Enseigner au XXI siècle

Plus indigent que sinistre ou plus sinistre qu’indigent ? Le programme du FN sur l’école…

SI l’on veut connaitre les positions précises du Front national sur l’école, on ne peut se référer sur le site officiel qu’à un ensemble assez court qui apparemment date de la fin du quinquennat de Sarkozy et qui n’a pas été mis à jour. Certes, depuis a été créé le collectif Racine, les enseignants « bleu marine » dont j’ai parlé dans un précédent billet et qui régulièrement publient des communiqués qui vont toujours dans le sens de la nostalgie d’un passé mythifié et de la soi-disant « restauration », dans le démolissage de toutes les initiatives gouvernementales et dans le soutien aux mouvements les plus réactionnaires dans le domaine scolaire.

Mais revenons au programme FN qui ose se qualifier de « refondateur » -il sera peut-être prochainement réactualisé, probablement en allant vers le pire puisqu’on suppose que les reproches adressées à l’école de Sarkozy ne sont rien par rapport à l’attaque en règle contre l’école « socialiste » (théorie du genre, interdisciplinarité ou fin des bourses au mérite …)

D’abord, je me suis demandé qu’est-ce qui distingue ce programme des positions sur l’école de ceux qui pilonnent sans cesse le « pédagogisme » ? Sans doute la radicalité et l’extrémisme, mais au fond pas tant de choses. On trouve l’affirmation de l’autorité-rataplaplan, la référence à la culture nationale, la verticalité du rapport maitre/élève, la condamnation du collège unique et le recours à la sélection précoce, le recentrage en primaire sur le français et le calcul (on ne parle même pas de mathématiques et l’on réduit le français aux règles d’orthographe et de grammaire).

école d'autrefois1Ce qui frappe quand même, c’est l’extrême fermeture de cette école : fermée aux nouvelles technologies, à l’histoire européenne et mondiale, au monde du XXI° siècle. On objectera que le mot « ouverture » est présent dans la phrase : « L’école doit aussi donner au citoyen les moyens de subvenir à ses besoins et à ceux des siens, sachant qu’il changera probablement trois ou quatre fois de métier au cours de sa vie active. Les programmes doivent présenter les fondamentaux de chaque matière dans une perspective d’ouverture. » Mais on ne voit pas bien ce que signifie ici cette « ouverture » qui devrait être si on prend le début « subvenir à ses besoins » (remarquons le caractère réducteur de la formule, digne d’une mauvaise rédaction de troisième) être justement une conception large des compétences du siècle présent (savoir s’exprimer à l’oral, travailler avec les autres, se constituer un esprit critique, pour pouvoir par exemple décoder un tract du FN…) qui ne se trouvent absolument pas dans ce « programme » rudimentaire.

Beaucoup de fausse naïveté : dans un programme global, les solutions aux manquements à l’autorité qui sont proposés sont : « se lever quand le professeur entre en classe, bannir le tutoiement par l’élève de l’enseignant. » On ne sait pas si cela s’étend à l’école anematernelle d’ailleurs ! En oubliant, comme Sarkozy qui était friand de cette formule de l’élève qui se lève, que ce qui compte vraiment c’est ce qui se passe une fois qu’il est assis et que cela ne peut se régler par la multiplication de sanctions (alors qu’on sait que c’est plutôt un mauvais signe quand les établissements battent les records de conseils de discipline, etc.) On est là dans les solutions simplistes, d’ailleurs irréalistes du FN, sauf à être dans un régime vraiment autoritaire qui très vite remplirait les prisons et les lieux de rétention spécialisés. La désinformation de l’opinion en la matière est faramineuse et j’en veux à certains intellectuels de se faire l’écho de cette désinformation, comme si le respect des professeurs et le combat pour plus d’autorité n’étaient pas déjà à l’ordre du jour de tous les établissements, mais sous d’autres formes et avec une vraie réflexion dans les meilleurs des cas. Cette histoire du laxisme généralisé est tellement éloignée de la réalité ! Au passage, le FN écrit : « Depuis une quinzaine d’années, l’insécurité à l’école n’a cessé de progresser, de l’ordre de 10% par an d’après les chiffres officiels. Or la transmission du savoir ne peut s’effectuer ni dans le chaos, ni dans l’anarchie. » On aimerait les références à ces chiffres, mais la précision des données n’est pas le fort de ce parti, on le sait.

Sur les savoirs, on trouve très peu d’ambition, sauf pour « l’élite » à l’image des candidats aux élections départementales à mille lieues de ceux qui savent comme l’ancien élève HEC Philippot ou quelques rares lettrés réactionnaires et qui brillent par leurs manquements à l’orthographe dans leur tract (mais c’est sans doute le faute de notre école !) et ne savent pas parfois dans quel canton ils se présentent. Le FN parle de « viatique » limité. Eh bien, on y est dans le viatique limité là.

Quels contenus ? « Le français, langue latine s’écrivant dans un alphabet latin, seule la méthode syllabique est appropriée pour apprendre à le lire et à l’écrire correctement. Son enseignement comprend le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire et l’approche des grands auteurs. » S’y ajoutent d’une part des notions solides sur l’histoire de France, à partir de la chronologie et de figures symboliques qui se gravent dans les mémoires, d’autre part une connaissance de la géographie du pays, reposant sur des cartes. À l’école primaire, s’ajoute encore l’apprentissage du calcul. Tout au long de la scolarité, les enseignements doivent être délivrés dans une langue limpide, d’où sont bannis les termes jargonnant et les dernières modes qui peuvent agiter légitimement les spécialistes. L’objectif n’est pas un savoir de spécialistes, mais un viatique pour vivre ensemble. »

J’adore le « vivre ensemble » qui en langage FN signifie « chez nous », là où on ignore l’histoire de l’Afrique ou de l’Asie, la littérature mondiale. Quels textes de grands auteurs nous proposeront les programmes FN ? Le Hugo pourfendant la guillotine, le Zola de l’affaire Dreyfus que des journaux attaquaient parce qu’il n’était pas « français de souche »  (expression récemment revendiqué explicitement par Marion Maréchal-Le Pen)?…Et de quelles grandes figures historiques est-il question ? Nul doute qu’on va être plutôt du côté de Zemmour et Casali que de Jeanneney ou Borne.

On trouve encore bien des choses qui ne déplairont pas à certains.

  • L’insistance sur le fait que le maitre « sait » : il n’est jamais question de chercher ensemble, de travailler avec les élèves sur les manières non pas de « construire les savoirs » au sens où l’entendent les réactionnaires mais de comprendre comment on peut savoir quelque chose, comment on va chercher le savoir, le trier, le vérifier, à l’heure d’internet. Tout cela est totalement absent, mais il est vrai qu’on aime bien obéir à un chef aveuglément, sans trop réfléchir, au FN…
  • l’école « sanctuaire », ce qui veut dire le rejet de l’état d’esprit « pédagogiste » qui n’est guère défini, un état d’esprit qui est en tout cas FN-incompatible, c’est vrai !
  • la flatterie envers le professeur, avec une hostilité marquée envers le monde des parents qui aurait tendance, suggère-t-on, à le considérer comme « client », comme si c’était un fait général. Mais il est vrai que ceux qui ne maitrisent pas la langue française devront la fermer ou suivre des cours obligatoires (comme ceux qui la manient avec vulgarité à travers leurs tweets racistes, n’est-ce pas ?)
  • l’installation de portiques de détection des métaux, comme remède à la violence (mais il s’agit ici de faire peur et laisser penser que les armes entrent à l’école)
  • le maintien obligatoire de la note (ils devraient dire d’ailleurs son rétablissement là où elle a été supprimée). Et réacs de tous bords d’applaudir, non ? Michel Onfray, ça fait partie des vérités dites par la Droite extrême ? Dans la foulée, le Bac sans le moindre contrôle continu, mais avec beaucoup plus de sélectivité. Pourquoi pas un mot d’ordre : 20% d’une classe d’âge au niveau du bac pour 2020 ?
  • la démagogie d’une phrase telle que « les efforts de réduction d’effectifs seront concentrés sur l’administration centrale du ministère de l’Education nationale », comme si cela pouvait représenter quelque chose de significatif en matière de dépenses.

On peut relever bien entendu tout ce qui est absent de ce programme, en plus de ce que j’ai noté plus haut : le travail d’équipe, les projets, le développement de la créativité et de compétences civiques et sociales, le souci de réduire les inégalités (et on dit que le FN se préoccupe des classes populaires !), la réduction de la fracture numérique, sans oublier le partage d’une culture artistique par tous. Et bien entendu tout ce qui aurait un rapport même lointain à la construction d’une conscience européenne ou de « citoyen du monde ».

En fait, si les aspects nationalistes sont un peu accentués par rapport à la doxa anti-pédagogique, on retrouve bien des thématiques qui justifient le soutien clairement exprimé du FN et du collectif Racine aux syndicats réactionnaires et anti-réformes aux élections professionnelles de l’Education nationale, ainsi que celles de ces intellectuels qui font honte à la pensée dès qu’ils parlent de l’école arutro ui(les Finkielkraut, Julliard, Comte-Sponville). Je connais les sophismes de ces derniers : en gros, on a laissé l’autorité, la transmission, l’histoire nationale, etc. au FN, il faut les revendiquer. Or, on ne parle pas de la même chose quand on parle de tout cela, « on » n’a rien laissé à personne, les pédagogues qui se respectent sont les premiers à revendiquer la connaissance, la nécessaire autorité (mais pas celle qui diminue les pouvoirs de chacun, celle qui aide à se construire), mais aussi bien sûr les outils de la citoyenneté nécessaires pour s’opposer aux idées folles et plus que démagogiques du FN et de quelques autres. Il faut bien dire qu’on est loin d’avoir réussi à faire passer ces idées.
Plus que jamais, il faut démonter le discours de l’extrême-droite, même masquée et s’opposer à sa « résistible ascension ».

Commentaires (15)

  1. Pingback: Programmes éducatifs : continuité ou ruptures ? | Enseigner au XXI siècle

  2. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    Tout à fait, quand un parti se met à définir la « beauté », on ne peut qu’être inquiet…

  3. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    La grosse fatigue, c’est moi qui l’ai à lire ce genre de commentaire stéréotypé. mais pourquoi donc certains prennent-ils des pseudo aussi ridicules?

  4. tungstene

    vous évoquez la culture selon le FN, mais alors que dire sur sa vision de l’art?
    que le FN définit par un promotion du beau et de l’agréable, ce n’est pas sans rappeler un art qui a été catalogué comme dégénéré à une certaine époque outre rhin

  5. Grosse Fatigue

    Mouais. Il est bien dommage que ce soit le FN qui propose un retour à ce genre de choses. Parce que franchement, quand on a des gosses, et que l’on voit ce que l’on voit, effectivement, on a envie que les enfants bénéficient de ce dont on a bénéficié : des règles de grammaire, de la lecture, des devoirs, une méthode intelligente, un peu d’ordre en cours, et pas de Meirieu du tout. Tant que la gauche (je suis moi-même de la gauche morte) croira à la démagogie en classe, à l’épanouissement des enfants-clients et de leurs parents consommateurs, il ne faudra pas se plaindre, hélas.

  6. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    Je n’ai pas grand chose à répondre à votre diatribe si peu argumentée, mais je vois avec plaisir qu’au moins, vous luttez contre le FN. AU moins ce point nous est commun…

  7. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    je rencontre tout le temps des gens qui ont les mains dans le cambouis, et par exemple comme élu municipal, je travaille avec des équipes d’école qui font un travail formidable et qui souvent marchent. J’ai toujours enseigné en éducation prioritaire et mes enfants ont été dans une école puis un collège en zone prioritaire. Je vous laisse à votre mépris et à votre démagogie. Mettre des lettres capitales et écrire « point barre » n’élèvent pas le niveau de l’argumentation, si j’ose appeler ça « argumentation »!

  8. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    du moment que les idées du FN vous révulsent, je vous réponds bien sûr, mais j’élimine désormais les commentaires qui implicitent saluent les idées du FN. Je suis d’accord avec vous, il n’y a aucune « méthode miracle ». VOir les travaux de Goigoux. Et la méthode globale (peu appliquée de toutes façons) n’a pas d’efficacité en soi. Ce qui compte, ce sont les pratiques réelles sur le terrain, mais s’appuyant sur des recherches. Je pense que les propos autoritaires sont à proscrire et si vous lisez mon blog, vous verrez que je suis tout sauf un esprit dogmatique.

  9. Druart Patrick

    Au secours !
    Les théories de Meirieu, appliquées béatement par des inspecteurs zélés qui ont fait des générations d’enfants non-lecteurs dans nos campagnes ( interdiction aux jeunes institutrices débutantes de se servir d’un livre de lecture au Cp alors qu’elles avaient en charge 3 cours !), sont toujours plébiscitées.
    Votre article est pitoyable ! Je lutte, dans ma vie de tous les jours, autant contre le FN que contre les pédagogistes dans votre genre !
    Ce qui me réjouit : c’est un travail à temps plein !

  10. Un partageux

    « seule la méthode syllabique est appropriée pour apprendre à lire et à écrire »

    Bon, c’est une grosse connerie. Mais on trouve trop souvent la connerie symétrique où la méthode globale serait la seule méthode. Ce qui, au passage, permet de mettre à la trappe toutes les autres méthodes dont les béotiens ne connaissent même pas l’existence.

    Comme si une méthode était LA méthode — dogme de l’infaillibilité quasi-pontificale — adaptée à TOUS les gosses ! Comme si tous les gosses apprenaient de la même façon ! Comme si tous les gosses étaient faits dans le même moule !

    N’oublions pas que les oukases et les propos autoritaires d’un côté — et les idées du FN me révulsent —  aident à tenir des propos tout aussi autoritaires ailleurs. Et vice-versa…

  11. philippe

    Rappel des faits :
    1) La très grande majorité de ceux qui ont les mains dans le cambouis rejette totalement vos idées en matière de pédagogie (projets à tout va, suppression des notes, etc …). Parce qu’ils sont d’extrême droite comme vous le suggérez ? Non, tout simplement parce que cela ne marche pas. Point barre.

    2) Les hiérarques du PS et autres hauts fonctionnaires du Ministère de l’éducation nationale qui soutiennent ces méthodes inefficaces mettent leurs enfants dans des écoles (privé ou publiques, peu importe) des beaux quartiers où les « réformes » pédagogos NE SONT PAS APPLIQUEES. Ah les bons apôtres !

  12. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    Tant mieux si je contribue à cette réflexion et analyse si indispensable du programme du FN. COncernant la droite républicaine (pour laquelle j’ai dû voter hier, comme en 2002, hélas), elle est partagée entre quelques idées qui peuvent se discuter sur l’école (ligne Apparu-Grosperrin et peut-être Juppé) et le bulldozer droite dure qui croit que l’Autorité est une valeur en soi et que Jules Ferry est toujours vivant ou du moins un faux Jules Ferry qui aurait limité l’école de base au « lire-écrire-compter » ce qui n’est pas vrai, cette droite qui fait croire que les élites françaises sont en danger et qui fait du french school bashing permanent

  13. michel demarthe

    Je suis assesseur dans un bureau de vote dans ma commune.
    Je fais une pause respiratoire pour décompresser en ce moment et je viens de trouver cette dose de vitamine, ce superbe texte. Merci, merci.
    Au moins un bon décodage et si je l’avais lu avant, il aurait été diffusé.
    Convaincu de ce que vous avez écrit, je le suis depuis mon enfance, mais le relire, cela fait un bien immense.
    Je vais retourner subir mon bureau de vote.

  14. Isabelle Finger

    Merci pour cet article et ce décodage! Ah! le bon vieux mythe du « c’était si bien avant »… si facile…et si utopique. Nos enfants méritent mieux que cela…

    Bonne continuation
    Isabelle

  15. Jean-Charles Léon

    Merci de ce billet, Jean-Michel, et bravo pour le courage d’avoir lu cela. Ce n’est guère enthousiasmant comme lecture, vite, un bon roman !
    J’adore l’expression « l’autorité-rataplaplan » !

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