Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: janvier 2015

« Je suis Charlie » : un slogan abstrait ?

S’est-on interrogé suffisamment sur la signification du fameux « je suis Charlie », ce qu’il représente, en particulier dans le monde scolaire ?
je suis multipleSon originalité vient sans doute du « je » qui tranche avec l’injonction « nous sommes tous Charlie » qui gomme l’engagement personnel et n’aurait sans doute pas pu voir naitre les extensions saugrenues comme « je suis flic ». Slogan moderne en ce qu’il lie le collectif à une affirmation individuelle, cette  individuation  qui ne noie pas dans l’unanimisme obligatoire du « nous » ou du « on », du moins ne devrait pas le faire.

Ce « je suis », couplé donc à d’autres « je suis » (juif, musulman, athée..) signifie bien l’adhésion à quelque chose de plus fort que des opinions toujours discutables, qui va au-delà du débat démocratique avec ses conflits ordinaires et normaux, une adhésion à des valeurs qui sont celles de la République, mais comprise comme République démocratique (mais attention, si on rajoute « authentique », ça fait aussi RDA !) comme je l’ai développé dans mon précédent billet. (suite…)

Transmettre les valeurs de la République ?

Sur le site du Ministère en introduction à la première des onze mesures prônées par la ministre, on peut lire :

ecole mobilisationLa République « a fait » l’École dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Puis l’École « a fait » la République en construisant un savoir-être, une capacité d’argumentation, une culture de la raison et du jugement, en transmettant les valeurs républicaines et humanistes et en favorisant l’adhésion à ces valeurs.

Il y aurait beaucoup à dire sur ces raccourcis historiques qui renvoient en grande partie à une légende dorée dans laquelle on fait jouer un rôle majeur à ces fameux « hussards noirs » évoqués par Peguy, expression brillante, mais qui n’est peut-être qu’un cliché masquant une réalité plus nuancée et contrastée. L’école a certes exalté la culture de la raison, mais celle-ci s’est bien accommodée de l’exclusion des femmes de la vie politique, du colonialisme, d’un profond élitisme qui éloignait la grande masse des élèves d’une scolarité longue, etc. Une légende noire ne vaudrait pas mieux d’ailleurs, rendant quasiment l’école responsable du chauvinisme ou du machisme profond de la société française d’alors. Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité…

Mais l’objet de ce billet n’est nullement de faire un retour historique, (suite…)

Qu’est-ce qui fait autorité ?

je suis charlieLes événements récents font entre autres ressortir la nécessité de travailler à l’école la question du « vrai », face à la déferlante de rumeurs, absurdités complotistes et autres désinformations. On a du retard et il faut en marche forcée le rattraper.

Dans un ancien dossier des Cahiers pédagogiques de 2000, je plaidais pour une distinction essentielle à opérer entre l’esprit critique et l’esprit de critique, cet « esprit qui dit non ». J’ai développé cela à nouveau dans un récent ouvrage Construire l’autorité coordonné par Bruno RPA_Couverture_Accompagner_lycéeRobbes et je voudrais ici reprendre quelques questions que je posai au début d’une contribution intitulée Esprit critique contre argument d’autorité ?

« Comment éviter le choc des légitimités, lorsqu’il y a des contradictions (le cas le plus spectaculaire étant celui des religions face à la « vérité historique ou scientifique ») ? Mais aussi comment aider les élèves à naviguer entre autorité de l’École, celle de la famille, et celle de la conformité avec ce que pense le groupe de pairs (parfois fabriqué par les médias, la pression publicitaire, etc.) ?

– Comment ne pas heurter les sensibilités familiales, sans pour autant édulcorer le message de l’École ?

– Comment ne pas trop déstabiliser les élèves en poussant trop loin l’idée de relativité des savoirs ?

– Comment ne pas développer une culture excessive du « doute » qui fait dériver vers une pensée quasi paranoïaque (« on nous cache tout, on nous dit rien ») ?

Il est important de faire comprendre que chercher par exemple à qui profite tel document, tel développement n’invalide pas forcément le document. »

On est ainsi souvent déstabilisé par la logique folle du doute absolu, de l’hypercriticisme. Traiter ces phénomènes par le mépris ou par le coup de menton autoritaire ne règle rien et condamne à l’impuissance, puisqu’on n’aura pas fait bouger ceux qui ont exprimé le doute, ceux qui croient aux balivernes de certains réseaux sociaux, or, c’est bien notre objectif ! (suite…)

« Je suis Charlie », bien sûr! mais que faire à l’école?

Bien sûr, d’abord l’émotion, qu’on a envie d’exprimer comme chacun. Tout est dit en ces jours dans les médias, sur les forums, mais n’a-t-on pas besoin de verbaliser la stupeur, l’indignation et l’immense peine? Et quand on est de ma génération directement post-soixanthuitarde, viennent des souvenirs de dessins célèbres qui ont accompagné mon parcours , les dessins corrosifs et talentueux de Wolinski et Cabu (il y avait aussi à l’époque Konk, qui a si mal tourné à la consternation générale, vers l’extrême-droite, et le regretté Reiser). Ah, ce dessin de Wolinski avec l’ouvrier soupirant aux lendemains de déclarations de Georges Marchais abandonnant officiellement la « dictature du prolétariat » : « dommage, je ne deviendrai jamais dictateur » ou ceux du « Roi des Cons » ! Et la nouveau beaufcréation fabuleuse du personnage de « beauf » par Cabu (il y a peu d’auteurs capables de transformer une trouvaille personnelle en une expression devenue courante), renouvelé avec les « nouveaux beaufs » du Canard enchaîné. Et Charb, apparu bien plus tardivement, était aussi un ami des Cahiers pédagogiques pour lesquels il offrait chaque mois un dessin commentant l’actualité, avec le simple cadeau de notre part de quelques bonnes bouteilles tous les ans, symbole du bien vivre cher à l’équipe de Charlie. Ces bouteilles qu’on venait juste de lui envoyer à l’occasion du nouvel An ! (suite…)

Douze souhaits pour 2015

Mes souhaits concernant l’école. A la fin 2015, on aura du mal à évaluer la réalisation de certains, on peut vraiment craindre que certains ne se réalisent guère, on est presque sûr que les 7, 11, voire 8 sont utopiques ! Pour le 12, concernant ce blog, ça s’est réalisé en 2014 pour l’essentiel, il faut que ça continue…

  1. Que la ministre aille jusqu’au bout sur le projet de répartition des moyens en fonction de la composition sociologique des établissements.
  2. Qu’on mette enfin en œuvre une nouvelle logique pour les programmes scolaires, en les transformant radicalement de directives pour enseigner à
    600px-Ambrogio_Lorenzetti_002

    le bon gouvernement de Ambrogio Lorenzetti (à Sienne)

    repères dans un curriculum pour apprendre.

  3. Que le nouveau « parcours éducatif artistique et culturel » ne soit pas un gadget, mais soit une « ardente obligation » pour chaque enseignant ;
  4. Que les ESPE remplissent davantage le cahier des charges que leur a fixé la loi d’orientation en formant vraiment au métier.
  5. Que, suite aux débats sur l’évaluation, on encourage au moins des alternatives à la notation traditionnelle et qu’on supprime les « moyennes générales ».
  6. Que commence à prendre vie le cycle 3, pivot de la liaison école-collège.
  7. Que les éternels contempteurs de la pédagogie prennent la peine de lire ,  orthode lire vraiment, quelques écrits de leurs adversaires au lieu de, caricaturer ou plutôt déformer leurs propos.
  8. Que les médias s’intéressent un peu plus, un tout petit plus, à ce qui marche dans les écoles et donnent la parole aux innovateurs au moins autant qu’aux conservateurs, que les grands journaux accordent aux ouvrages et revues de réflexion pédagogique au moins le dixième de ce qu’ils donnent comme place à la littérature par exemple.
  9. Que mes collègues se plongent un peu dans des lectures pédagogiques et qu’on arrête d’opposer le « bon sens » ou les « réalités du terrain » à la recherche.
  10. Que des partis se réclament de la gauche, et de la gauche radicale, arrêtent de soutenir les positions les plus réactionnaires et de dénigrer les innovations pédagogiques.
  11. Que certains penseurs de l’école, tous bords confondus, sociologues, philosophes, psychologues, pédagogues, cessent de « vouloir donner la leçon » en disant le Bien et le Mal et de porter des jugements péremptoires sur les pratiques.
  12. Que les billets de blogs et tribunes sur l’école soient commentés de manière courtoise, posée et raisonnée, sans trolls, sans vociférations et ricanement cynique…et avec un minimum de correction de la langue.

(suite…)