François Fillon vient d’émettre des propositions pour l’école, qu’on peut retrouver sur son blog. L’hypothèse que cet ancien ministre de l’Education qui n’aura guère laissé de souvenirs impérissables de son passage rue de Grenelle, joue un rôle majeur dans la vie politique française dans les prochaines années n’est pas totalement invraisemblable, d’où l’importance de prendre au sérieux ces propositions, que je voudrais ici décrypter autant par ce qu’elles contiennent que par ce dont elles ne parlent pas…
Avant de démarrer cette analyse, je voudrais nuancer ce que j’ai dit plus haut : pas de souvenir impérissable… C’est pourtant sous Fillon qu’est né officiellement le socle commun de connaissances et compétences. Mais je me rappelle cette cérémonie de la Sorbonne où la Commission Thélot remettait son rapport , base du futur socle, le ministre avait l’air bien peu enthousiaste. On le verra plus loin : sa conception a minima du socle indique bien qu’il est loin de revendiquer l’esprit de cet outil d’une révolution copernicienne de l’Ecole. Et d’ailleurs, il a failli obtenir alors qu’on supprime le mot « commun », comme le raconte Claude Lelièvre , le socle étant pour lui ce qu’on lui reproche parfois : un kit des soi-disant essentiels pour les plus en difficulté.
Je ne vais pas reprendre toutes les propositions qui sont faites, qui vont de points de détail à des aspects qui touchent l’essentiel, mais me concentrer sur cinq points : ce qui est dit sur le socle et les « fondamentaux », ce qui touche au métier d’enseignant et à ses missions, ce qui est (très peu) dit sur la formation, les modes de gouvernance et la conception du numérique qu’a notre ancien ministre.
Mais pour ne pas allonger la taille de ce billet et rester dans les normes implicites d’un post de blog, je n’aborderai aujourd’hui que les deux premiers points.
Le socle :
On aurait envie de saluer l’idée qu’il faut absolument que tous les élèves acquièrent le fameux socle et maîtrisent les « fondamentaux » et en particulier la lecture. Fillon cite par exemple le fait de savoir lire et comprendre un conte de trois pages à la sortie du primaire. Très bien. Malheureusement, ce qui ressort du socle selon lui, ce qu’il appelle « socle des fondamentaux » (tout un programme !à), c’est :
– un accent mis sur l’orthographe et la grammaire, en oubliant l’écriture ou l’oral par exemple et du coup d’ailleurs une minorisation de fait de l’importance de la lecture, au sens de « littéracie » telle que la définit l’OCDE (savoir mettre en relation un texte et ses informations et ce qu’on sait déjà). L’accent mis de façon très traditionnelle sur la grammaire nous fait craindre un nouveau retour en arrière vers ces leçons rabachées d’année en année et qui ne font qu’éloigner les élèves de la vraie vie de la langue. Et d’ailleurs, en matière de lecture, la principale innovation serait un apprentissage plus précoce en supprimant de fait la grande section de maternelle devenue un pré-CP comme si la solution évidente aux difficultés de lecture était de commencer plus tôt. Du quantitatif plutôt que du qualitatif.
– une disparition remarquée : les compétences, puisque Fillon parle du « socle de connaissances » , celui-ci comprenant un ensemble qu’on peut craindre œillade bleue marine : « grandes dates et grands personnages de l’histoire, géographie de la France et de la région ». A l’heure de la mondialisation ! Plutôt les sources de la Loire que les questions de développement durable, plutôt Saint-Louis que la découverte d’autres cultures, d’autres civilisations. On voit bien là ce que peut recouvrir la notion de socle selon les visions de l’école que l’on a. Celui que nous sommes quelques-uns à défendre n’a pas grand-chose à voir avec cette vision étriquée d’un autre âge, où disparaissent, notons-le au passage, l’éveil scientifique, le parcours culturel et artistique. Mais si, nous dit-on, un quart du temps des enseignants du premier degré feront « autre chose » que du « fondamental », comme s’il ne fallait surtout pas essayer de relier les différentes connaissances, les disciplines, reprendre la grande idée des programmes du primaire de 2002 : on fait du français aussi en faisant de l’histoire ou des mathématiques. Apprendre à écrire dans un carnet de recherches scientifiques ou un carnet culturel, apprendre des mathématiques dans des projets multiformes, tout cela n’est pas envisagé par l’ancien ministre dont on peut alors se rappeler (autre souvenir non impérissable) qu’il a été celui qui a diminué de moitié la durée des Travaux personnels encadrés, tout en étant incapable à la télévision d’énoncer correctement le sigle TPE. Rien bien sûr du coup sur l’ « apprendre à apprendre », sur les compétences-clé du Parlement européen, autant de machines de guerre du néo-libéralisme nous dit-on pourtant, alors même que les plus libéraux de nos hommes politiques nationaux ne sont guère enclins à les reprendre à leur compte et s’avèrent plutôt des défenseurs des conceptions les plus traditionnelles de la transmission des connaissances… On a parfois du mal à comprendre certains détracteurs et leurs amalgames !
– une interprétation fallacieuse des résultats internationaux. Fillon nous dit que les tests type PISA nous montrent que les systèmes éducatifs qui fonctionnent le mieux sont ceux qui se concentrent sur les « fondamentaux ». Cela ne veut pas dire grand-chose. Ces systèmes marchent mieux parce qu’on y fait davantage confiance à l’élève, on relie davantage les connaissances aux compétences à acquérir, on évalue les élèves de manière plus positive et on sélectionne moins précocement. Autant de thèmes absents des propositions Fillon, bien en –deçà d’autres idées émises par des personnalités de la droite républicaine dans le passé (citons les noms de Périssol, Grosperrin et plus récemment Benoit Apparu). Les vieilles traditions conservatrices sont très présentes ici avec cette vision d’une école austère qui sifflerait au fond la fin de la mythique « recréation » dont parlait jadis Chevenement, lui aussi très proche de cette vision à l’ancienne. Une école du socle moderne, ouverte sur le futur autrement que par le biais d’un numérique réduit à de la technique (j’y reviendrai), sur le travail collectif et coopératif, sur l’initiation à la recherche documentaire, sur le développement des capacités orales, sur l’émergence d’une créativité qui s’éteint peu à peu dès après l’école maternelle, tout cela est vraiment absent de cette vision d’une école où le tableau blanc remplace sans doute le noir, mais où on n’encourage guère l’innovation.
– Ajoutons que Fillon ose affirmer que « l’enquête PISA 2012 explique les résultats très moyens de la France par le fait que les élèves y sont plus dissipés qu’ailleurs. » ce qu’on aura bien de la peine à trouver dans les analyses détaillées de PISA qui n’établit pas de rapport de cause à effet entre résultats et degré de « dissipation », d’autant que cette « dissipation » vient peut-être de causes diverses, dont la perte de sens de ce qu’on fait à l’école ; mais il est vrai qu’on nous propose d’exalter le « goût de l’effort » (quelle idée originale et novatrice !) et , grande mesure révolutionnaire, de rétablir la note de vie scolaire qui, en cinq ans d’existence, a montré pourtant son manque total d’intérêt… En fait, limiter aux questions de discipline le problème des classes agitées ou inattentives ne mène qu’à des impasses, mais l’idéologie sécuritaire d’appel au « respect de l’autorité » a du mal à concevoir les choses de manière plus systémique en termes de climat scolaire et d’autorité éducative.
– Ah, si l’anglais obligatoire ! Pourquoi pas ? mais vu la vision rétrograde de l’enseignement (on est bien loin de la pédagogie au centre de Vincent Peillon), on peut craindre le pire et une grande inefficacité de cet enseignement si par exemple on ne forme pas les enseignants du primaire à des formes vivantes et variées, pour en finir avec les « lessons » qui donnent des résultats très insuffisants.
– l’acquisition du socle s’accompagnerait de temps de remédiations, certes… Fillon, prudent, ne reprend pas l’idée de JF Coppé d’examen d’entrée en sixième, mais il fait du brevet un barrage à l’entrée en seconde. Mais surtout il est davantage question des tests de repérage que du développement de réponses multiples et adaptées aux difficultés, certaines passant par la différenciation pédagogique (dont il n’est pas du tout question), d’autres par un accompagnement dans et hors de la classe. S’il s’agit de rétablir les heures d’accompagnement Darcos en primaire et de développer l’accompagnement éducatif au collège, on aura vite fait de constater que cela ne pourra suffire. Dès lors, inévitablement, il y aura sélection précoce, constitution de classes spéciales, éviction de la formation générale pour certains.
On est loin d’une école entièrement mobilisée pour l’acquisition par tous d’un socle vraiment commun qui serait aussi un ciment éducatif, avec des priorités qui ne sont pas du tout énoncées ici (qu’en est-il de l’éducation prioritaire justement ?)
Les missions des enseignants
Fillon nous dit que les enseignants doivent être davantage présents dans l’établissement. Cela me parait aussi une nécessité pour le secondaire. Mais pour faire quoi ? Les missions ne sont pas vraiment définies, le travail d’équipe n’est pas cité, et on nous remet au premier plan la fameuse « liberté pédagogique » déjà évoquée ici. Mais les enseignants seront, dit-on, mieux payés (les promesses n’engagent que ceux qui y croient). Limiter le nombre d’enseignants en début de collège pour une même classe parait cependant une idée intéressante, mais cela n’ a de sens que dans un ensemble où l’on développerait la transversalité, la collaboration entre collègues, les projets interdisciplinaires. Sinon, la bivalence risque de n’être qu’un moyen de faire des économies et de gérer plus facilement les services des enseignants.
Il n’est pas absurde cependant de proposer des variations dans le temps du service des enseignants : moins d’heures de cours en début et à la fin de la carrière, pour se former puis pour accompagner des plus jeunes. C’est une des idées qui me paraissent les plus intéressantes, mais la mettre en œuvre à moyens constants signifie bien augmenter la charge de travail sur les autres années. Un ministre aura-t-il le courage de lancer un tel chantier ? Y compris en classe prépa ?
Bref, rien de bien enthousiasmant et surtout de susceptible de projeter l’école actuelle dans le futur. Qu’en pensent ceux qui pèsent de tout leur poids pour que rien ne bouge dans l’école et qui parfois soutiennent des retours en arrière comme l’abandon du projet des rythmes scolaires ? Les pédagogues, eux, ne peuvent qu’être consternés par ces propositions qui allient surtout indigence, médiocrité et manque d’ambition, où quelques idées intéressantes peuvent émerger, mais pas dans un contexte où elles pourraient être positives.
La suite sans doute au prochain billet….
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L’ajout d’heures présentielles vise, je crois, à réduire le nombre total d’enseignants, pour réduire la dépense publique. En élémentaire, c’est difficile, mais au collège c’est plus facile : passer le service de 18h à 22h. Cette opération est vendue comme « on va s’occuper plus de vos enfants ». L’étape suivante est la « LRU pour le secondaire » : laisser aux directeurs d’établissements la charge du recrutement, puis de la rémunération sur budget d’abord centralisé, puis décentralisé. Financer alors ces établissements par un chèque éducation, conditionner la rémunération des enseignements à un budget local suffisant, sinon charge à eux d’aller là où on embauche. Fin de la progression à l’ancienneté : progression (ou primes ponctuelles) selon l’évaluation par le directeur, selon les marges budgétaires disponibles. Copé voudrait, lui, lier ces primes aux résultats des élèves. On imagine déjà les belles manips envisagebles pour améliorer de manière factice ces résultats, et pour tenter de réjouer ces manips.
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