Enseigner au XXI siècle

85% à avoir le socle, tout va bien alors , ou presque ?

On a ces jours-ci commenté les résultats aux divers bac, voire celui du Brevet (DNB), mais assez peu ce chiffre selon lequel on a validé, pour  85% des élèves de troisième, le socle commun de connaissances et compétences (puisque l’ajout « culture » concernera plutôt la nouvelle version, dans la dénomination)

On pourrait se réjouir, tout en trouvant que ce n’est pas assez puisque l’objectif du socle commun était bien que la Nation garantisse son obtention à tous les élèves d’une certaine façon.

On pourrait se réjouir qu’ainsi plus de huit petits français sur dix maîtrisent une langue étrangère, comprennent de façon satisfaisante ce qu’ils lisent et soient à l’aise avec les principaux outils mathématiques. Relisons les items de ce socle commun version 2005, on verra à quel point est absurde l’idée qu’il s’agirait d’un SMIC culturel (ce qui en soi d’ailleurs n’est pas une injure, n’en déplaise aux responsables du Parti de gauche qu’on laissera à leurs diatribes contre un rabaissement des exigences néo-libéral). Bien au contraire, le socle commun tel qu’il est énoncé est particulièrement exigeant sur le papier. Surtout si on applique le principe de la non-compensation : une faiblesse ici (en mathématique) ne devant pas être compensée par un point fort là (en langue étrangère).

Le problème est qu’on ne sait pas grand-chose du niveau d’exigence attendue, qu’on reste dans des généralités et que du coup, toutes les interprétations sont possibles et autorisent une validation d’items du « livret personnel de compétences » purement arbitraire et la plupart du temps complaisante.
Si on définissait, comme on l’a fait dans d’autres pays, un vrai niveau d’exigence, concret, opérationnel, alors on pourrait évaluer correctement, et peut-être se rendrait-on compte alors de tout le travail à accomplir pour que ce socle commun soit approprié par l’immense majorité des élèves, avec un changement de pratiques à la clé et en amont la mise en place de remédiations et d’aide tout le long du système.
Par exemple, on pourrait estimer que le niveau socle est atteint quand un élève parvient à lire une page d’un journal populaire (un quotidien régional ?) en dégageant trois idées essentielles et en sachant en faire un résumé clair, ou quand il peut exposer pendant trois à cinq minutes un dossier qu’il a préparé à l’avance, ou quand il peut se débrouiller dans une situation de communication simple en langue étrangère…

socle_du_monde

Le socle du monde, oeuvre de Piero Manzoni (Herring, Danemark)

C’est tout ce travail là qui n’a pas été fait, et n’est pas encore fait par le Conseil supérieur des programmes qui a livré un projet beaucoup trop général, abstrait, fait pour un élève idéal et pour le plaisir intellectuel d’une école renouant avec « l’esprit des Lumières » . Très bien, mais sans opérationnalisation, tout cela n’est que « words, words, words ».

La difficulté pour l’institution est d’accepter de jouer le jeu de la vérité. Si on édicte des niveaux à atteindre réalistes, mais effectifs, on s’apercevra peut-être que la réussite (réelle) sera moindre, dans un premier temps, car comment expliquer, sinon, les 20% d’élèves en difficulté sérieuse à l’entrée au collège ? On aura peut-être des résultats moins bons sur le papier, mais finalement plus conformes à une réalité qui devra alors être transformée, au lieu de se bercer de grandes déclarations. Et il faudrait faire alors preuve de patience pour attendre des résultats qui ne peuvent être immédiats, comme le soulignait d’ailleurs Vincent Peillon au moment de l’élection présidentielle, montrant par là la difficulté à conjuguer le temps court du politique et le temps long de l’éducation.

dessin citoyen

dessin de Charb pour « les cahiers pédagogiques »

Contrairement à ce que pensent les soi-disant « défenseurs des savoirs », les tenants d’une pédagogie progressiste et notamment de l’approche par compétences sont très loin de donner quitus au fonctionnement du système actuel, sont loin de nier ses résultats médiocres. Pour autant, ils n’adhèrent pas au désastreux discours catastrophiste de la décadence et refusent de voir dans tout constat de progrès des élèves la marque infamante de la démagogie et du faux semblant. Mais en même temps, si nous souhaitons que se mettent  en place un texte du socle commun et de nouveaux outils d’évaluation, en rupture notamment avec la notion de « moyenne », c’est bien parce que nous ne sommes pas satisfaits de notre école, c’est parce que nous jugeons qu’elle ne forme pas suffisamment le citoyen éclairé, qu’elle n’arme pas assez pour réussir sa vie.

Plus que jamais, il est nécessaire de travailler à la définition de ce qu’on veut faire atteindre par tous, à l’élaboration de standards qui permettront de distinguer l’excellence de l’exigence raisonnable (le « suffisamment bien ») et surtout à la mise en œuvre de stratégies de prévention du décrochage et de remédiations à tous les niveaux de la scolarité obligatoire.
La belle idée de socle commun, rejetée par la droite réactionnaire et élitiste, mais aussi hélas par une certaine gauche idéologique et irresponsable, préférant les envolées lyriques aux faits observables et aux petits pas en avant réels, a été dévoyée jusqu’ici par l’institution à divers étages, qui s’est contentée d’une gestion bureaucratique et d’un formalisme de façade. Depuis deux ans, des tentatives existent pour revoir la question et quitter l’hypocrisie et le formalisme.

Etant quelque peu impliqué dans ce travail de réélaboration à plusieurs titres, je reviendrai sur une question qui  ne concerne pas seulement les enseignants de primaire et de collège, mais tous les niveaux d’enseignement, y compris le supérieur (les futurs étudiants de demain), et plus généralement tous les citoyens….

Et puisque j’écris ce billet un 14 juillet, rêvons un peu : et si un jour le socle devenait un des symboles de la République ?

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