En maintes occasions, on entend des personnalités diverses, dans le monde médiatique notamment, développer la théorie du « ruissellement ». Si les riches s’enrichissent, tout le monde en profitera et peu à peu les crises s’effaceront, le bien-être se généralisera, les plus pauvres auront donc tout à y gagner ! Je caricature à peine. Les défenseurs de l’élitisme en matière éducative font d’ailleurs de même : aider l’élite à être toujours plus performante ne peut que profiter à tout le système, et donc aux plus fragiles. L’égalité, appelée fréquemment « égalitarisme » ne peut être que trompeuse, car elle est synonyme de nivellement par le bas, d’appauvrissement et en fin de compte pourvoyeuse d’effets pervers destructeurs (comme je le disais dans mon premier billet de blog, la théorie de l’effet pervers est toujours un bon filon pour la pensée réactionnaire)
Or, voilà qu’un ouvrage très solide, très documenté, pas partisan à priori, mais fondé sur des études nombreuses, rigoureuses et capable d’affronter la contre-argumentation, dit exactement le contraire.
Pour Richard Wilkinson et Kate Pickett, dans « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous », ouvrage publié en anglais en 2010 et plus récemment traduit aux éditions [Les petits matins], l’égalité est bénéfique pour tout le monde. A travers de multiples courbes et études statistiques, ils montrent , eux qui sont des épidémiogistes au départ, comment, dans les pays développés, l’avantage va aux pays plus égalitaires sur le plan de la santé physique et mentale, de l’école, de la tranquillité publique, du respect de l’environnement, du sentiment de bonheur, etc. C’est vrai aussi quand on compare des états américains entre eux. Cela se perçoit géographiquement (avantage pour les pays scandinaves ou pour le Japon), mais aussi historiquement (quand un pays devient plus inégalitaire, la santé se dégrade par exemple, ou la longévité, comme aux Etats-Unis). Ce qui est le plus étonnant et fait l’originalité de la thése développée, et cela étonne même les auteurs, c’est que y compris la partie de la société la plus favorisée pâtit de la montée des inégalités, et pas seulement ceux qui en sont les premières victimes.
Je conseille vivement la lecture de ce livre qui fait du bien. La partie propositions qui prône le développement de la coopération sur le plan économique est un peu rapide et plus faible, mais ce n’est pas le plus intéressant du livre. Ce qui emporte l’adhésion, c’est cette insistance des auteurs à examiner les objections et une postface s’attarde à répondre à celles qui sont apparus après la première édition de l’ouvrage. Comme le dit Pascal Canfin, un ministre pour qui j’ai un faible, « une fois que vous aurez lu ce livre, il sera difficile de vous convaincre que plus les riches sont riches plus les pauvres vivent mieux »
On peut aussi dire que l’ouvrage confirme ce qu’on a pu développer concernant les systèmes éducatifs :les systèmes les plus performants sont aussi des systèmes qui font le moins de différences, ne sélectionnent pas précocement, etc. Même si pour les pays dits émergents, les choses sont un peu différentes, comme le soulignent nos deux compères britanniques.
Bref, l’égalité peut faire jaillir des bienfaits, parfois inattendus. Il est temps donc de lutter contre ce scandale qui fait que l’école française semble encore plus inégalitaire que ne l’est la société…
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