Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: mars 2015

Via sacra

Le président d’une association de professeurs de Lettres osait récemment comparer les « attaques contre l’enseignement du latin » venant du Ministère à la destruction des objets d’art de Mossoul ou les manuscrits de Tombouctou.

Pas de réponse plus pertinente que la savoureuse lettre que lui a adressée une enseignante de Lettres classiques :

Monsieur le Président,

Professeur de Lettres classiques, je découvre par hasard votre site et je suis ravie de voir que, face à tous ceux qui se répandent en lamentations sur les projets de réforme du collège, vous avez trouvé la bonne réponse : l’ excès, l’humour absurde, la démesure. Tombouctou, Mossoul, les barbares, le crime, le suicide, tout cela est excellent pour faire comprendre le ridicule des pleureurs et leur montrer leur béjaune , comme on disait chez Molière, car ce sont bien eux qui « suicident » leur cause à force de ne point raison garder et de refuser des évolutions qu’ils pourraient d’ailleurs infléchir s’ils acceptaient d’y contribuer.

Faisons évoluer les choses dans un sens positif !

latin-3eme-livre-de-l-eleve-editon-2012C’est vrai qu’on est tellement éberlué par ces excès verbaux qu’on se demande parfois s’ils ne sont pas parodiques. Hélas non !

Les « défenseurs des langues anciennes » sont souvent de bien singuliers personnages, qui manient avec plus ou moins de dextérité la mauvaise foi, la démagogie et le narcissisme disciplinaire. Je ne parle pas de ceux qui peuvent argumenter raisonnablement, qui nous font réfléchir sur une question complexe et acceptent le dialogue. Je parle de ces furieux qui ne veulent même pas qu’on discute de la pertinence d’un enseignement spécifique au collège des langues anciennes et qui traitent de khmers rouges ou de talibans ceux qui osent avancer une autre opinion.

Pourtant, un illustre spécialiste, Paul Veyne, va beaucoup plus loin et revendique l’idée de ne garder l’enseignement structuré et systématique du latin et du grec qu’à l’université.

Ce que propose le ministère est d’une part d’intégrer, encore plus qu’aujourd’hui, les langues et cultures de l’Antiquité à l’enseignement du français, et d’autre part de prévoir une thématique spéciale dans le cadre des « enseignements pratiques interdisciplinaires » avec une possibilité de dérogation à la règle d’ateliers tournants, concession faite aux partisans d’une continuité pour les langues anciennes sur les trois ans du cycle. Il ne s’agirait en aucun cas de la disparition des langues anciennes, mais de leur intégration plus profonde aux programmes ordinaires.
Les arguments utilisés par les adorateurs des langues anciennes sont connus : on a besoin de connaitre nos racines (un mot cependant qu’il convient de revisiter à l’heure des « français de souche »), le latin et le grec sont utiles pour la compréhension de beaucoup de mots et d’expressions du français d’aujourd’hui, ces langues forment l’esprit, etc. (suite…)

Plus indigent que sinistre ou plus sinistre qu’indigent ? Le programme du FN sur l’école…

SI l’on veut connaitre les positions précises du Front national sur l’école, on ne peut se référer sur le site officiel qu’à un ensemble assez court qui apparemment date de la fin du quinquennat de Sarkozy et qui n’a pas été mis à jour. Certes, depuis a été créé le collectif Racine, les enseignants « bleu marine » dont j’ai parlé dans un précédent billet et qui régulièrement publient des communiqués qui vont toujours dans le sens de la nostalgie d’un passé mythifié et de la soi-disant « restauration », dans le démolissage de toutes les initiatives gouvernementales et dans le soutien aux mouvements les plus réactionnaires dans le domaine scolaire.

Mais revenons au programme FN qui ose se qualifier de « refondateur » -il sera peut-être prochainement réactualisé, probablement en allant vers le pire puisqu’on suppose que les reproches adressées à l’école de Sarkozy ne sont rien par rapport à l’attaque en règle contre l’école « socialiste » (théorie du genre, interdisciplinarité ou fin des bourses au mérite …)

D’abord, je me suis demandé qu’est-ce qui distingue ce programme des positions sur l’école de ceux qui pilonnent sans cesse le « pédagogisme » ? Sans doute la radicalité et l’extrémisme, mais au fond pas tant de choses. On trouve l’affirmation de l’autorité-rataplaplan, la référence à la culture nationale, la verticalité du rapport maitre/élève, la condamnation du collège unique et le recours à la sélection précoce, le recentrage en primaire sur le français et le calcul (on ne parle même pas de mathématiques et l’on réduit le français aux règles d’orthographe et de grammaire). (suite…)

Le rocher de Sisyphe va-t-il enfin tenir ?

Je ne peux que me réjouir de l’annonce faite par la ministre de l’éducation nationale de la mise en place, à la rentrée 2016, d’heures dites d’enseignements pratiques interdisciplinaires au collège. Et d’espérer que pour une fois le rocher monté par le malheureux sisypheSisyphe-pédagogue va rester en haut de la colline et ne pas retomber comme il l’a déjà fait sous d’autres noms : découverte du milieu (années 50)10% (années 60-70), thèmes transversaux (années 80), itinéraires de découverte (fin années 90).

Si je voulais être un peu dans l’excès, et utiliser une métaphore plus contemporaine, je parodierais le début du Manifeste communiste de Marx : « Un spectre hante l’école française : le spectre de l’interdisciplinarité. Toutes les puissances de la vieille école se sont unies en une Sainte-Alliance pour traquer ce spectre : les syndicats conservateurs, les politiciens réactionnaires, les éternels pseudo-intellectuels anti-pédagogues. Pour certains, il s’agit de « machins » flous qui nous éloignent des savoirs sérieux, bien cloisonnés dans leur discipline ad vitam eternam, pour d’autres, il s’agit d’une nouvelle attaque contre la Culture et le triomphe de l’école du « bien-être » contre celle de l’effort où l’ennui est quasiment une vertu républicaine.’. Il faut par exemple lire ce qu’écrit l’inénarrable Sophie Coignard dans cet organe quasi extrêmiste qu’est devenu le Point (surtout en matière d’éducation), et relire ce que j’avais écrit sur la « qualité » de ses analyses. (suite…)

Un impératif: apprendre la langue de l’école

Dans une note qui vient d’être publié, France Stratégie montre à quel point les enfants issus de l’immigration ont davantage de difficultés que les autres, à revenu égal, à classe sociale équivalente, à s’insérer professionnellement. Et l’école a sans doute, affirme l’étude, une grande part de responsabilité. On y rappelle que les résultats de Pisa sont tristement éloquents : à l’âge de quinze ans, les jeunes issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de figurer parmi les élèves en difficulté. 43% sont en dessous du niveau en mathématiques contre 22% en moyenne toutes catégories confondues dans les pays de l’OCDE. Et plus grave : « l’analyse statistique montre que, même après prise en compte du milieu socioéconomique, les élèves issus de l’immigration en France obtiennent en moyenne des scores inférieurs de 37 points à ceux des autres élèves, soit presque l’équivalent d’une année d’études (contre 21 points en moyenne dans les pays de l’OCDE) »

A partir de là, interprétation des faits et solutions possibles peuvent diverger. Même s’il parait clair que l’absence de mixité « ethnique » (mot que j’utilise faute de mieux) est certainement un facteur très négatif. Certains en effet pourraient avoir une lecture très réactionnaire du phénomène : décidément, ils ne savent pas s’adapter, ne parlent pas assez français à la maison, font partie de populations « inassimilables » etc. Et pointeront l’échec de politiques de discrimination positive (« on a déjà fait assez, en pure perte »)

Bien évidemment, il existe une autre lecture, qui met en avant les insuffisances de notre système scolaire, entre autres. C’est de cela dont il sera question ici, même si d’autres facteurs bien sûr entrent en ligne de compte.

L’étude fait allusion aux difficultés linguistiques qui s’accumulent. Nous nous centrerons là-dessus dans ce billet, mais l’action sur la carte scolaire, sur les procédures d’orientation, sur le travail avec les familles a une importance essentielle.

En fait, beaucoup de ces enfants ne possèdent pas vraiment les codes qui leur permettent d’accéder plus tard à de meilleurs emplois, de suivre des études supérieures, etc. Stéphane Beaud l’avait bien montré dans un ouvrage magistral, lui aussi interprété parfois dans un sens réactionnaire contrairement à ce que soutenait l’auteur. Les codes d’accès, c’est un ensemble bien complexe, dont fait partie ce qu’on appelle justement la« langue de l’école ». Les nouveaux programmes de la scolarité obligatoire, comme les propositions concernant l’école maternelle, vont insister sur l’importance capitale de son apprentissage tout le long de la scolarité. A cet égard, il faut revoir la notion de « fondamentaux ». (suite…)