Les concepteurs actuels des nouveaux programmes, au sein du Conseil supérieur des programmes, s’interrogent sur un point qui n’est pas anodin : faut-il définir pour la validation des compétences dans le cadre du socle commun des niveaux différents ? Roger-François Gauthier, dont je recommande vivement la lecture de son récent ouvrage, l’a expliqué au cours d’un colloque organisé par la Ligue de l’enseignement au Salon de l’éducation. lors de la table ronde du 27 novembre, dont j’étais l’un des participants.
Lorsqu’on veut bien discuter sérieusement, sans brandir de grandes phrases, sans sortir ses couteaux ou ses a prioris idéologiques, on peut s’interroger sur cette question qui se pose finalement dans l’enseignement à tous les niveaux, mais qui a une importance cruciale pour ce qui concerne « ce que tous les élèves doivent pouvoir maîtriser à la fin de leur scolarité obligatoire. »
Pour ma part, comme lui, je soutiens l’idée que c’est une bonne chose que de distinguer le « suffisamment bon » et l’excellence.
D’une part, cela rassure ceux qui craignent qu’on ne pousse pas assez ceux qui peuvent aller plus loin que l’exigence de base, que j’aurais volontiers appelé « minimale » si ce mot ne semblait signifier aux yeux de certains la tentative de « minimiser les savoirs ».
Et cela permet de contrecarrer l’idée du « socle pour les pauvres », puisqu’on peut tout autant développer ce que la DEP dans les années 90 appelait « compétences remarquables », mais qu’il faut auparavant bien définir des niveaux d’exigence différents, des échelles de compétences.
Or, dans notre école, on tend à confondre exigence et excellence. Je me souviens de cet élève me racontant qu’il n’avait pas bien compris que l’année d’avant, un professeur lui avait mis 20 sur 20 tout en lui disant qu’il pourrait mieux faire. Dans l’absolu, on peut toujours mieux faire, certes ! Et je pense aussi à Amal, jeune fille retrouvant mon adresse mail et me faisant part de ses souvenirs d’élève avec moi comme professeur et me parlant de sa surprise totale quand je lui avais rendu une rédaction notée 20 sur 20 (je notais les devoirs avec des chiffres à l’époque), elle ne croyait pas cela possible « en rédaction » ! Il y a un niveau d’excellence, qui n’est pas la perfection, mais bien une compétence bien maîtrisée, solide, au-delà de ce qui est demandé à tous. Et puis le niveau satisfaisant, qui correspond au « minimum » de qualification en sports qu’on essaie d’atteindre pour être qualifié pour prendre une métaphore qui a, comme toute métaphore, ses limites.
Cela implique un vrai travail de fond pour définir des standards d’exigence. Dans mon domaine, le français, que signifie pour un élève en fin de troisième être un tant soit peu compétent en orthographe, sinon peut-être être capable de se corriger à la relecture et ne pas laisser d’erreurs (ou très peu) sur les principales chaines d’accord dans la phrase et sur les terminaisons verbales (et peut-être quelques homophones grammaticaux fréquents) ? Ou, pour le récit, en fin de cycle 3 (première année de collège), savoir rédiger un texte qui s’enchaine bien et qui est logique. La compétence remarquable sera par exemple d’être capable d’insérer des moments de pause dans le déroulement narratif, de produire un récit « intéressant » pour le lecteur, etc.
Il faut avoir le courage de définir ce niveau d’exigence, à tous les stades de l’enseignement, en sachant qu’il sera à chaque fois imparfait, contestable, critiquable, mais servira de boussole, tout en incitant chacun à essayer d’aller plus loin.
J’aime bien l’expression « suffisamment bon », que Winicott appliquait à l’éducation donnée par les parents, je l’aime dans sa modestie, mais aussi finalement dans son ambition. Parce qu’on peut se payer de mots, clamer que tout ce qui est enseigné doit être maitrisé par tous, qu’il ne faut rabaisser aucune exigence tout en sachant parfaitement que certaines sont inatteignables, mais que voulez-vous , tout le monde ne peut pas réussir…
Encore une fois, il s’agit de quitter le confort de l’hypocrisie scolaire, des grandes déclarations de principe qui sont totalement inefficaces pour rendre l’école plus juste, et oser établir des repères pour tous, en étant réalistes mais parfaitement ambitieux précisément parce que l’on reste réalistes, ancrés dans le réel des apprentissages et non perdu dans le vide des mots creux qui masquent l’élitisme et la sélection.
Et pourquoi les futurs programmes ne distingueraient-ils pas ces niveaux de suffisance et d’exigence? Actuellement les barèmes sont, hors examens, laissés à l’entière liberté pédagogique de l’enseignant. La cause en est sans doute la volonté de s’adapter à des contextes locaux bien différents. Mais finalement ne faut-il pas revenir à des programmes un peu plus prescriptifs, comme cela a été fait en EPS en 2008 au collège, pour résoudre le problème des « éternels débutants », qui arrivaient au lycée en ayant abordé un tas d’activités mais en n’en maîtrisant vraiment aucune. Afin d’assurer une véritable culture commune (je dirais une ambition commune), les compétences ne doivent-elles pas être gravées dans le marbre?
Pingback: Niveau suffisant/niveau excellent : quel enjeu ...
Pingback: Dans notre école, on tend à confondre exigence et excellence. #programme #niveau A lire par JM Zakhartchouk | Le Blog Education de Christian