Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: mai 2015

Combien ou comment ?

Dans le bruit médiatico-politique autour de la réforme du collège et des programmes, il est bien rare qu’on s’intéresse vraiment au « comment faire ? », qu’on aille au plus près du concret des classes et de la réalité des élèves. Le plus souvent, c’est la logique quantitative qui l’emporte, surtout (mais pas exclusivement) chez les contempteurs des réformes. Je vais en donner quelques illustrations.

Bruno Le Maire vient d’inventer un cheval de bataille, sorti de je ne sais quel chapeau : celui des quinze heures de français à l’école primaire. Par le miracle de cette augmentation de deux tiers d’heures en plus, on permettrait à la fin du CM2 à tous les élèves de maitriser la langue française, semble-t-il nous dire. Est-il question du contenu effectif de ces heures, d’un vrai travail de réflexion sur ce orthoqui est efficace (une multiplication de dictées et de leçons ou une pratique accrue du lire-écrire-parler ? mais aussi un travail de fond sur l’orthographe mêlant moments d’automatisation et moments réflexifs, comme le propose le Conseil supérieur des programmes.) S’interroge-t-on sur les autres manières de « faire du français » : activités orales et écrites autour des sciences, lecture de documents d’histoire-géographie, sans parler du fort travail sur la langue en mathématiques. Diverses études récentes montrent l’importance de la « langue de l’école », si discriminante quand on ne possède pas les codes. Cette langue là se travaille dans toutes les disciplines, y compris d’ailleurs l’éducation physique.

Tout semble indispensable en Histoire. Le nombre de chapitres étudiés, avec l’idée qu’il ne faut rien sacrifier prend le dessus sur la réflexion du « comment » : comment permettre l’appropriation de ces notions indispensables au-delà des contenus telles que civilisation, démocratie, ou facteurs de croissance économique ? Comment faire acquérir des méthodes d’analyse, comment travailler de près l’étude de documents en vérifiant leur validité, en sachant dénicher les partis pris possibles et le point de vue qui s’exprime. On en reste bien souvent à une vision du prof qui enseigne, et du moment que c’est enseigné, tout va bien ! Alors que tout commence, ou plutôt tout précède : quelles représentations les élèves ont-ils avant le cours ? Qu’est-ce qu’on veut faire « bouger » lorsque par exemple on montre les relations complexes entre République, monarchie et démocratie ou pouvoir aristocratique ? Une des questions qui se posent au professeur d’Histoire c’est de savoir jusqu’où aller dans la complexité, selon l’âge des élèves. Où mettre le curseur entre le simplisme outrancier et une subtilité trop grande qui peut dérouter et mettre en échec beaucoup d’élèves ? Tout cela est également peu présent dans les débats actuels (avec bien des guillemets dans certains cas pour ce mot débat !) (suite…)

Le collège de M. Le Maire : diversité ou tri sélectif ?

En lisant attentivement les propositions sur le collège de Bruno Le Maire, (et peu importent ses motivations politiques), il est intéressant de considérer son argumentation, qui se veut au-dessus de l’insulte et de la démagogie pratiquées par le président de son parti. Ceci dit, s’il est courtois et modéré dans le ton quand il s’exprime dans Libération (du 16 mai.) ou dans Rue des écoles face à Thierry Pech, ce n’est pas le cas dans d’autres circonstances (Le Figaro par ex) avec les éternelles insultes contre les « pédagogistes » qui sont lassantes et indignes… (suite…)

L’Histoire, pleine de bruits et de fureurs…

 

Que de pages consacrées dans les médias aux projets de programme d’Histoire ! Et je vais en ajouter une, moi qui ne suis pas enseignant d’Histoire ! Mais je me permets de le faire cependant, pour livrer quelques réflexions d’un membre du groupe Cycle 4 qui a en partie travaillé sur ces projets, puisque le travail en sous-groupe disciplinaire était ensuite revu au sein du groupe représentant toutes les disciplines. Mais aussi comme enseignant de Lettres de collège (en éducation prioritaire) ayant beaucoup travaillé avec des professeurs d’Histoire, notamment sur des projets communs préfigurant les EPI. Peut-être aussi en tant que passionné d’Histoire et aimant lire des livres sur l’Histoire, des vrais, pas ceux de Stéphane Bern, de Casali ou de Deutsch…

mille et une nuits

affiche d’une exposition à l’Institut du monde arabe

C’est vrai, nous n’imaginions pas, au groupe cycle 4, le tollé qu’allait provoquer le fait de mettre en choix optionnel certaines parties du programme. Remarquons qu’on a constamment confondu ou feint de confondre, dans les polémiques : « facultatif » et « choix entre deux options, mais choix obligatoire ». Remarquons aussi qu’il est un peu contradictoire de reprocher aux concepteurs du programme d’effacer « les racines chrétiennes » et en même temps « les Lumières » qui ont été plutôt des moments de remise en cause de ces racines (ou pseudo-racines, je laisse le mot à ce groupuscule qui s’inspire des idées de Marine Le Pen). A moins d’accuser carrément le Conseil supérieur des programmes de prôner le « grand remplacement » en valorisant l’Islam au détriment du christianisme ou de complaire aux « communautés ». Sur cette question de l’Islam, obligatoire depuis bien longtemps en cinquième, on n’a pas non plus mis l’accent sur l’importance de son étude justement pour combattre les intégrismes et les obscurantismes. Certains professeurs m’ont fait part de l’étonnement d’élèves de confession islamique lorsqu’on leur explique le caractère assez récent de la naissance de l’Islam, son insertion dans l’histoire du monothéisme. Plus de connaissances sérieuses sur l’Islam éloignent de l’islamisme et d’ailleurs, je ne suis pas sûr que les fondamentalistes apprécient beaucoup que l’Islam soit étudié en classe. De plus, les travaux interdisciplinaires permettent de mettre en valeur des aspects de l’Islam plus « lumineux ». C’est ainsi que dans mon collège, tout un travail en itinéraire de découverte avait été mené autour de l’Andalousie de la grande époque d’Averroes. Et pour ma part, j’ai mené avec un collègue d’Histoire un long travail d’écriture de contes orientaux inspirés des Contes des Mille et une nuits, ceux qui sont brûlés par les islamistes parce qu’ils évoquent un Bagdad (par exemple) riche de culture, où les califes boivent du vin et où les femmes sont ingénieuses et bien plus habiles que les hommes (Ali-Baba, etc.) Une mine pour un EPI… (suite…)

les Pédagogistes et ministres destructeurs de la culture d’autrefois

Quel est le pédagogiste fou (pour parler comme Le Point) qui a écrit cela :« Oui, vous avez compris qu’il faut dans les programmes réduire la part des matières qui y tiennent une place excessive; vous avez compris qu’aux anciens procédés, qui consument tant de temps en vain, à la vieille méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée, – il faut substituer un enseignement plus libre, plus vivant et plus substantiel. »

Quel est ce laxiste qui ne met pas au premier plan la rigueur de la langue dans l’enseignement à l’école primaire en affirmant : « il vaut mieux être capable d’écrire une lettre, de rédiger un récit, de faire n’importe quelle composition française, dût-on même la semer de quelques fautes d’orthographe. »

Quel est cet idéologue pédagogo qui finalement préfère une école qui distrait, où on s’amuse plutôt que l’austère lire-écrire-compter qui demande des efforts mais qui est préalable à tout, essentiel, à travers cette déclaration : (suite…)

Le gai savoir

confi_anceCe qui me frappe dans l’étalage médiatique de certaines réactions d’intellectuels et journalistes aux projets de programmes de collège (et d’école, qu’on oublie), c’est la conception bien triste du savoir qui s’en dégage. Il faudrait forcément souffrir pour atteindre le Walhalla du Savoir. On enfantera dans la douleur, il faut passer par une longue phase fastidieuse d’ennui avant de commencer à approcher les Saints Savoirs.

Pourtant, si on reprend les théories de la motivation, notamment exposées par des chercheurs comme Roland Viau, on se rend compte que pour se motiver à apprendre, ce qui est nécessaire pour apprendre donc (mais il est vrai que nos intellectuels cités s’intéressent plus à ce qui est enseigné qu’à ce qui est réellement appris), il y a pour l’essentiel deux leviers. (suite…)