milieu visiblement modeste où on mange surtout des pâtes  et où on ne néglige pas le gras du jambon peut trouver La vie de Marianne de Marivaux « trop bien » et réussir presque à faire lire ce gros livre à un élève (de section scientifique) plus ou moins amoureux, lui qui ne lit jamais.

Adèle parle de son orientation, de ses projets à son « amante » Emma et à la famille de celle-ci. Elle veut passer une licence de sciences de l’éducation et devenir professeure des écoles après l’IUFM. Gêne visible de la famille plutôt artiste devant la médiocrité de ce choix. Là encore pour une fois qu’au cinéma, on valorise (car on est du côté d’Adèle) de tels choix, c’est à saluer..

Et ensuite, après une ellipse assez étonnante (on suppose qu’on est sept ou huit ans plus tard), voilà Adèle devant des enfants de maternelle, qui adore son métier, qui le fait toujours avec conscience et passion, malgré ses peines personnelles qui sont intenses., qui côtoie un collectif de « collègues » dont un homme (qui aura un certain rôle dans la fiction) Adèle qui aime, dit-elle à la fin, s’occuper de ceux qui réussissent le moins bien, les plus fragiles (elle enseigne alors en cours élémentaire, je crois), y compris pendant des vacances scolaires. Adèle qui a du mal à faire comprendre à Emma que cela puisse être sa passion, que cela puisse être son horizon de vie, plutôt que de chercher à écrire je ne sais quelle autofiction ou journal intime comme lui suggère son ex-compagne.  

Tant de films ou autres œuvres fictionnelles présentent une image dégradée de l’enseignement ou très pauvre des rapports enseignants-élèves ! Au mieux lorsqu’ils évoquent un enseignant (plus souvent une d’ailleurs), ou bien c’est une malheureuse victime, ou bien sa vie professionnelle est un vague décor, un arrière-fond, loin de l’essentiel de sa « vraie vie ». Alors qu’ici la grandeur du métier d’enseignant, auprès des plus petits, est mise en avant avec beaucoup de justesse et de finesse. La passion qui anime l’héroïne pour ce métier n’est nullement un aspect secondaire, mais un trait marquant de son identité en construction.

Tout cela pour dire qu’au fond, la vie d’Adèle est un bon film de promotion pour s’engager dans la voie du professorat des écoles.

Commentaires (6)

  1. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    En réponse à « Boris ». il est bien clair qu’il s’agit d’un blog autour de l’éducation et de la formation et quand je parle d’un film, c’est en rapport avec cette entrée. Il n’était pas question de faire une analyse du film que j’ai beaucoup aimé par ailleurs et pas seulement pour sa belle vision du métier d’enseignant. Ceci dit, je ne suis pas du tout d’accord avec ce commentaire; le métier d’enseignant n’est pas du tout secondaire dans le film et l’attitude un peu méprisante de Emma vis-à-vis de ce qu’elle doit considérer comme trop trivial et inessentiel ne me parait pas être le point de vue du cinéaste. Adèle s’épanouit vraiment dans son métier et je ne vois pas ce qui fait dire le contraire. Et au début, c’est bien un enseignant qui lui fait découvrir Marivaux comme dans L’Esquive la professeure faisait découvrir « le jeu de l’amour et du hasard ». Kechiche valorise l’Ecole lorsque celle-ci amène vers la culture (rappelons aussi la fin de L’Esquive avec le jeu des enfants lors de la représentation finale, inteprétant « la conférence des oiseaux ». Je maintiens qu’il s’agit là d’un bel hommage à l’Ecole telle que beaucoup voudraient qu’elle soit, éveilleuse et ouvrant vers d’autres horizons. Nul doute que Adèle progressera (si tant est qu’elle soit une créature autre que de fiction) dans son métier . Dernier point: il n’est pas du tout question d’école dans la BD initiale, c’est bien Kechiche qui a introduit cette dimension, importante pour lui.

  2. boris_tweets

    Même si les scènes de classe sont effectivement très importantes (et très réussies—comme tout le film, qui est pour moi un chef d’oeuvre) dans La vie d’Adèle, il me semble vraiment dommage, pour ne pas dire coupable, d’aborder le travail de Kechiche uniquement sous cet angle.

    Ce qui fait la beauté de ce film, c’est la tendresse infinie avec laquelle il nous entraîne dans une histoire d’amour finalement plus banale que prévu. Ce qui fait sa force, c’est d’être un essai cinématographie sur le ‘coming-of-age’, une sorte de Catcher in the Rye du grand écran. Dand un film sur l’établissement de soi, le rapport à l’éducation est flagrant—c’est en cela que l’environnement scolaire est non seulement logique, mais en plus utile pour la narration. L’école, par la diversité des savoirs et des personnes qu’on y rencontre, par la liberté de mouvement qu’elle procure de fait, c’est un champ des possibles infini, beaucoup plus riche pour un personnage troublé, comme l’est Adèle, que, par exemple, un environnement familial qui serait par nature beaucoup plus manichéen. Les professeurs ne sont d’aucune aide à Adèle, dans ce film, sans parler des autres élèves, qui, pour la plupart, lui barrent la route de l’émancipation. Une fois elle-même devenue professeur, Adèle n’est pas intégrée à la vie des enseignants (qui le lui font d’ailleurs remarquer), puisque sa vie, à elle, c’est Emma. Et quand Emma insiste sur le peu de considération qu’elle a pour le choix de vie d’Adèle, cette dernière décrit son couple, et non sa carrière, comme la condition de son bonheur, la pièce centrale sans laquelle tout s’écroule. C’est ce que l’on verra une fois Emma partie et Adèle laissée à ces danses en ronde qu’elle vit comme une punition et qu’elle n’arrive pas à prendre à coeur, elle qui l’a pourtant à vif.

    Clairement, avec ce film, Kechiche veut dire quelque chose sur l’enseignement—la mention de La Princesse de Clèves n’est qu’un seul des indices que le réalisateur à semés pour nous le faire comprendre. Toutefois, l’école est dans La Vie d’Adèle plus un élément narratif qu’un sujet de réflexion ; la réalité des classes n’est d’ailleurs pas présentée comme particulièrement satisfaisante ou enrichissante (Adèle lit pour son plaisir, en dehors du programme imposé). Comme l’oublient souvent les professeurs, il y a une grande différence entre l’Education Nationale et l’éducation tout court. C’est cette dernière qui est le sujet du film de Kechiche, pas l’image des enseignants où le désir de faire carrière dans un métier qui, malheureusement, n’est pas assez valorisé dans le débat public. Mais c’est un autre débat !

  3. Caroline ROUSSEAU

    Je n’avais pas eu envie de voir ce film à sa sortie, Palme d’or ou pas, peut-être à cause de tout le « foin » qui en a été fait. Mais, forcément, à lire ce billet de JMZ, je vais aller le louer à Video Futur en bas de chez moi ; )

  4. Dupont Hervé

    Il y a très longtemps aux CRAP, j’admirai la justesse d’analyse de Jean-Michel, et je ne suis pas déçu cette fois encore; j’avais également retenu en sortant de la projection de ce film les scènes où Adèle maintient et explicite son projet de devenir institutrice et lorsqu’elle enseigne en maternelle puis au CE1(?). Les arguments employés par Adèle pour défendre son métier révèlent qu’elle(et donc Kéchiche) a une haute conception de l’école et de l’acte d’enseigner; les scènes de classe sont d’une justesse de ton assez peu courante et le réalisateur décrit parfaitement les rapports entre l’enseignante et ses élèves dans ces 2 séquences de classe; mais il y a une évolution entre ces 2 moments; autant Adèle est à l’aise dans sa classe maternelle autant elle éprouve quelques difficultés à capter l’attention de ses élèves en CE1, ayant du mal à vivre la rupture amoureuse. Kéchiche traite cette scène avec beaucoup de réalisme et aussi beaucoup de délicatesse et il montre combien le métier d »enseignant peut être difficile et demande une présence « sur le terrain » de tous les instants. Mais Adèle tiendra bon, malgré le vide de sa vie. je suis complètement d’accord avec Jean-Michel qui trouve que trop peu de films, reportages, écrits donnent une vision aussi juste, pertinente de ce qui fut (et est toujours)pour certains plus qu’un métiers mais un engagement de toute une vie.

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  6. Dominique Deconinck

    A la sortie du film « La vie d’Adèle », j’ai ressenti une vague satisfaction en tant qu' »instit », comme un sourire en coin. Je n’ai pas pris le temps d’y réfléchir vraiment, mais je sais que j’ai dit tout de suite à la personne qui m’accompagnait : »J’ai adoré les scènes de classe ». Cela tournait dans ma tête, je repensais à ces ados modernes réfléchissant à Marivaux, (petit clin d’œil malin que cette allusion à la princesse de Clèves !), à Adèle en maternelle, son langage, les affichages derrière elle, les réactions des enfants tellement bien vues (la scène du dortoir est troublante de réalisme), le malaise d’Emma face à ce choix professionnel (du vécu…), la fougue sincère d’Adèle quand elle évoque les élèves qui ont du mal (je suis maître E, alors forcément…). Mais ces ressentis brouillons, fugaces, satellites, se sont retrouvés évoqués avec justesse, précision, force argumentation, dans le billet de monsieur Zakhartchouk. Une vraie jubilation que de lire ces (ses) mots, que de découvrir cette analyse simple et pourtant si forte, si importante. Et de me dire toutes les deux lignes « C’est tellement vrai… ». Alors, modestement, j’ai « partagé » ce billet via Facebook autant que j’ai pu, avec un sentiment de fierté d’être instit. Et puisque je serai invitée de l’émission « Rue des écoles » ce mercredi sur France Culture, si le cours de l’échange me le permet, je tâcherai de citer la référence à ce film, puisqu’il s’agira du bonheur d’enseigner !

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