
le dossier que je viens de co-coordonner: apprendre à chercher, essentiel!
Je suis souvent surpris qu’on oppose deux camps : ceux qui seraient pour la transmission des connaissances et ceux qui seraient des tenants de (au choix) la pédagogie, la construction des savoirs, l’épanouissement de l’enfant à l’école. Faussement surpris car je sais bien qu’il s’agit d’une opposition polémique qui veut réduire le champ des débats sur l’école à une opposition binaire qui en réalité est biaisée.
En fait, je me perçois comme tout à fait attaché à une transmission des connaissances, mais celle-ci ne peut se faire sans pédagogie, sans reconstruction des savoirs et n’est en rien contradictoire avec un épanouissement de la personne apprenante.
Transmettre ne peut être un acte unilatéral. Enseigner, c’est bien s’assurer que la transmission s’opère, ce qui veut dire que l’élève s’approprie des connaissances avec ses représentations propres, son histoire, son identité sociale et culturelle laquelle peut se transformer au contact des savoirs mais lentement et parfois de façon tortueuse et surprenante. Ceux qui défendent « l’instruction » au fond pensent que la tâche de l’enseignant se termine quand celui-ci a « bien enseigné » alors qu’elle ne fait que commencer, ou plutôt qu’elle n’a de sens que si les savoirs sont assimilés, c’est-à-dire mis en œuvre, mis en pratique. La pédagogie active, qui implique les élèves, qui utilise des dispositifs dont le cours magistral peut être une composante d’ailleurs (et l’est à un moment donné), est la seule manière de rendre effective la « transmission ». J’avais écrit il y a quelque temps un ouvrage baptisé volontairement Transmettre vraiment une culture à tous les élèves. Même si le mot « vraiment » ne dit pas grand-chose sur ce qui doit être pratiqué, il indique en tout cas que la volonté de transmettre ne suffit pas. Pour moi, par exemple, prendre au sérieux la transmission culturelle signifie utiliser toutes les ressources de la pédagogie, toutes les astuces du « professeur passeur culturel » pour jeter des ponts entre les cultures familières aux élèves et la culture dite classique. Oui, les pots de yaourt La laitière peuvent être utilisés pour introduire à Vermeer, oui, comme le chantait Ferrat « je twisterai les mots/ s’il fallait les twister »…
Je pense que la formule « construction des savoirs » employée par ceux qu’on appelle de façon parfois confuse « constructivistes » (un mot polysémique employé dans d’autres contextes), n’est pas bonne sur le plan de la communication. Le mot fait penser que l’élève va reconstruire de lui-même tout un savoir alors qu’il vaudrait mieux parler d’une appropriation qui passe par moments par une fiction de reconstruction (se mettre dans la posture d’un écrivain pour écrire, expérimenter en sciences à la manière d’un chercheur, etc.)
Mais le problème est aussi de savoir ce qui se transmet. Les connaissances ne sont pas des objets, qu’on « possède » et j’insisterai encore sur la nécessité de surtout transmettre des « liens ». Quand un élève sait relier des connaissances entre elles, là commence le savoir. Sinon, l’école est un vaste « Questions pour un champion », et c’est ainsi que trop d’usagers se l’imaginent en fin de compte. Prendre au sérieux les savoirs (mot sans doute préférable à « connaissances ») est bien plus exigeant que ce que font croire les adversaires de la pédagogie active, ou alors que ceux-ci admettent qu’ils sont finalement élitistes. Car, ou bien les élèves ont été préparés, par leur milieu culturel, à recevoir passivement un savoir et celui-ci est réservé à un petit nombre, la pédagogie n’étant alors plus aussi indispensable (encore que…), ou bien les élèves ne le sont pas et au mieux ( ?) ils retiendront par cœur des savoirs vite oubliés, dont ils ne feront rien pour la plupart.
L’école démocratique, de la réussite, a besoin de la pédagogie et les enseignants dans leur formation ont besoin de s’approprier des techniques, des manières de faire qui rendent la transmission possible. Finalement, je revendique pleinement d’être un vrai défenseur des savoirs et de la culture, bien plus que ceux qui s’en gargarisent ou préfèrent s’envoler au milieu d’effusions lyriques, car concrètement, je prends en compte les élèves tels qu’ils sont et tels que l’acte d’enseigner-faire apprendre les change. J’essaie du moins…
Actuellement tous les professeurs se sont dirigés vers la facilité en devenant évaluateurs. La transmission des savoirs est une vertue perdue ( donc à protéger).
Pingback: Un professeur est-il un « transmetteur de...
Pour le coup, je ne peux que vous rejoindre : l’une des difficultés étant la transposition cognitivo-didactique (si vous avez des infos là dessus, je suis preneur, si vous avez compris ce que j’essayias d’écrire) : construire un savoir est évidemment un acte individuel et cela fait très longtemps que les hommes le disent, de manière plus ou moins étayés et démontrés. La difficulté est d’incorporer cette notion dans une leçon : en sciences physiques, de tp top, démarche d’investigation, taches complexes, toutes ces démarches ont à travers l’histoire récente de la didactique émaillées les méthodes conseillées ça et là…avec plus ou moins de bonheur… ce n’est pas forcément le constructivisme qui pose problème à ses détracteurs (amha)…
J’ajouterai juste, même si ce n’est pas l’objet du billet, que le cognitivisme (et plus particulièrement le constructivisme) s’il est une voie indispensable à la pratique pédagogique, n’en est qu’un des rouages … Il est fort dommage que des positions sectaires aient été prises et soient trop souvent relayées dans la presse. Comme bien souvent, la vérité est plus central et je trouve que votre billet en fait particulièrement bien état.
Loic Bonnas
Discussion animée en salle des profs cette semaine : une jeune professeur des écoles stagiaire planche sur un sujet « L’élève doit-il construire de lui-même tous ses savoirs ? ». Elle demande notre avis. Traduction du sujet au milieu de la nuée de profs : « Leçon traditionnelle/frontale ou pas ? ». J’y retrouve la problématique de JM Zackartchouk dans ce billet. Je l’imprime et le pose sur la table demain ! Et j’adhère : C’est l’alchimie de multiples dispositifs agencés avec soin (dont à un moment du frontal, pourquoi pas, à côté de situations relevant du dépassement d’obstacles, du débat argumenté… ) qui, petit à petit, fait avancer l’élève en train d’apprendre, qui se sent, doucement, « de plus en plus intelligent » (parole d’un élève de 9 ans…). Le pédagogue est un alchimiste…
Pingback: La complexité et ses limites ( à propos du centenaire de 14-18) | Enseigner au XXI siècle
Je ne comprends pas pourquoi vous dites que « ceux qui défendent l’instruction » s’arrêtent au moment où ils pensent avoir « bien enseigné ».
Une pédagogie fondée sur des progressions de connaissances, bien pensées et cohérentes (que rejettent bien des « constructivistes ») permettaient justement de ne pas confondre fin de la leçon et acquisition du savoir. Dans ce genre de progressions, l’élève a toutes ses chances de comprendre ce qu’il n’a pas encore compris, puisque toute connaissance est vue et revue, de manière plus approfondie, sous différents angles, en lien avec toutes sortes d’autres connaissances ( en cela, je souscris entièrement à votre remarque : « Quand un élève sait relier des connaissances entre elles, là commence le savoir. Sinon, l’école est un vaste « Questions pour un champion », et c’est ainsi que trop d’usagers se l’imaginent en fin de compte. »)
Il me semble que c’est le contraire qui se passe dans l’enseignement par « séquences », qui passe un temps très long sur un ensemble identique de connaissances, pour ensuite passer à un autre.
Mais peut-être amalgamé-je trop rapidement pédagogie active et usage de la « séquence pédagogique ».
Mais alors, comment se fait-il que des « instructionnistes » (vilain mot) comme les instits du GRIP refusent l’évaluation formalisée en maternelle, alors que des « constructivistes » bon teint la pratiquent ?
PS : en lien, une leçon d’histoire en cycle II à la fois « instructionniste » (beurk), « active », et qui laisse les élèves suivre à leur rythme :
http://doublecasquette3.eklablog.com/histoire-en-cycle-ii-a103095359
Signé bad wolf, professeur de français, membre du GRIP (pour mon nom, vous le trouverez dans l’adresse mail à laquelle vous devez avoir accès.)
La parabole du bon vin et du pédagogue :
Regardons une bonne bouteille de vin : on peut ne pas toucher au vin, personne n’en profitera. On peut verser la bouteille dans un verre. Deux solutions, on se préoccupe du verre, et quelqu’un pourra boire le vin. On ne se préoccupe pas du verre, et il y a de fortes chance que le vin soit versé à côté du verre, et se perde.
Pour boire du bon vin, il faut avoir la bouche au bon endroit ! J’ajoute que le bon vin se sert en premier, comme nous l’indiquent les Noces de Cana. Ce qui fait problème, dans ce tableau et dans cette histoire, c’est que le Christ, en changeant l’eau en vin, apporte le bon vin à la fin du banquet, ce qui est une faute de goût ! A la fin d’un repas, on ne sent plus rien !
Voir le sommelier, à droite, en bas, se posant des questions !
Bon anniversaire.
Très bon billet. J’adhère complètement.
Sur l’expression « construction des savoirs », si elle n’est pas opportune niveau « communication » (parce qu’elle a été largement dévoyée et caricaturée), elle me semble pourtant tout à fait correcte au niveau du sens.
Il est bien évident qu’il ne s’agit pas pour les élèves de reconstruire tout un corpus de savoirs qui a mis des siècles à émerger. En revanche, le terme de « construction ». J’aime bien l’idée de moments de « fiction de reconstruction » pour ce que l’enseignant peut mettre en place.
En revanche « l’appropriation » passe, à mon avis, par une construction interne. Elle part bien sûr de l’existant et de l’apport de ces moments de « fiction de reconstruction » et des interactions sociales qui en découlent en créant, comme exprimé dans le billet, des ponts entre ce qui est propre aux élèves. Parfois, et même souvent, en cassant des représentations et en opérant des ruptures qui ne peuvent se faire que dans l’action et dans l’interaction. Et donc, en effet, l’aspect unilatéral ne peut être satisfaisant.