Enseigner au XXI siècle

A propos de la consultation sur le socle commun

En ces jours d’octobre, de nombreux enseignants de France sont consultés sur le socle commun dans les écoles et collèges. Pas tous, car il y a eu des recours dans certains départements de la part de parents d’élèves pour privation de jours de classe, et du coup la consultation n’aura pas toujours lieu. Il est vrai qu’il est assez incompréhensible de ne pas l’avoir mis partout un mercredi après-midi, alors même qu’il faut compenser le jour de rentrée qui avait été reculée, suite au triste épisode du report par Benoit Hamon de cette date.

Je voudrais ici faire une série de remarques sur cette consultation qui révèle un certain nombre de modes de fonctionnement de notre école qu’il faudrait absolument voir évoluer.

  • Il s’agit d’une consultation sur le socle, c’est-à-dire ce que tous les élèves doivent apprendre durant leur scolarité obligatoire. Et une des innovations issues de la loi de 2012 est l’existence d’un cycle commun école-collège (cycle 3 : CM et sixième). Cela aurait justifié un regroupement pour la circonstance d’écoles et de collèges dans les différents lieux. Un peu compliqué techniquement, je l’accorde, mais tellement plus cohérent. D’ailleurs, ici ou là, cela s’est fait et c’est une occasion d’échanger entre premier et second degré, ce qui n’est forcément fréquent. Sans le rendre obligatoire, cela aurait pu être encouragé par l’institution…
  • On a vu en cette circonstance au déferlement de diatribes contre rumorsl’institution et aux déclarations cyniques et désabusés, ainsi qu’à la diffusion de « rumeurs » et autres désinformations, de la part parfois d’organisations qui déshonorent la belle tradition du syndicalisme. Par exemple –et je n’invente rien :

–        on nous « enfume », on nous consulte sur les programmes, mais les futurs manuels sont déjà sous presse (je peux témoigner que c’est archi-faux, faisant partie d’un groupe de travail qui planche là-dessus, on en est très loin !)

–        si on nous réunit, c’est parce qu’on ne serait pas capables tout seuls de comprendre le socle ; on veut nous faire avaler une « pensée unique »

Ne parlons pas du scandale d’enseignants refusant de venir à cette concertation parce que normalement, n’est-ce pas, on ne travaille pas ce matin ou cet après-midi-là (ce qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui confondent temps de service devant élèves et temps de travail global qui est de 35 heures par semaine, avec 5 ou 6 semaines de congés payés normalement !)

vous-avez-dit-complot-copie11-1258422363–        il y en a là-haut qui tirent les ficelles (pourquoi pas les E.T.depuis une lointaine planète tant qu’on y est !). Ainsi la présence d’une représentante d’ATD Quart monde danshttp://lapilulerouge.unblog.fr/ovnis-la-theorie-du-complot/ le Conseil supérieur des programmes prouve qu’on veut nous faire des programmes alignés sur les plus pauvres ! (les paranos nous étonneront toujours : où vont-ils chercher ça ?)

–        arguments contradictoires : ce socle est idéaliste/ce socle aligne les enseignements sur le bas (il faut là aussi lire le texte pour y croire ! mais qui a lu le texte parmi ces contempteurs-là ?)

Tout cela est bien sûr un signe manifeste d’une société de défiance et du soupçon systématique. On peut très bien critiquer le socle commun (j’ai moi-même pas mal de réserves sur sa formulation actuelle), trouver la consultation mal organisée, improvisée, avec des objectifs mal définis, et cependant saluer son existence ou sa réactualisation et au moins en profiter pour qu’elle soit utile. Des équipes, je le sais, j’en ai eu des témoignages, ont fait « avec » la mauvaise organisation de départ et ont pu s’approprier ce qu’il y avait d’intéressant dans le texte (j’y reviens plus loin), échanger sur ce qui pourrait être fait dans l’établissement. Plus que jamais, il faut laisser de l’initiative, des marges de manœuvre. La ministre est allée dans ce sens, mais il faut poursuivre dans cette voie et ne pas décourager les équipes par des contrôles tâtillons et des pesanteurs administratives.

 

livre évaluation

notre ouvrage (collectif) sur le sujet

Oui, les objectifs de la consultation ne sont pas clairs, d’autant que celle-ci est à articuler avec d’un côté le travail sur les programmes qui se poursuit et qui ne peut attendre les conclusions de cette consultation, ce qui est un peu incohérent, et de l’autre côté la préparation de la conférence nationale sur l’évaluation qui aura lieu en décembre. Il y a eu beaucoup de retards, et on aurait pu imaginer cette consultation organisée début juillet pendant ces moments de fin d’année où ce genre d’échanges aurait toute sa place. Mais il y a eu la démission du président du CSP, Alain Boissinot, sans parler ensuite du changement de ministre fin août et sans doute d’un faible intérêt du précédent pour les affaires éducatives sur le fond. En fait, cette consultation aurait dû davantage être considérée comme un temps d’échanges autour du texte, avec une consigne simple du genre : donner trois propositions d’amendements du texte, trois points d’amélioration ce qui aurait permis un dépouillement assez rapide, alors que là on ne demandait pas de retours collectifs et seulement un remplissage individuel dont on se demande comment il sera exploité. On voudrait fabriquer de la défiance qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Il y a toujours bien des déficiences dans la stratégie ministérielle. A l’image peut-être du fonctionnement de notre système et de ce qui se passe dans les établissements, où les traditions d’une organisation efficace sont bien peu présentes !

Et cependant, oui, il faut faire avec, oui, il faut tirer le meilleur parti de cette occasion d’échanger qui est offerte.

Mais au-delà de tous ces problèmes, des insuffisances d’un socle encore trop sous le pouvoir de la magie des mots et d’une certaine « hypocrisie scolaire » de par son ambition excessive, de l’absence d’un texte-cadre sur l’évaluation qui aurait dû paraitre en même temps et qu’on attend quand même prochainement, il y a lengagement-et-la-persvrance-en-enseignement-suprieur-4-638une occasion unique de passer à un enseignement plus « curriculaire » (voir un précédent billet), de penser les programmes globalement, en faisant quelque peu tomber non les disciplines, mais les cloisons entre elles, de revoir la notion de « fondamentaux » en incluant tout ce qui est indispensable au citoyen éclairé de demain, de relier davantage les savoirs scolaires et les savoirs et compétences de la « vie », de revoir l’évaluation en la rendant plus efficace, plus soucieuse des progressions et au service de l’apprentissage. Occasion de répondre au choc Pisa des mauvais résultats de l’école française. Occasion de débattre de l’école autrement qu’à partir des tristes pamphlets de Brighelli ou des positions du collectif d’extrême-droite Racine.

Ce qui est encourageant, c’est que nombre d’équipes se sont saisies de l’occasion, discrètement souvent, car être trop positifs, n’est-ce pas, c’est se faire mal voir, entrer dans la fameuse catégorie à la mode des « bisounours » (qui concurrence la notion de « bobo » comme empêcheur de penser). Je crois qu’au fond, on avance, on ne peut plus se satisfaire de notre mode de fonctionnement, de l’école telle qu’elle est. Le tsunami qui n’est pas que numérique (qui est évoqué dans un livre récent par Emmanuel Davidenkoff) peut nous emporter, mais la grande vague nous élève aussi vers le haut et inonde les territoires qui veulent se protéger avec des barrières dérisoires. Il est temps de reconstruire et je reviendrai sur ce que peuvent avoir d’enthousiasmant les débats autour du socle, de l’évaluation des compétences, avec des exemples concrets tirés de ma pratique d’enseignant ou de ce que j’ai pu voir ailleurs. « Fatiguer le doute » disait Peillon, on en est toujours là ! Il faut s’en donner les moyens !

Commentaires (7)

  1. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    Que le texte du socle actuel soit insuffisant, certes. Que par contre le Ministère doive sortir un document qui dit à chacun « ce qu’il doit faire », non, ça ne me semble pas la bonne solution. Il faut trouver un point d’équilibre entre un texte-cadre (et là pour le moment le cadrage est insuffisant, mais les choses avancent au sein du conseil supérieur des programmes) et une marge d’autonomie laissée moins aux esneignants isolés qu’aux équipes.
    jmz

  2. Thierry techno

    D’abord
    « ceux qui confondent temps de service devant élèves et temps de travail global qui est de 35 heures par semaine,.. »

    Faux..
    Cher collègue, pour l’instant le temps hebdomadaire de travail enseignant n’est pas defini, je n’ai trouvé absolument aucun texte le définissant, si ce n’est celui des decrets de 1950…
    Vous n’êtes rétribuer pour l’instant, et même si le vote du Conseil technique ministeriel du 28 mars 2014 a entériné les 1607h annuels pour les enseignants du secondaire à la rentrée septembre 2015, vous n’êtes rétribué que pour le temps de présence devant élèves et la rédaction de sujets d’examen qu’un IEN peut vous demander..

    Charge à lui de vous inspecter selon son désidérata..

    Ensuite..
    J ne connaissais pas le socle, car je suis un PLP, détaché en collège pour un an, et en lycée pro le document conducteur est le référentiel de la spécialité enseigné, d’où mon regard critique sur le socle.

    Attention, je ne remets pas en cause le bien fondé, ni les objectifs louables du socle, mais je remets en cause, et là lourdement, car aux antipodes de la précision de nos référentiels, le flou, l’approximatif, le coté vaseux de ce texte « officiel ».
    J’ai l’impression de quelque chose d’inachevé, d’inutilisable dans l’état, et d’ailleurs mes doutes qui sont restés silencieux pendant la consultation se confirment ici même..
    Ils se confirment car je suis sidéré de lire
     » Il faut ,comme d’habitude s’emparer du socle , le rendre intelligent et intéressant, ne pas subir , agir, se retrousser les manches, … »
    Euh… au final servir de palliatif aux insuffisance de la direction des programmes, et bricoler chacun dans son coin; ou dans son académie un document qui aurait du se trouver en annexe du socle..
    C’est à dire un document synthétisant les items dans des tableuax, avec des definitions précises par item, et étayées par des exemples pratiques..
    pffff…. ce n’est pas normal comme démarche..

    Pour que je puisse travailler, la cible, le niveau doivent être définis avec précision par mes supérieurs, ce n’est pas à moi de les définir..

    Certains collègues peuvent se sentir flatter d’assumer ce rôle, mais là on peut se demander au final, quelle est l’utilité du socle car celui ci pourrait se résumer simplement à:
     » l’élève doit savoir lire, écrire, compter, se tenir en société.. »
    pfff..
    et ce serait à nous de définir l’apprentissage à mettre en oeuvre, pour acquérir ces compétences, ainsi que les niveaux à atteindre..

    Bienvenu en Absurdie…

  3. aclb

    Concertation cette après-midi sur le socle. J’en ressors un peu abattue. Nous en sommes encore à débattre du bien-fondé d’un socle commun. Aucune perspective enthousiasmante n’en ressort. J’aimerais bien être dans un autre collège ce soir…

  4. ANTHYME

    En ce mercredi matin de concertation, les enseignants du collège de mes enfants (Paris 15ème) sont absents , mais , curieusement, il n’y a pas de cantine non plus. Les personnels de cantine sont-ils aussi appelés à délibérer sur les programmes ?

  5. berthou

    C’est toujours un plaisir de te lire et à chaque fois tu vises juste !
    Demain au collège je fais un compte rendu du socle devant mes 53 collègues, et je suis enthousiaste ! Il faut ,comme d’habitude s’emparer du socle , le rendre intelligent et intéressant, ne pas subir , agir, se retrousser les manches, ne pas subir, jamais !!!
    Mes propositions pour demain et pour le socle nouveau : Développer le porte folio, créer des évaluation pluridisciplinaires, développer dans une large autonomie le tutorat entre pairs, renforcer et faire du travail d’équipe entre élève une des priorités, développer les projets « collège entiers » gérés par les élèves eux mêmes…

    Bon courage à tous

  6. Annie-Claire Benattar

    Quel plaisir de vous lire et quel réconfort! Merci

  7. Alain Boissinot

    Bravo pour cette belle synthèse dont l’honnêteté intellectuelle fait plaisir à lire.

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