Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: mai 2014

Il est urgent de ne plus se payer de mots!

J’avais commencé ce billet avant l’élection européenne de dimanche dernier. Mais le coup de massue de l’adhésion du quart de notre électorat à l’extrême-droite me fait modifier à la fois un titre premier et surtout m’amène à une conclusion que j’ai infléchi pour opposer le déni de réalité de l’élitisme de notre école derrière « les anneaux d’un beau style » à la prise de conscience de cette vérité amère que sont les fractures sociales, culturelles et politiques qui s’élargissent dramatiquement.

On aime beaucoup les mots dans notre culture française. Comme tout le monde, j’aime aussi, j’aime la rhétorique, notamment lorsqu’elle s’applique à l’école, à l’éducation. Il y a des textes admirables de Jaurès, de Zola, de Hugo sur le sujet (« savoir étant sublime, apprendre sera beau »). Quand j’étais étudiant, j’avais affiché cette proclamation de Trotski : « (dans la société communiste), l’homme moyen s’élevera à la hauteur d’un Aristote, d’un Goethe, d’un Marx, et sur ces hauteurs, de nouveaux pics s’élèveront ».

Mais il ne faut pas être dupe et savoir équilibrer ces utopies, ce lyrisme par le trivial pragmatisme, où on « ne se paie pas de mots », ne pas se laisser griser par le charme pas discret de ces envolées qui peuvent aussi devenir roulements de tambours et discours de comices agricoles dans bien des cas. Or, les programmes scolaires, leurs préambules surtout, sont plein de déclarations d’intentions qui nous dressent un horizon merveilleux : un enfant devenu élève, un enfant qui s’élève et qui, ébloui, comprend grâce au Savoir le monde qui l’entoure, sa complexité, sait se situer, exerce son esprit critique mais aussi sa créativité, etc.  Un monde admirable, mais au fond un horizon, et par définition on n’atteint jamais celui-ci qui recule sans cesse à mesure qu’on avance (emprunt de cette image à un de mes amis du groupe « socle commun, promesse démocratique »…)

Et voilà que le texte du « nouveau socle commun » du moins dans sa version initiale qui a « fuité » dans la presse risque de tomber dans ce défaut s’il n’est pas remanié. Car la fonction d’un tel texte, si on veut le prendre au sérieux et en faire un axe fort de la réforme profonde de notre école, ne soit surtout pas être un beau déroulement conceptuel qui nous dresserait le tableau d’un « paradis du savoir » d’un univers rêvé. Le « nouveau socle »doit partir des élèves réels, certes tels aussi que l’école peut et doit les changer, mais en prenant en compte tout le chemin à parcourir, qui ne peut être un voyage à Cythère. Il faut absolument indiquer ce qui , dans le champ du possible, est réalisable. De l’ambition, mais s’appuyant sur le réel. Abandonner les hypocrites références à une « excellence pour tous », ce slogan si creux… Le problème en effet n’est pas de présenter Corneille ou Racine à tous les élèves de France, mais de voir concrètement comment les faire accéder à ce qui est indispensable pour éventuellement apprécier Corneille ou Racine, ce qui malgré mon admiration pour ces derniers (qui est grande) n’est pas forcément non plus le nec plus ultra de la culture. Et puis, honnêtement, qui peut penser que sans une capacité à lire des textes de façon courante, en sachant tirer des informations simples rapidement, on pourra aller très loin dans la société moderne ?  Mais attention, l’appropriation de ces « fondamentaux » peut se faire de mille manières. En quatrième, dans mon collège Eclair,  j’ai utilisé la vidéo du Cid version flamenco, flamboyante et accrocheuse, et j’ai rapproché la pièce des rivalités d’ « honneur » de banlieue ; en cela, oui,  je me situe dans le cadre d’un socle commun qui part des élèves et de ce qu’ils doivent apprendre, s’approprier. Mais je sais que la langue de Corneille reste et restera largement inaccessible à la majorité. Quel homme du XVII° siècle aurait pensé d’ailleurs que ce texte puisse être compris en dehors d’un  petit cercle de lettrés ! Je me souviens d’une réflexion de Meirieu disant que Descartes aurait été surpris que des milliers de jeunes de son pays, fils de paysans et d’ouvriers (si on peut dire vu l’époque pré-industrielle), auraient étudié à 14 ans des questions d’optique que seuls quelques personnes pouvaient alors comprendre.

Mais voilà maintenant ce que j’ajoute aux lendemains douloureux d’élections catastrophiques :

Ne pas se réfugier derrière les mots, derrière les intentions, derrière le mirage de la transmission lorsque celle-ci ne s’assure pas des conditions de la transmission, tout cela me parait particulièrement irresponsable aujourd’hui, surtout si on est un partisan d’une école démocratique et au-delà d’une République sociale et solidaire.

Je ne crois pas que l’école puisse faire des miracles.  Mais elle doit participer à un combat contre les idées rétrogrades, le simplisme, la démagogie et bien sûr l’intolérance et le rejet de l’autre. Pour ce faire, les grands mots ne résoudront rien. Si l’on prend les cinq domaines envisagés par le nouveau « socle commun », dans chacun d’eux , il y a  de quoi alimenter une formation citoyenne, alternative à l’extrêmisme anti-démocratique.
D’abord, savoir communiquer avec les autres et savoir comprendre ce que disent les autres est une première étape fondamentale. Comment ne pas mobiliser toutes nos énergies pour faire reculer l’illettrisme ou la non possession des compétences indispensables en littéracie ? Comment former les élèves au langage des tableaux, des pourcentages, des données statistiques simples, pour éviter d’être bernés ?

Comment également aider chacun à acquérir des méthodes personnelles, indispensables pour retenir des informations, ne pas oublier de les vérifier, de sélectionner celles qui ont des chances d’être fiables ?

Comment permettre l’émergence d’un citoyen, qui s’engage, ne serait-ce qu’à voter ? J’ai piloté un ouvrage qui ouvre de nombreuses pistes, dont celle de décoder des programmes électoraux, etc.

Comment encore développer chez les élèves la conscience écologique qui manque cruellement ? Comment enfin savoir s’inscrire dans une histoire longue, une histoire occultée ou déformée par les nationalistes aujourd’hui ?

La corrélation entre le niveau d’études et le vote Front national reste un fait avéré. Moins on est « instruit », plus on vote à l’extrême-droite (si on vote). Bien sûr, il y a des polytechniciens et ce fameux collectif Racine dont nous avons déjà parlé. Mais la grande masse des électeurs et des adhérents sont bien loin du débat d’idées. Combien d’ailleurs ont gardé la rancœur de l’échec scolaire ?

C’est pourquoi, aujourd’hui plus que jamais, il nous faut transformer notre système éducatif, construire chez les élèves des compétences qui peuvent contribuer à les éloigner du « Mal » en politique (je simplifie abusivement). Aujourd’hui, il est irresponsable de se cacher derrière des déclarations de principe, éthérées et hypocrites et de résister aux avancées sur ce socle qu’il est si facile de rejeter au nom d’une  Culture abstraite, parce que soi-disant qu’une logique de « minimum culturel », etc. servirait je ne sais quels intérêts de libéraux bruxellois. L’urgence, oui, est à de profonds changements dans notre école pour qu’elle puisse contribuer à empêcher la vraie défaite de la pensée, pas celle que fantasme l’auteur du livre portant ce titre, mais celle évoquée en 1940 par Marc Bloch. Comment ne pas avoir envie de citer longuement ce si beau texte qu’est L’étrange défaite :

« De tant de reconstructions indispensables, celle de notre système éducatif ne sera pas la moins urgente . Notre effondrement a été avant tout, chez nos dirigeants et dans toute une partie de notre peuple, une défaite à la fois de l’intelligence et du caractère.  Parmi ses causes profondes, les insuffisances de la formation que notre société donnait à ses jeunes ont figuré au premier rang. Un mot, un affreux mot,  résume une des tares les plus pernicieuses de notre système éducatif : celui de bachotage. Le secondaire, les universités, les grandes écoles en sont tout infectés. « Bachotage » : autrement dit : hantise de l’examen et du classement. On n’invite plus les étudiants à acquérir les connaissances, mais seulement à se préparer à l’examen.  Dans ce contexte l’élève savant n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui a été dressé à donner, par quelques exercices choisis d’avance, l’illusion du savoir. Au grand détriment de leur instruction, parfois de leur santé, on plonge trop précocement les élèves dans la compétition  afin d’éviter tout retard pour intégrer telle ou telle grande école. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les inconvénients intellectuels d’un pareille « manie examinatoire ». Mais ses conséquences morales, c’est la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves, le culte du succès substitué au goût de la connaissance, une sorte de tremblement perpétuel et de la hargne,  là ou devrait au contraire régner la libre joie d’apprendre. »

Rapprocher les difficultés à se mobiliser pour un vrai socle commun à l’école et celles à résister aux vagues populistes et aux simplismes dévastateurs n’est pas incongru, mais indispensable….

 

PISA, suite : qu’est-ce qui est évalué ?

Je poursuis mon analyse des critiques qui sont faites à PISA par certains chercheurs et journalistes éducation et j’en viens au contenu des épreuves elles-mêmes, sans oublier pour autant que celles-ci s’accompagnent aussi de questionnaires (nous y reviendrons)

On connait certaines épreuves, et celles-ci sont très loin de n’évaluer que des connaissances basiques à l’aide d’un QCM.  Je prendrai quelques exemples. Dans l’une d’elles, sur laquelle butent beaucoup de jeunes, on demande de classer le degré de fiabilité de sondages électoraux selon qu’ils partent d’échantillons purement aléatoires ou plus représentatifs, suivant la taille du groupe des sondés, etc. C’est une fausse épreuve mathématique, car il s’agit davantage de raisonner et de savoir mobiliser quelques connaissances ici assez élémentaires pour bien répondre. Mais le nombre d’échecs est important. Voilà bien une compétence (mesurer la fiabilité d’une information) qui est vraiment une compétence du XXI° siècle, à l’heure d’internet, trop peu travaillée à l’école et qui n’ a rien à voir avec un formatage de l’individu dans un sens « libéral » (injure suprême !). Le fait que les réponses s’expriment par un QCM est secondaire (car c’est bien plus aisé à dépouiller bien sûr), d’autant que ce n’est pas la règle.

Citons aussi les exemples intéressants publiés par le Monde

Dans une autre épreuve, longuement analysée il y a quelques années dans La Revue française de pédagogie de manière critique (pointant des problèmes, mais ne conduisant pas à une remise en cause selon moi de ce type d’épreuve- je n’ai pas bien compris d’ailleurs ce qu’en fin de compte concluaient les auteurs de l’étude), les élèves devaient rédiger une page dans un dépliant recommandant de « ne pas nettoyer les plages » ceci pouvant s’avérer nocif, à rebours du bon sens, mais avec des arguments convaincants). Il fallait pour cela utiliser un article au titre provocateur : « sauvez une plage, gardez-la sale ! ». Là encore, on sollicitait une compétence d’écriture, mais avec un préalable d’analyse assez subtile, de mobilisation de savoirs et savoir-faire dans une situation complexe et qui a mis en difficulté pas mal d’élèves. Faire écrire des textes de toutes sortes, avec une intention, fait bien partie du socle commun en France et cette capacité doit être travaillée intensément.

Les épreuves PISA mêlent, semble-t-il, (puisqu’il y a un relatif secret sur leur contenu) des épreuves où il s’agit surtout d’ « appliquer » et d’autres où il y a vraiment mobilisation de ressources pour mettre en œuvre une compétence. Et d’ailleurs, on remarque que les élèves français sont bien plus à l’aise dans les premières, alors qu’on ose nous dire que les compétences ont envahi le champ de la scolarité. Je pense plutôt que le mot « compétence » est devenu dominant, mais hélas pas ce qu’il devrait recouvrir. Remettra-t-on en cause la « démocratie » parce qu’il y a eu des « démocraties populaires » de sinistre mémoire ou la « République » parce que certaines formes font honte à la notion (« république islamique », etc.) Oui, il y a bien des canada dry des compétences, qui sont en fait de purs « objectifs » au sens réducteur de la pédagogie par objectifs, il y a des conceptions dévoyées, mais peut-on raisonnablement énoncer cette contre-vérité que PISA n’évaluerait que de façon stéréotypée, en méprisant culture et connaissances ?

D’autant qu’on oublie les autres vertus de PISA : les questionnaires qui permettent par exemple de mettre en avant l’importance selon les pays de l’origine sociale ou culturelle par rapport à la réussite, les réussites ou non des enfants issus de l’immigration, les différences garçons-filles. Bien sûr qu’il faut relativiser ces résultats et n’accorder de valeur à des réponses que lorsqu’elles s’inscrivent dans une durée longue. Mais ne faut-il pas relativiser toute étude à prétention scientifique, notamment dans le champ des sciences humaines. Un lecteur de ce blog qui est aussi une personnalité éminente de notre système éducatif écrit à propos de mon billet précédent : « A suivre ces « chercheurs », il ne pourrait plus y avoir de recherches en sciences humaines, sociales et économique, ni  même en médecine ! Je comprends qu’un journaliste, même aguerri, puisse tomber dans ce piège[allusion à la pétition contre PISA] ; mais des « chercheurs » ? J’en suis ébahi ! Comme quoi l’idéologie rend aveugle ! »

A l’heure où le Conseil supérieur des programmes a bien du mal à définir un socle commun véritablement opérationnel et qui soit autre chose qu’un vague énoncé de belles proclamations « à la française » et à résister aux pressions de ceux qui ne veulent surtout pas changer le cours des choses (j’y reviendra longuement bientôt), continuer à défendre les évaluations internationales me parait important, malgré les dérives et effets pervers, dont on sait qu’elles servent toujours d’arguments à la pensée conservatrice, comme je l’ai dit dans mon premier billet sur ce blog.

PISA « bon à mettre au cabinet »(1) ? Pas sûr…(Première partie)

Dans son excellent blog, Luc Cédelle fait part des « doutes sur PISA » qui se font jour dans la communauté de spécialistes de l’éducation (chercheurs, journalistes) , en dehors de la France cependant. Un appel a même été lancé pour un moratoire de ce programme d’évaluation des systèmes éducatifs lancé il y a quelques années par l’OCDE. (voir aussi l’article de l’Express) Les critiques portent sur plusieurs points : une contestation de la méthodologie qui tiendrait trop du bricolage statistique et aboutirait à des classements basés sur des écarts minimes et surtout très contestables, et une utilisation abusive faite par les gouvernements à partir de ces données peu fiables, ainsi qu’une standardisation des évaluations, fondée sur les QCM et un développement d’une politique de la performance qui met de côté d’autres aspects que la réussite purement scolaire dans des matières dites fondamentales.

Sur le plan statistique, je n’ai guère de compétence pour en juger. Si je combats chez nous les ridicules comparaisons entre élèves basées sur des écarts de moins de 1 point dans une « moyenne » qui ne veut rien dire, je ne vais pas défendre là des hiérarchies qui sont établis entre pays sur très peu finalement. Et nous sommes quelques-uns à s’être bien plus intéressés à d’autres aspects de PISA : les écarts entre les meilleurs et les moins bons, l’élargissement ou le rétrécissement des franges extrêmes dans les performances scolaires. Ajoutons les analyses fines obtenues grâce à des questionnaires (sur l’estime de soi, sur la confiance dans l’école, sur les relations entre équipements culturels et résultats scolaires, etc.). Ceci dit, on peut aussi comparer les classements PISA avec d’autres, notamment PIRLS, un programme indépendant qui se concentre sur l’évaluation des compétences en lecture et on ne trouve pas des différences fondamentales notamment sur par exemple le bon classement de la Finlande ou la médiocrité de celui de la France.

Les interprétations abusives : oui, bien sûr. Mais demander un moratoire (très à la mode cette demande) à cause de certaines interprétations, c’est interdire la recherche dans divers domaines (santé, alimentation) sous prétexte que certains utilisent mal ses résultats. Oui, c’est vrai, quand en France, chaque ministre rend responsable son prédécesseur ou certaines méthodes passées en se basant de façon très approximative sur PISA (dernier en date, Benoit Hamon, comme le font remarquer les « décodeurs » du Monde, mais c’était vrai de Chatel et Darcos). Oui, c’est vrai, quand on lit ce que dit la presse aux lendemains de PISA, on assiste à un festival d’interprétations rapides et d’analyses parfois grossières, avec surtout des titres-choc, même si des articles rédigés par les quelques journalistes (trop rares) qui connaissent bien l’école nuancent bien les choses et nous donnent une vision plus complexe de la réalité.

J’étais récemment à un débat autour de l’école finlandaise à l’Institut finlandais de Paris. Déjà, il était intéressant de voir que le sujet annoncé était « comment expliquer la relative baisse de l’école finlandaise dans le dernier PISA ? ». Courageux, alors même que cette baisse reste minime. Mais ce qui m’a le plus épaté, c’est que l’universitaire d’Helsinki présente à la question sur l’impact de PISA dans son pays a répondu en disant qu’au fond, quand les premiers excellents résultats sont tombés, on n’y croyait pas trop, mais que là, avec cette petite baisse annoncée, on prenait les choses très au sérieux et qu’on allait voir ce qu’on pouvait améliorer (notamment la progression de l’ennui, le creusement des écarts filles-garçons…). François Taddéi, chercheur français présent, notait qu’en France, on aurait tendance à faire le contraire et à contester des résultats quand ils ne nous arrangent pas. A moins qu’on soit dans le « pedago-bashing » et qu’on tire de PISA une nouvelle charge contre les pédagogues, responsables de tous les maux, de tout ce qui ne va pas dans notre école.

Ce qui m’étonne le plus cependant, c’est l’affirmation des détracteurs de PISA selon laquelle cette évaluation aurait uniformisé les pratiques dans le mauvais sens du terme, dans une vision très productiviste et « performative ». Or, je ne vois guère cela. Dans certains pays, il parait qu’il y a eu des bachotages PISA (en Argentine, m’a-t-on dit), mais si c’est pour masquer d’éventuels mauvais résultats, cela équivaut au malade qui truque son thermomètre ou des résultats de laboratoire pour se croire mieux portant qu’il n’est. A la fin, on n’est pas gagnant et mieux vaut lucidement analyser points forts et points faibles.

Lorsqu’en France, on a mis en place une bonne évaluation à l’entrée en sixième en 1989 (sous l’impulsion de Claude Thélot et de la DEP), j’ai entendu beaucoup de récriminations, mais cette évaluation permettait justement de repérer atouts et faiblesses et a eu des effets positifs, introduisant notamment un autre type d’évaluation que la note, avec des items réussis ou non, ou partiellement réussis, etc. Et surtout une vision plus claire du niveau d’une classe donnée, qu’on pouvait situer dans une évaluation nationale. Dans mon collège très défavorisé, on voyait ainsi des élèves se débrouiller en lecture-recherche d’informations, mais s’effondrer par rapport à la moyenne nationale dès qu’il s’agissait d’interprétation. Mais par ailleurs, on se rendait compte que des épreuves de lecture faciles étaient réussies par presque tout le monde : manière de repérer ceux qui, quand même, ne réussissaient pas mais aussi de ne pas sous-estimer les compétences des élèves. J’avais demandé lors de stages que j’ai animés de dire combien d’élèves avaient, selon eux, en France, réussi telle ou telle épreuve, et souvent il y avait sous-estimation du résultat, ce qui montre notre manque de confiance dans les potentialités des élèves. Précisons que les évaluations plus récentes, sous Sarkozy, ne correspondaient plus du tout à quelque chose de sérieux et fiables et on a bien fait de les abandonner (voir mon analyse en 2009 sur le site du SNUIPP). Sauf qu’il n’y a plus vraiment d’outil comparable.

Pour ne pas allonger trop ce billet, je reviendrai prochainement sur le contenu des épreuves PISA (ce qu’on peut en savoir), ce qu’elles évaluent, comment elles se situent dans le débat souvent biaisé compétences ou connaissances et sur d’autres enseignements de cette évaluation qui doit rester à sa juste place, surtout pas dicter nos politiques éducatives, mais rester un indicateur précieux à ne surtout pas mettre au placard.

 

(1)    Pour les non-littéraires ou ceux qui ont oublié le début du Misanthrope : acte 1, scène 2, Alceste : « Franchement, il est bon à mettre au cabinet »

Un ouvrage de référence et des textes parfois surprenants

D’un côté, on aime bien, dans les débats éducatifs, se référer au passé, mais il s’agit souvent d’un passé mythifié, l’école de Jules Ferry, l’école d’avant, paré de mille vertus ou au contraire diabolisé (combat contre les langues régionales et la diversité, apprentissage du nationalisme, etc.) D’un autre côté, on a tendance à ignorer le passé, on prend pour une nouveauté ce qui est très ancien (par exemple l’expression « apprendre à apprendre », le soutien scolaire, une pédagogie active type Main à la pâte qui en fait reprend Freinet, etc.) ou au contraire on sous-estime ce que certains phénomènes ont eu de « nouveau » à leur époque tant ils sont évidents aujourd’hui (par exemple la mixité dans les classes, ou le fait que le bac ne soit pas réservé à une toute petite élite). On ignore en particulier bien souvent les textes fondateurs de notre école et les commentaires officiels qui les ont accompagnés.
C’est pour cela qu’on peut saluer la publication à la Documentation française de l’ouvrage Les politiques de l’éducation en France. Il s’agit Les-politiques-de-l-education-en-France_smalld’un recueil de textes (circulaires, décrets et extraits de Lois),  rassemblés par le grand historien qu’est Antoine Prost dont on a pu lire son dernier ouvrage, si percutant, sur les réformes éducatives et par Lydie Heurdier-Deschamps, chercheuse (ou chercheure, toujours difficile à écrire au féminin) en sciences de l’éducation et avec qui j’ai eu le plaisir de travailler, en coordonnant un dossier des Cahiers pédagogiques.

On pourra découvrir des thèmes récurrents, comme l’effort pour adapter l’école aux exigences de son temps, et la volonté affirmée que pas un élève ne reste sur le bord de la route (même si la formulation de cette ambition démocratique a varié), ou l’importance d’impliquer les parents dans la scolarité. Bien entendu, cela a pris des formes très différentes, et éventuellement contradictoires. Mais on ne peut nier certaines continuités, au prix de hiatus entre politique affirmée et réalité de la mise en œuvre, l’exemple le plus spectaculaire étant celui de l’institution d’un socle commun par la loi Fillion, pratiquement au point mort sept ou huit ans plus tard.

de gaulle educationDans l’introduction, les auteurs soulignent la montée en puissance des « Lois », c’est-à-dire de textes votés par le Parlement, depuis la réforme Haby, avec un raccourcissement des délais entre deux Lois.  Auparavant, on se contentait de textes ministériels, sans consultation de la représentation nationale. Ce supplément de légitimité démocratique n’a pas signifié davantage de mise en œuvre pratique. D’ailleurs, les auteurs nous mettent en garde : la documentation qu’il propose est forcément « biaisée » : n’apparaissent pas en effet les applications ou non-applications pratiques. On reste dans le domaine des injonctions (faisant suite aux nombreux constats que font les différents « rapports »). « L’Ecole que décrivent nos textes n’est pas exactement celle où vivent élèves et professeurs ».  Ecart inévitable, mais qui peut devenir grand écart quand par exemple les cycles en primaire sont une fiction dans la plupart des cas, quand le socle commun donc n’est pas mis en place (les auteurs rappellent l’anecdote de ce collège visité par le ministre et ignorant tout de ce nouvel horizon commun qui devrait s’imposer à tous et au centre d’une Loi établie depuis plusieurs mois).

edgar faureJe suis en particulier très satisfait de pouvoir lire le discours à l’Assemblée de Edgar Faure, aux lendemains de mai 68 (le 24 juillet). J’étais alors lycéen et je me souviens du proviseur (pas terrible par ailleurs) venant annoncer triomphalement aux terminales dont j’étais que le texte avait été voté. Et c’est vrai qu’il contenait des avancées importantes, peu appréciées d’ailleurs d’une grande partie de la droite gaulliste (en particulier pour ce qui est de l’amoindrissement de la place du latin)

Je citerais juste quelques passages :

« Il faut décloisonner l’enseignement secondaire, l’ouvrir de plus en plus sur la vie.[…] Le principal vice de l’enseignement français, du primaire au supérieur, est de solliciter essentiellement la mémoire et de n’accorder qu’une part accessoire à l’intelligence et à la réflexion qui, par un absurde renversement de valeurs, tendent à devenir de simples substituts de la vertu fondamentale, la mémoire. Les examens ont pour vocation, non de vérifier une aptitude à la réflexion ou le développement d’une intelligence, mais de s’assurer de l’enregistrement passager de connaissances accumulées. »

Ou encore :

« Modifier les méthodes, c’est diminuer la place du cours magistral pour accroître en revanche, celle des recherches individuelles et collectives, des discussions, des dialogues où se développent les qualités de conception, de raisonnement et d’expression. »

Et juste après dans l’ouvrage, p.240 et suivantes, il faut lire la circulaire du 6 janvier 1969 sur les notes :

« Les travaux scolaires les plus formateurs sont ceux où la préoccupation de la note s’efface : maîtres et élèves avancent ensemble dans la découverte d’un texte, d’un raisonnement, d’une expérience scientifique… et ce n’est qu’à regret que le fil est interrompu pour permettre les contrôles cependant nécessaires. Une pédagogie véritablement active réussit, d’ailleurs, snas difficultés, à inclure le contrôle dans le champ même de l’élaboration des connaissances.[…] Il est bon de prendre consciences de la relativité de la note, et par suite, d’écarter les procédés dont la précision apparente est trompeuse. La notation chiffrée de 0 à 20 peut être abandonnée sans regret. »

Cela laisse rêveur : on est aux lendemains de mai 68, règne à l’Assemblée une majorité hyperdominante qui veut « restaurer l’autorité de l’Etat » et voilà un ministre qui va dans le sens de ce que demandaient beaucoup de manifestants quelques mois auparavant.
Mais comme Alain Savary plus tard (voir le commentaire après coup de Louis Legrand, un des principaux conseillers du ministre, page 288 et suiv), le ministre n’a pu mener sa réforme jusqu’au bout et je renvoie aux constats un peu amers de mon dernier billet. Les auteurs complètent d’ailleurs les textes officiels de quelques tribunes et écrits divers, comme les fameuses diatribes « républicaines » contre la réforme Jospin et son laxisme supposé en matière de laïcité.

Bien sûr, beaucoup de ces textes, surtout les plus récents[1], se trouvent plus ou moins facilement sur internet, mais les voir rassemblés ici et de manière ordonnée, avec quelques mises en perspectives, est vraiment une excellente chose pour tous ceux qui s’intéressent à l’école et qui ne se contentent pas d’une pensée paresseuse et d’un prétendu bon sens, sans tirer parti de l’expérience de plus d’un siècle de débats, de projets, d’échecs et de réussites. Un grand merci donc à Antoine Prost et Lydie Heurdier pour ce beau travail, et pour cet ouvrage si accessible en plus (moins de 12 euros, pour 550 pages). Indispensable !

 


[1] Mais on trouve aussi des textes anciens, aussi bien de Jean Zay que de Carcopino, ministre de VIchy

Je vous l’avais bien dit !

Je vous l’avais bien dit : la refondation de l’école, ça ne marchera pas. On n’a pas changé les programmes, on n’a pas viré les mauvais cadres conservateurs, on n’a pas été suffisamment fermes et décidés. Oui, je vous l’avais dit et une fois de plus la gauche « molle » a échoué !

Je vous l’avais bien dit : la refondation, ça ne marche pas, parce qu’on n’a pas voulu vraiment engager une grande concertation, on a voulu réformer à la hussarde, mais la réalité et le terrain ont résisté, et on se retrouve dans la panade. Benoit Hamon a intérêt désormais à écouter la « base »…

Je vous l’avais bien dit : la refondation, ça ne peut pas marcher quand on n’y consacre pas les moyens qui conviennent. Les créations de postes (qui ne sont que des rétablissements de postes) sont finalement peu de choses et ne vont en fait que timidement compenser la hausse des effectifs. On ne peut engager des réformes profondes si on ne paie pas mieux les profs, si on ne réduit pas leurs horaires, si on n’équipe pas mieux les établissements, si on ne met pas en place une formation avec remplacements, etc.

Je vous l’avais bien dit : quelle sottise que d’avoir tout de suite lâché des promesses de dizaines de milliers de postes sans contrepartie ! N’a-t-on pas laissé penser qu’au fond, la question des moyens restait décisive et cela a soulevé trop d’espoirs, trop d’illusions. On a bien mal géré ce « plus » pourtant important en période d’austérité…

Je vous l’avais bien dit : là-haut, ils n’y connaissent rien, ce sont des technocrates coupés des réalités, des apprentis-sorciers ou des politiciens plus occupés par les suffrages des électeurs que par le bien public. Plus que jamais il faut laisser les enseignants tranquilles, au lieu de les épuiser par de toujours nouvelles réformes. Laissons les enseignants enseigner ! Mais donnons-leur les moyens de le faire.

Je vous l’avais bien dit : les enseignants sont décidément d’incorrigibles conservateurs. Si on fait quelque chose de significatif, tout le monde se lève, comme dans ce dessin de Pessin où un prof brandit une pancarte et déclare à un autre : « que fait-on : on lit le nouveau décret ou on manifeste tout de suite contre ? ». On ne peut plus rien attendre d’un corps sclérosé. Au fond, il vaudrait mieux un bon tsunami libéral, qui détruirait les statuts et les rentes de situation ; après on pourra peut-être reconstruire quelque chose.

On pourrait continuer longtemps et énumérer les reproches contradictoires qui sont faites à la politique éducative suivie depuis deux ans, alors qu’on vient de changer de ministre, qu’on « assouplit » certaines réformes, qu’on risque de renoncer à d’autres, que le directeur de la DEGESCO (une personnalité remarquable) vient de démissionner, que les concours de recrutement semblent à nouveau en pénurie de candidats, sans parler du contexte national des « 50 milliards ». On pourrait légitimement trouver que dans les arguments énoncés ci-dessus, tout n’est pas faux. Et après tout, on peut considérer qu’à la fois il y a pu y avoir trop de concertation au sens d’atermoiement et pas assez, pas visible en tout cas, que le tempo n’a pas été le bon, qu’une fois de plus, la grande machine Education nationale a finalement broyé un ministre  pourtant si brillant, et qui, intellectuellement au moins, faisait honneur à son poste, mais qui a peut-être pêché par maladresse, certitude d’avoir raison ou pusillanimité (chacun fait son choix entre les qualificatifs !)
Mais on peut aussi trouver insupportables les ricanements de ceux qui, d’une certaine façon et au moins pour un certain nombre, sont revenus de tout sans y être jamais allés (une phrase que je croyais de Meirieu, mais qu’on trouve déjà dans un numéro des Cahiers pédagogiques fort ancien). Lorsque je me suis engagé dans l’équipe du CRAP-Cahiers pédagogiques, un peu avant le 10 mai 81, j’avais bien aimé une expression inventée par un rédacteur : « les désillusions perdues ».  Les échecs de réformes sont le lot commun, dès lors qu’elles sont audacieuses et non purement verbales. Et en même temps, des évolutions se produisent, comme l’a montré Antoine Prost dans sa récente histoire des réformes.

Pour ma part, j’aime mieux être un acteur qu’un commentateur, même si dans ce blog, je joue aussi ce rôle. Tant pis si certains qualifient ces « acteurs » tantôt de naïfs, de bisounours attardés, d’idiots utiles, de valets serviles de je ne sais quel comité bruxellois ou médéfien, ou encore de traitres à la juste cause…

Un bilan de l’action gouvernementale est à faire régulièrement. Je m’y emploie avec mes amis des Cahiers pédagogiques (à l’automne des Assises de la pédagogie sur ce thème). Mieux vaut parler d’ailleurs de suivi. mais avec un avenir imprévisible, des issues qui ne sont pas écrites.

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Sisyphe, tableau du Titien

Il est au fond toujours improbable qu’un jour, le rocher que pousse Sisyphe au sommet de la colline se stabilise et que les lendemains qui chantent succèdent au Grand Soir.  Il est toujours moins glorieux de saluer quelques avancées fragiles (ici le rétablissement quand même des cinq jours en primaire, la réaffirmation du socle commun, la fin des suppressions de postes, la création malgré tout d’écoles de formation, la remise au premier plan de la pédagogie ou  les frémissements dans la définition du métier d’enseignant) que de fustiger des résultats dérisoires, si loin du « vrai changement ». Bon, la gloire, les postures, les proclamations enflammées et les coups de menton me fatiguent. Il ne fallait peut-être pas utiliser ce mot trop ambitieux de « refondation », mais le champ des possibles n’a pas encore été labouré et on peut encore échapper aux scénarios noirs qui nous menacent (j’ai évoqué précédemment le scénario gris à la Fillon, mais il y a bien pire, on le sait). Il est encore possible de ne pas donner raison à ceux qui se prennent pour Cassandre, en souhaitant plutôt qu’ils soient des professeurs Philippulus.