« Que dites-vous ? Comment ? Je n’y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J’y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu’il fait froid ; que ne disiez-vous : « Il fait froid » ? Vous voulez m’apprendre qu’il pleut ou qu’il neige ; dites : « Il pleut, il neige. » Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m’en féliciter ; dites : « Je vous trouve bon visage. »
Beaucoup connaissent le savoureux portrait d’Acis dans les Caractères de La Bruyère et en font l’exemple du diseur de « galimatias », de « jargon » (les mots sont utilisés dans le portrait) incapable d’utiliser une langue simple et naturelle. Reste à se demander ce que signifie vraiment une langue simple, en dehors des cas cités par La Bruyère qui évidemment font sourire. Les pourfendeurs des projets de programmes d’école et collège auraient pu faire référence à notre grand portraitiste lorsqu’ils ont récemment déniché quelques expressions obscures, ou prétendument telles, un petit nombre qu’on retrouve cité ici dans Le Figaro, là, dans le Point, ou là encore, entre un énième reportage sur le dernier crime horrible perpétré et l’interview « exclusive » d’un dictateur, sur une chaine publique de télévision. (aucune envie de mettre les liens avec ces articles, mais on les trouve facilement)
Qu’en est-il vraiment ?
D’abord, on sait combien il est facile de prendre quelques extraits choisis pour démolir un ensemble : quelques expressions sur un nombre de pages appréciable. On pourrait se livrer comme exercice rhétorique à la même opération pour n’importe quel ouvrage ou journal, c’est extrêmement démagogique et malhonnête. De même, ne qualifie-t-on pas de « jargon » des expressions qui se justifient pourtant pleinement ? Il n’est pas aisé de simplifier « une progression spiralaire » expression qui est assez parlante, même si on aurait préféré que soit utilisée la forme « en spirale », pour éviter ce que les grammairiens appellent un « syntagme figé ». « Production orale » est une expression qui rassemble nombre de travaux et ne se réduit pas par exemple à des exposés (on peut inclure des mini-dialogues préparés, une simulation d’émission de radio, un commentaire de diaporama, etc.) Et le « curriculum » est un mot finalement assez courant (le CV) qu’il est difficile de bien traduire pour ce qui concerne le « parcours scolaire » dont il est davantage que le synonyme.
Ajoutons que des expressions soi-disant simples sont en réalité très compliquées et sont aussi du galimatias si on regarde le fond des choses. Quoi de plus bizarre qu’un « complément d’objet direct » ? ou qu’un « plus-que-parfait » (formidable : au-delà de la perfection !)
Un syndicat de professeurs d’éducation physique fait aussi remarquer dans le Monde que des formules comme « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé » ne se réduisent pas à « nager dans une piscine » et mettent en avant des compétences nécessaires pour parvenir justement à ce type de déplacement, dans un environnement qui est précisé (ni piscine où on a pied, ni rivière…)
Cependant, c’est vrai qu’il faut inlassablement faire l’effort de chasser toute expression inutilement obscure, qui éloignerait des lecteurs du but recherché : lire les programmes, même quand on n’est pas spécialiste. Dans le groupe dont je faisais partie, nous avons travaillé dans ce sens, à travers de très nombreux échanges, des réécritures, des corrections, en nous demandant à chaque fois : le langage technique est-il toujours nécessaire ? La consultation nationale peut permettre des améliorations, mais ce n’est pas le but des lanceurs d’anathèmes qui veulent surtout démontrer que les « pédagogistes » sont des fous furieux pédants et coupés du réel (tant pis si les concepteurs des programmes sont d’une grande diversité : chercheurs, inspecteurs, profs de terrain et si les relecteurs du Conseil supérieur des programmes des élus (y compris de droite) ou des scientifiques réputés, entre autres.
D’ailleurs les améliorations seraient davantage à trouver du côté de la syntaxe qui est oubliée dans les critiques, alors qu’elle pèse plus lourd : éviter les phrases trop longues, impersonnelles et l’abus du passif, préférer des verbes à des nominalisations… Oui, il est plus lisible et plus conforme au « génie de la langue » d’écrire « construire ensemble » que « co-construire » et même si l’expression est moins juste, mieux vaut parler d’élève que d’ « apprenant », même s’il est absurde de rejeter ce vocable lorsqu’il se justifie pleinement dans certains contextes.
La ministre a déclaré plusieurs fois qu’elle souhaitait que les programmes soient vraiment lisibles par tous. C’est à la fois une bonne intention et une utopie. Qu’il faille tendre vers cela, qu’on en fasse un moteur d’écriture des textes, me parait salutaire et constitue un beau défi ! Mais en même temps, cela a ses limites. Les efforts ont beaucoup porté sur les volets 1 et 2 des nouveaux programmes, ce qui est le plus transversal et qui peut être davantage lu par tous. Dans le volet 3, en référence à des disciplines, l’introduction d’un langage plus technique est une nécessité. Mais si cela ne choque pas d’utiliser ce langage en mathématiques ou en physique, dès qu’on est dans le domaine de la langue, il faudrait utiliser un certain vocabulaire, en oubliant comme nous le disons plus haut que des expressions devenues familières à une partie du grand public sont tout aussi obscures quand on les creuse un peu (en grammaire, le « sujet » commande, contrairement au royaume). Chacun voit le jargon chez les autres… Mais il est vrai qu’on peut toujours faire mieux, pour éviter le plus possible de donner des prétextes aux esprits malveillants qui vont s’attacher à ces petites failles pour tenter de démolir tout l’édifice.
D’ailleurs, il s’agirait aussi d’objectifs stimulants pour des circonscriptions, pour des collèges, que de présenter en termes très simples les grands axes des programmes, le socle commun. Il convient alors de mettre un peu de côté la rigueur, l’exactitude, pour privilégier la clarté et mettre au premier plan des critères de communication efficace. Nous avions, autrefois, aux Cahiers pédagogiques, travaillé sur ce point dans des universités d’été. Dans un atelier, nous nous étions livrés à un exercice consistant à …rendre illisible un texte relativement clair au départ, pour pouvoir justement faire l’opération inverse. Et là, effectivement, on pourra se dispenser de « production orale » au profit d’ »exposé oral », la précision dût-elle en souffrir ? IL y a des cas où il faut nommer Paris et d’autres « capitale de la France » aurait dit Pascal.
PS : (qui n’a rien à voir) J’ai eu droit à plusieurs commentaires concernant mes réflexions sur les langues anciennes. Je reviendrai sur le fond prochainement, pour tenter de convaincre mes contradicteurs, s’ils sont de bonne foi (j’en doute pour certains) qu’il n’y a pas de contradiction entre mon approbation des nouvelles dispositions à ce sujet dans la réforme et le légitime, l’indispensable attachement qu’on doit avoir pour les cultures de l’Antiquité en même temps qu’une distance critique par rapport à elles.
Je voudrais ici simplement préciser la place qu’occupe dans ces commentaires l’allusion à mon expérience personnelle concernant les cours de latin au collège et lycée. Bien entendu qu’une expérience personnelle ne prouve rien, n’est pas généralisable et est très partiale. J’ai voulu simplement présenter un témoignage négatif pour rééquilibrer ceux qui glorifient l’enseignement qu’ils ont reçu, qui leur aurait tant apporté, etc. IL est bon aussi de présenter l’autre face, qui penche plus du côté de Jacques Vingtras ou du « rosa » de Jacques Brel. Mais qu’on se « rassure » si on veut, il n’y a pas qu’en latin que je subissais des cours ennuyeux, je pense en particulier à la physique-chimie qu’on m’a fait détester alors qu’aujourd’hui, quand j’assiste dans ma ville, à des séquences La main à la pâte dans des classes du primaire, je trouve cela formidable. Et puisque j’ai fait allusion à l’EPS plus haut, et pour relier ce PS à ce qui précède, pourquoi tomber à bras raccourcis contre deux ou trois formules peut-être douteuses au lieu de saluer les immenses progrès opérés dans cette discipline, où on est bien loin de ce que j’ai vécu (la gym à la spartakiade soviétique, le sport collectif où on ne touchait vraiment au ballon que quand on était bon, la course d’endurance sans vraies explications sur notre fonctionnement interne…) Mais dire du bien du présent, ne pas dire du mal de ce qui est censé venir d’ »en haut », tout cela est interdit aux yeux de certains, sauf à devenir « collabo », « bisounours » ou « taliban »…
C’est sûr, cependant il y a quelques efforts à faire et encore une fois, il ne s’agit pas toujours du vocabulaire, mais aussi de la syntaxe. Je maintiens par exemple que « progression en spirale » passe mieux que « spiralaire », que des phrases impersonnelles alourdissent le texte, etc. Et surtout qu’il faudrait une écriture spéciale grand public. ON n’écrit pas dans science et vie comme dans la recherche, ni dans l’Histoire comme dans une revue universitaire pure d’historiens…
L’écriture des programmes. Un jargon illisible ? Quoi donc ! De quoi parlons nous ? De ce que les élèves doivent apprendre, savoir et savoir faire. N’est-ce pas! Et pour cela il y faut un moyen qui s’appelle l’école. Et comme pour rendre la justice il y a les tribunaux avec leurs juges et leurs avocats, s’appuyant sur le code civil, il y a à l’école des maîtres et des professeurs s’appuyant sur les programmes pour faire avancer l’instruction des élèves. Force est de constater la difficulté à lire les énoncés des articles de la loi. Vous en conviendrez. Ils sont le produit d’une longue expérience de la désignation des choses. Ils sont difficiles à lire, difficiles à comprendre. On n’en saisit pas immédiatement la portée. Peu de citoyens en connaissent le contenu tellement ils sont nombreux et complexes. Et pourtant NUL N’EST CENSÉ IGNORER LA LOI. Alors de grâce, lisez les programmes tels que les spécialistes de l’enseignement les ont rédigés et faites l’effort de les comprendre « au mot près ». car nous savons, par expérience, que l’aventure pédagogique, celle qui consiste à éveiller en l’enfant un adulte autonome, cultivé et responsable, est affaire de compétences apprises, et que celles ci sont d’une telle complexité que même Freud, et d’autres après lui, ont souligné qu’enseigner était un des métiers « impossible ». Enfin, une dernière remarque. La critique du vocabulaire employé dans les programmes ne cache t elle pas une volonté de ne pas discuter du fond, mais de la forme ? C’est à dire une façon de ne pas dire ce que réellement les élèves doivent apprendre pour devenir « des grands ».
à Philippe L.
J’ai souvent écrit contre la « victimisation ». Je ne me pose absolument pas comme « victime », mais je vous laisse à votre conviction naîve que l’école d’aujourd’hui fonctionnerait selon les principes de Meirieu-Charmeux-Foucambert. A vrai dire, vos références sont bien datées, je ne suis pas sûr que ce que j’écris est forcément en accord avec l’intégralité de ce que prônent ces auteurs. Figurez-vous qu’il y a des débats au sein de ce que vous considérez de façon méprisante comme la « doxa », et parfois vifs. Je vous laisse à votre simplisme, ressassé depuis plus de trente ans, depuis « De l’école » de Milner ou « le poisson rouge » de Bartholdy-Despin….
à Philippe L: c’est vrai qu’on voit trop souvent Evelyne Charmeux et Foucambert dans les médias! Il faudrait qu’on laisse un peu la parole à Finfielkraut, Debray et Ferry qui sont si souvent dans les classes à étudier ce qui s’y passe pendant que d’autres sautent comme des cabris dans les colonnes de journaux et autres plateaux télé…
Bravo l’artiste!
Vous pouvez vous enorgueillir de cette victoire remportée contre les réactionnaires et affreux retardataires que sont Régis Debray, Alain Finkielkraut, Luc ferry, et tant d’autres, qui défendent une conception élitiste de l’école. Grâce à vous, les « élites » auront fui l’école de la République et sauvegardé soigneusement la transmission de savoirs structurés. Ce qui me fascine, c’est la bonne conscience (ou la réelle inconscience?) qui vous permet de vous poser constamment comme victime, alors que depuis plus de trente ans, vous et vos amis dominez, sinon le champ intellectuel, du moins la doxa médiatique. Qui ignore le nom et le pouvoir d’un Philippe Meirieu, d’une Evelyne Charmeux, d’un Jean Foucambert, ne peut comprendre les causes de l’effondrement actuel du niveau!
Rassurez-vous! Le latin et le grec vivent leurs dernières heures; le français les suit! Il se trouve même des agrégés pour confondre « soi-disant » et « prétendu » et employer un conditionnel passé première forme après « même si »!
Félicitations!
Philippe L.
Bonjour
Je veux vous dire à propos du Siddha Yoga Inde.
Par ce yoga tous les maladies vont guérir comme le sida,le cancer,le diabete,le tension mental,le tension physical,n’importe quelle maladies et aussi les maladies qui le docteur a refusé
C’est gratuit et garenti.!
En savoir plus:
http://www.the-comforter.org
Cher Monsieur,r
Puisque vous aimez ça, j’attire votre attention sur un autre style littéraire destiné à être compris par le plus grand nombre, la langue des bulletins municipaux.
http://plexus-logos-calx.blogspot.fr/2012/12/a0322-parler-municipal-du-bulletin.html
oui, comme le dit « auphal », on pourrait montrer, mais l’objet de ce blog n’est pas directement pédagogique, que l' »aspect » ,c’est tout sauf simple; si on étudie le plus-que-parfait sous forme de leçon, c’est ennuyeux, stérile, inefficace. Si on l’utilise en contexte, puis ensuite on propose une « pause réflexive », un moment décroché où on travaille les usages de ce temps, ça devient intéressant (et c’est plutôt alors au milieu du cycle 4) J’ai travaillé le pqp à l’occasion par ex de récits fantastiques, avec remontée dans le temps, ou encore dans des retranscriptions narratives à partir de flash back de films (et monologues intérieurs) , puissant usage aussi pour la causalité, à condition de ne pas réduire celle-ci à « parce que » et « car » et à s’occuper d’autre chose que de distinguer conjonction de subordination et de coordination, car alors on est dans la posture de ce personnage de 20 000 lieues sous la mer qui préfère inventorier et nomenclaturer les poissons que les regarder vraiment….
Cher Ricercar, quelles sont ces choses simples dont vous parlez? Pouvez-vous en donner des exemples? Pouvez-vous aussi éclairer ma lanterne sur le plus-que-parfait au-delà de l’idiotie présumée de l’auteur de ce blog? En fait pouvez -vous dépasser le fiel et être dans le débat? Pouvez-vous simplement dépasser un certain complexe d’infériorité et user de la connaissance pour faire avancer la discussion? Merci d’avance…
Vous voyez, vous auriez dû être un peu plus attentif en cours de latin : cela vous éviterait aujourd’hui de prendre des choses simples pour du « galimatias » et de raconter n’importe quoi sur le plus-que-parfait (« au-delà de la perfection », quelle merveilleuse idiotie !). Même sans latin, quelques connaissances élémentaires sur la valeur aspectuelle des verbes pourraient vous permettre de vous corriger : on enseigne cela en L1 ou en L2, habituellement. Il est vrai que vous êtes au-dessus de cela, puisque vous êtes agrégé, avec un rang des plus brillants…
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Evidemment, lire, CET article ! Pardon.
Voilà ce que m’a expliqué, en gros, mon garagiste : il a » remplacé la pipe d’admission métal avec trou PAV et durite mollassonne par une toute moulée en caoutchouc bien rigide, mais il trouve cette dernière bien chaude et s’inquiète un petit peu ».
La phrase est à peine trafiquée, et je n’ai pas compris.
Jean-Michel : outre le fait qu’il n’y a pas de contrepèterie, cette phrase n’est elle pas le signe d’un garagiste, qui est l’équivalent du pédagogiste, mais pour les garagogues ?
Merci pour cette article que je partage à nouveau.