Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
Une citation d’Andromaque pour évoquer ce « collectif Racine » qui s’est constitué il y a quelques semaines et envoie régulièrement des communiqués pour affirmer à la fois son adhésion à une prétendue tradition républicaine qui au besoin se réclame de Clémenceau ou de Jaurès…et une sympathie très grande pour les idées de Marine Le Pen dont il se réclame. Récemment, ce collectif, après avoir jeté un anathème contre les pédagogistes destructeurs de l’Ecole, européistes et autres mondialistes, a lancé un appel à le rejoindre à trois intellectuels, dont ils se sentent proches. Il est vrai que Brighelli, le premier, est toujours prompt à défendre l’élitisme et à pourfendre l’Ecole « fabrique de crétins » dans une langue méprisante et en n’hésitant pas à utiliser des jeux de mots faciles dont j’ai été moi-même victime d’ailleurs. On ne sait pas bien ce qu’en pense l’intéressé, qui , il est vrai, a toujours oscillé entre l’extrême-gauche dont il est issu et une droite autoritaire qui finalement lui va très bien, navigant de 2007 à aujourd’hui entre Sarkozy, Bayrou et donc pourquoi pas demain Le Pen ? Alain Finkielkraut, on le sait, est sur une pente glissante et on ne sait plus très bien en quoi il se démarque sur certaines questions du Front national dont on aimerait qu’il abhorre autre chose que la vulgarité ou les excès. Quant à Michéa, il est l’exemple de l’intellectuel pessimiste qui donne des leçons à la Gauche et nous propose en dénonçant le « complexe d’Orphée » de ne pas avoir peur de nous tourner vers l’arrière, tant pis au fond si on sacrifie Eurydice. L’a-t-on déjà entendu dire du mal de l’extrême-droite ?
Peu importe au fond cet appel qui ne sera sans doute pas suivi d’effets. Peu importe ce que représente vraiment en quantité ce collectif. Se réclamer de Marine Le Pen pour un universitaire, pour un enseignant, me parait honteux, pour le dire clairement. Oui, on a connu dans le passé ces errements qui faisaient que le grand Stefan Zweig s’est même laissé aller un temps à « comprendre » l’exaltation de la jeunesse devant les promesses du Parti national-socialiste (comme d’autres « comprennent », au sens de « avoir de la compréhension » ceux qui sont séduits par les populistes réactionnaires). Il faut lire les belles pages de Klaus Mann dénonçant dans les années 30 cette démission des intellectuels séduits par un parti qui semblait permettre une renaissance de l’Allemagne (voir notamment son roman Méphisto). On a connu des intellectuels italiens saluer le Duce, qui, lui aussi devait permettre la renaissance de l’Italie. Et aujourd’hui en Europe, il est aussi de ces intellectuels, de ces universitaires qui peuvent soutenir les pires partis populistes ou le gouvernement hongrois par exemple dans son entreprise nationaliste et liberticide.
Mais bien sûr, être « mariniste » (sic), ça n’a rien à voir, n’est-ce pas avec le fascisme, avec l’extrême-droite ! Revoir les manuels scolaires en excluant tout ce qui n’est pas « glorieux » ou soi-disant tel dans l’Histoire de France, organiser une sélection impitoyable à la fin de l’école primaire, écarter l’apport des migrations et concrètement sans doute tout ce qui rappelle des origines qui ne sont pas des « racines » gréco-romaines ou gauloises (on peut choisir), tout cela ne gêne pas nos intellectuels, issus pour certains d’une tradition de gauche dévoyée, ce qui me fait dire d’ailleurs que lorsqu’on brandit le mot « républicain » en l’opposant, comme cela a été fait, à « démocrate », on est bien sur la mauvaise voie.
Je pense que soutenir un tant soit peu un Front national qui n’a pas changé sur le fond, qui est prêt à utiliser les mêmes méthodes que le parti du père fondateur malgré les exclusions de membres maladroitement trop visibles dans leur racisme, c’est pour un citoyen, qui plus est instruit et cultivé, un vrai déshonneur. J’avais envie d’exprimer cela en cette toute fin d’année qui a, hélas, été profitable à ce parti dont on n’a pas envie qu’il démontre son incompétence en exerçant un quelconque pouvoir. En espérant que 2014 ne lui sera pas encore plus favorable. Et en réfléchissant au meilleur moyen de le combattre, et surtout de combattre ses idées, y compris lorsqu’elles sont déguisées derrière des soi-disant valeurs républicaines. Car comme le dit La Fontaine, il faut se méfier des serpents qui, tenus au chaud, se réveillent et savent alors se montrer agressifs, sous leur vrai jour (« L’animal engourdi sent à peine le chaud,/Que l’âme lui revient avecque la colère./Il lève un peu la tête et puis siffle aussitôt… »
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