Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: juillet 2014

Faire parler les morts ?

En ces temps de centenaire de la Guerre mondiale, on est tenté d’effectuer des parallèles historiques. Les historiens sérieux, gens que j’admire- quand ils ne s’avisent pas de dire comment l’histoire doit être enseignée en collège et lycée, au lieu de simplement donner un avis- mettent en garde en général contre d’abusives mises en relation. Ainsi récemment, dans une passionnante émission de Arrêt sur images, Antoine Prost et Jean-Jacques Becker rejetaient l’idée qu’en 1914, un discours sur le « déclin » aurait été dominant dans la société française, à la manière de 2014, contrairement à ce qu’affirmait un journaliste de L’Expansion qui défendait avec humour mais un peu de legereté la ressemblance supposée des situations. Les analogies sont toujours tentantes, mais rappelons la vieille mise en garde pascalienne : « comparaison n’est pas raison ». Les effets de contexte sont toujours essentiels et comme dans toute comparaison, on prend les éléments qui vont dans le sens de la thèse qu’on défend et on oublie toutes les différences.

Mais le pire sans doute est de faire parler les morts. Et en particulier Jean Jaurès, puisque l’actualité met au premier plan son tragique assassinat. La belle exposition du Panthéon montre comment ses paroles ont pu être récupérées par des discours politiques les plus divers, jusqu’à être utilisées comme machine de guerre anti-gauche d’aujourd’hui par Nicolas Sarkozy, et même revendiquées à l’aide de discours déformés et tronqués par le Front national.

Jean Jaurès a sur l’école, sur la jeunesse, sur l’Université française, prononcé des discours, écrit des textes remarquables, et on a bien raison de les mettre à jour comme le fait l’ami blogueur Claude Lelièvre notamment, qui hier nous gratifiait de textes étonnants de Jules Ferry, bien loin de la vulgate habituelle qui le limiterait au partisan du « lire, écrire, compter ». (suite…)

85% à avoir le socle, tout va bien alors , ou presque ?

On a ces jours-ci commenté les résultats aux divers bac, voire celui du Brevet (DNB), mais assez peu ce chiffre selon lequel on a validé, pour  85% des élèves de troisième, le socle commun de connaissances et compétences (puisque l’ajout « culture » concernera plutôt la nouvelle version, dans la dénomination)

On pourrait se réjouir, tout en trouvant que ce n’est pas assez puisque l’objectif du socle commun était bien que la Nation garantisse son obtention à tous les élèves d’une certaine façon.

On pourrait se réjouir qu’ainsi plus de huit petits français sur dix maîtrisent une langue étrangère, comprennent de façon satisfaisante ce qu’ils lisent et soient à l’aise avec les principaux outils mathématiques. Relisons les items de ce socle commun version 2005, on verra à quel point est absurde l’idée qu’il s’agirait d’un SMIC culturel (ce qui en soi d’ailleurs n’est pas une injure, n’en déplaise aux responsables du Parti de gauche qu’on laissera à leurs diatribes contre un rabaissement des exigences néo-libéral). Bien au contraire, le socle commun tel qu’il est énoncé est particulièrement exigeant sur le papier. Surtout si on applique le principe de la non-compensation : une faiblesse ici (en mathématique) ne devant pas être compensée par un point fort là (en langue étrangère). (suite…)

Genre et égalité: entre décrire la réalité et la bousculer

Les polémiques continuent à propos des ABCD de l’égalité, officiellement abandonnés comme dispositif expérimental, à la grande joie des traditionnalistes, au grand dam des militants engagés dans la lutte contre les stéréotypes et les discriminations concernant le genre.

D’un côté, au fond, on pourrait se réjouir que la question des stéréotypes masculin-féminin jaillisse au grand jour, alors qu’elle semblait assez peu concerner l’école. Il m’est arrivé de demander à des jeunes enseignants en formation de dégager les multiples facettes de l’hétérogénéité dans une classe. Il arrivait que la différence garçons-filles ne soit pas évoquée. On était, n’est-ce pas, dans une école républicaine ignorant les différences et en dehors peut-être des questions d’orientation au lycée (qui ne sont pas des détails !), on semblait négliger tous ces petits riens quotidiens qui renforcent les préjugés de la société, que ceux-ci soient « défavorables » aux filles (à qui on donne moins la parole si on n’y prend garde) ou aux garçons ( moins conformes à une sage image de l’écolier qu’on voudrait voir à l’œuvre).Les dossiers des Cahiers pédagogiques sur le sujet, auxquels j’ai contribué, n’ont pas eu un grand succès de vente, ce qui me parait significatif : au fond, n’est-ce pas un problème secondaire, pense-t-on ? Surtout si on considère la très belle réussite des filles à l’école (jusqu’à un certain niveau toutefois). Comment par exemple développer la sensibilité des enseignants à ces heures de classe où les garçons prennent énormément la parole ? Cela passe notamment par des observations fines, que l’on peut faire déjà dans des assemblées d’adultes. J’ai, lors de conférences, fait souvent remarquer que dans un débat suivant l’intervention, les premiers à prendre la parole sont des hommes, même quand ils sont très minoritaires dans la salle (et malgré cet avertissement, cela s’avère exact) ! Les études de la DEP sont mal connues qui montrent que lors des évaluations nationales à l’entrée en collège, les filles réussissaient nettement mieux les épreuves où il s’agissait de respecter des règles, mais que les garçons les rattrapaient dès lors qu’il fallait utiliser davantage créativité et imagination. Autant d’indications pour d’autres pratiques pédagogiques, comme le fait d’organiser davantage la parole dans la classe pour la donner à tous et surtout à toutes, encourager les initiatives des filles au lieu de se contenter de mettre en valeur leur plus grand respect des normes scolaires, etc. (suite…)