Enseigner au XXI siècle

Verre au ¼ plein ou aux ¾ vide ?

 

Quand une réforme est saluée par l’ensemble des organisations représentatives d’une profession, on est partagé : doit-on être ravi devant le consensus, saluer un « bon compromis » et qualifier d’ « avancée » ce qui vient d’être établi, ou au mieux réservé, et pour le moins sceptique : si tout le monde est content, ne s’est-on pas « contenté » (c’est le mot) d’une réformette qui n’engage pas à grand-chose, qui ne change pas grand-chose et pourrait bien alors remettre aux calendes grecques (ou les calendes du « Grand Soir ») les vrais changements que beaucoup espèrent, y compris parmi les signataires de l’accord en question ?

C’est bien la question qu’on se pose après l’accord sur le métier d’enseignant du second degré du 12 février. Pour Vincent Peillon : « l’intégralité des missions des enseignants du second degré sera désormais reconnue et traduite dans un texte réglementaire qui remplacera les décrets de 1950 et dont l’application sera effective à la rentrée 2015. » Ce texte prévoit notamment que « la mission d’enseignement est réaffirmée dans le cadre des obligations de service actuelles », mais que les enseignants exercent d’autres missions, préparation des heures d’enseignement, suivi et évaluation des élèves, mais aussi « travail en équipe » et  « relations avec les parents ». De plus, « certains enseignants peuvent être amenés à effectuer des missions complémentaires », rémunérées « sous forme indemnitaire » ou par un allègement du temps d’enseignement.

Les principaux syndicats trouvent dans l’accord ce qui les arrange. Le SNES et le SNALC sont satisfaits, car on abandonne toute idée d’horaire global, par exemple annualisé, on maintient fermement l’idée d’horaire hebdomadaire, on limite la bivalence aux volontaires seuls, on continue à raisonner en heures d’enseignement.
Les syndicats « réformistes », SGEN et SE-UNSA , considèrent qu’il y a eu une brèche dans la définition traditionnelle du métier, puisqu’on reconnait la diversité des tâches, qu’on envisage comme faisant partie du métier un certain nombre de missions, que le « conseil pédagogique » (cet organe consultatif des collèges et lycées qui dans bien des endroits n’existe pas, et que les syndicats corporatistes font tout pour vider de tout contenu) aura un rôle accru à jouer dans la fixation des missions de chacun.

Je comprends bien que dans le contexte actuel, alors même que toutes les cartes ont déjà été jouées à l’avance (les 60 000 postes, promesse peut-être inopportune sous cette forme avant l’élection présidentielle, quand on aurait pu faire du donnant-donnant intelligent), après le catastrophique cafouillage autour des classes prépas, il n’était guère possible d’aller plus loin.

Mais on est bien loin de ce qui contribuerait à transformer l’école française, notamment un système moins rigide, sans doute annuel, avec des gestions de missions différenciées selon les établissements, selon ce que décideraient en partie les équipes localement. On pourrait imaginer un noyau dur intangible d’heures de cours (ou d’enseignement, sous des formes variées) et une large marge d’autonomie où  par exemple on concentrerait des heures d’accompagnement en début d’année où elles sont plus nécessaires que les heures très théoriques de mai-juin, où on pourrait faire cours à deux enseignants sans que cela compte seulement pour une heure divisé par deux, si cela se situe dans le cadre d’un projet exigeant, où on pourrait sans avoir à consulter par exemple l’Inspection (cela se fait malheureusement) regrouper des heures d’arts plastiques ou de musique au moins tous les quinze jours ou trouver des formules plus audacieuses.  On pourrait aussi imaginer des formules diverses qui échappent à la logique binaire : ou on enseigne une discipline ou on est bivalent. Quelque chose d’aussi modeste que la gestion par l’établissement de la moitié de l’horaire d’éducation civique  (pouvant donc être effectué par le professeur de français ou d’EPS, ou de SVT) dans les années 90 n’a jamais pu se mettre en place. Ou encore l’idée de projets interdisciplinaires qui auraient mis en œuvre des heures tournantes chaque semaine pour toutes les disciplines concernant la lecture. Prévu par la réforme du collège lancée par Ségolène Royal en 1998, jamais appliqué. Il est vrai que cela impliquerait partiellement un renoncement à la sacro-sainte « liberté pédagogique » au profit peut-être d’une responsabilisation des équipes, dans une conception moins individualiste et libérale du métier.

Restons optimistes cependant, engouffrons-nous dans la brèche, en en faisant une faille spatio-temporelle qui va nous permettre de retrouver des périodes de forte créativité pédagogique et d’innovations avortées, celles qui reposent dans les cimetières des réformes abandonnées ou mort-nées : les itinéraires de découverte de la fin des années 90, les organisations mobiles du temps scolaire des années 80, les projets d’établissement  dans l’esprit de leurs initiateurs des années 80, ou même des expérimentations plus anciennes  des années 70. A chaque fois, un nouveau métier s’y dessine, plus adapté aux élèves tels qu’ils sont aujourd’hui, rendu encore plus nécessaire à l’heure du numérique.
Un tout petit pas en avant, pendant que vocifèrent les partisans des grands pas en arrière, notamment de ceux qui clament que l’école n’est faite que pour « instruire » en oubliant ce qu’ils avaient pu dire auparavant ou qui remettent en cause globalement l’école publique en rêvant d’examens d’entrée et de blouses grises pour les garçons, roses pour les filles…

 

A venir, d’ici la fin de l’année, un dossier des Cahiers pédagogiques sur le sujet. Et des textes plus anciens pour patienter.

Commentaires (2)

  1. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    Je ne suis pas en désaccord. Il faut à la fois s’emparer des opportunités, même tenues, de faire avancer les choses, mais le rôle d’un blog où la parole est moins « institutionnelle » est aussi de pointer les insuffisances et le danger du « changer pour ne rien changer ». Je pense que la métaphore du verre non pas à moitié plein mais au mieux un quart est justifié. Mais heureusement qu’il y a le sgen, auquel je suis fidèle depuis en gros quarante ans!

  2. Claudie PAILLETTE

    Oui Jean Michel, chacun y voit ce qu’il a a cœur de défendre, et pour le SGEN CFDT, même si ce n’est pas le grand soir de la révolution pédagogique et de la transformation radicale du métier que nous appelons de nos vœux, l’avis que nous portons sur ces propositions est fondamentalement qu’elles ouvrent des coins dans un système figé. Coins dont les équipes pourront – ou pas – s’emparer. Choisir des coordonnateurs de cycles plutôt que des coordonnateurs de discipline sera possible.
    Obliger l’inscription dans le service de l’accompagnement ou du tutorat collectif.
    C’est vrai que le projet d’établissement est souvent une coquille vide , mais qu’il soit cité comme limite à la « liberté » pédagogique ouvre aussi un fondement juridique aux décisions collectives prise par les équipes dans le cadre de celui ci.
    C’est vrai que les conseils pédagogiques sont trop souvent absents (d’une manière complétement illégale d’ailleurs puisque qu’ils sont dans le code de l’éducation… la faute à qui ?), mais plus ils devront faire des propositions sur des domaines variés, plus ils seront instaurés et réunis.
    C’est vrai que tout reste a faire dans la future réforme du collège, et c’est vrai que d’autres batailles vont se jouer autour du travail du Conseil Supérieur des Programmes
    Mais si on veut avancer, il faut aussi partir du réel et acter à chaque pas ce qui peut l’être. Notre rôle de syndicaliste c’est d’agir sur le réel: proposer, négocier, acter les avancées, porter de nouvelles revendications…
    20 ans de pilotage d’établissements scolaires me donne la certitude que c’est en gardant le cap sur les objectifs auxquels on ne saurait renoncer, mais à force d’étapes intermédiaires que l’on réussira à progresser.

    Alors oui, moi qui suis une éternelle optimiste et qui porte la conviction qu’on peut faire bouger les lignes dans les établissements, j’ai choisi de voir le verre 1/4 plein….

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