Propositions Fillon sur l’école, suite…
Je poursuis mon analyse des propositions de François Fillon, en abordant comme promis les trois autres thèmes : la formation des enseignants, les modes de gouvernance et un point particulier sur le numérique.
La formation
Il est vraiment bien regrettable, comme je l’ai déjà exprimé, que les leaders de droite soient aussi peu sensibles aux besoins d’une formation vraiment pédagogique des enseignants. Il pourrait pourtant y avoir des consensus sur le sujet, comme il en existe dans certains pays développés. En Finlande, la formation des enseignants continue à être de haut niveau, avec une part très forte donnée à la pédagogie, et pourtant le gouvernement actuel est très libéral et bien plus proche de l’UMP que de la gauche française. On en reste avec Fillon à une conception consternante du compagnonnage ou alors de l’application mécaniste de recherches dites scientifiques, entre la ligne Darcos et la ligne de Robien en sorte.
Que dit Fillon ? Il constate que les enseignants sont mal préparés à la transmission du savoir aux élèves en difficulté. Soit. On pourrait élargir et dire qu’ils sont mal préparés à les faire apprendre, à les motiver, à gérer des classes, ce qui va bien plus loin que la « transmission du savoir ». Mais quelle est la réponse : d’un côté la « liberté pédagogique » (déjà évoquée sur ce blog et qui est une notion bien floue, surtout si elle ne s’accompagne pas de l’esprit de responsabilité), de l’autre la « sensibilisation aux approches scientifiques du comportement et du fonctionnement de l’enfant lorsqu’il apprend. » Loin de moi l’idée qu’il ne faudrait pas une telle sensibilisation, mais d’une part, indiquer cela comme seule réponse est réducteur et surtout si cela se fait sur le mode de l’ « application » et non à travers débats, aller-retours théorie-pratique, si on n’articule pas ces approches avec le nécessaire « bricolage pédagogique », tout cela sera vain , voire désastreux.
On nous parle aussi d’un rôle nouveau de l’Inspection. Je salue l’idée assez révolutionnaire des quelques heures d’enseignement qui seraient à effectuer par les inspecteurs. Chiche ! Mais les missions des inspecteurs seront « d’aider l’enseignant à traiter les difficultés scolaires, à asseoir son autorité, à respecter les programmes. » Pas de l’inciter à se former, pas à développer des pratiques innovantes. Le « respect des programmes » à l’heure où le Conseil supérieur des programmes relativise ceux-ci et prône une approche plus axée sur les curricula, est assez dérisoire…
La gouvernance
Fillon prône une autonomie accrue des établissements et avance l’idée, qui personnellement me parait intéressante de la dissociation, en vigueur dans les établissements agricoles, entre chef d’établissement et président du conseil d’administration. Que nous dit-on plus précisément? Citons le discours de Fillon :
« Chaque établissement public d’enseignement a un projet annuel d’action adapté à la situation locale associant l’ensemble de la communauté éducative – notamment les enseignants et les parents d’élèves. Ce projet peut comporter une part d’expérimentation à laquelle l’autorité académique ne pourrait s’opposer que pour un motif sérieux. Chaque établissement choisit son dispositif d’accompagnement des élèves (programmes d’aides, travaux interdisciplinaires, etc.). »
On peut à la fois approuver certains éléments et, contrairement à ce que pensent les jacobins invétérés et les défenseurs inconditionnels de l’Etat contre le local, je pense aussi qu’une autonomie accrue serait facteur de progrès et de dynamisme. Mais, deux remarques :
– rien n’est dit sur le nécessaire développement dans les établissements du travail d’équipe, des conseils pédagogiques, des modes de travail internes ; dès lors il est à craindre qu’il s’agisse davantage de l’autonomie des chefs
– le seul pilotage envisagé par le national serait alors dans l’évaluation des résultats, comme si l’autonomie accrue n’imposait pas un vrai pilotage, qui n’aurait rien à voir avec les contrôles tâtillons et bureaucratiques (du genre : les programmes sont-ils respectés et les apparences sauves)
Notons au passage qu’on ne nous dit rien sur la nécessité de la mixité sociale, et encore moins de l’éducation prioritaire et de la centration sur les élèves les plus fragiles. On est loin d’une vision « finlandaise » où les meilleurs établissements sont ceux qui font réussir les plus faibles.
Terminons par la conception qu’a Fillon du numérique.
Je note un grand écart entre la justesse du constat :
« Le défi (du numérique) est culturel car il faut apprendre à maîtriser et à hiérarchiser le flot des informations qui est à portée d’un clic. Et le défi est pédagogique car on ne fera pas la classe de la même façon lorsqu’élèves et professeurs auront en permanence accès aux ressources numériques. »
On s’attendrait alors à une remise en cause nécessaire de la pédagogie traditionnelle, des modes classiques de transmission « du » savoir, à l’absolue urgence de former les élèves à des compétences de recherche, de tri, de vérification de l’information, dans une démarche associant les disciplines et les centres documentaires.
Or, la conséquence du développement du numérique serait très techniciste :
« Je propose que des spécialistes de l’utilisation pédagogique des outils numériques soient appelés à travailler par vacation dans les établissements pour aider les professeurs à utiliser le numérique, en commençant par l’enseignement des langues vivantes. »
Pourquoi les langues vivantes, d’ailleurs, mystère ? Mais surtout on a l’air revenu au temps des formations « Informatique pour tous » : des techniciens envoyés dans les établissements pour une utilisation du numérique, une manière bien simpliste d’envisager les choses à l’heure où on nous parle de classes inversées, de MOOC, d’élaborations d’outils vraiment interactifs. La pauvreté de la réflexion ministérielle sur les usages du numérique est souvent, hélas, consternante là encore.
Donc, avec ces propositions qui ont l’air plus raisonnables ou plus acceptables que celles du grand rival de l’UMP, on est loin d’avoir un ensemble à la hauteur des défis de l’école de demain, au-delà des débats possibles sur le statut des enseignants ou sur l’importance des moyens, de la taille des classes ou du salaire des enseignants. On est quand même bien loin de la pédagogie du futur qui permettrait aux inégalités scolaires de reculer et à l’école française de ne pas s’enfoncer dans la médiocrité…