Que de pages consacrées dans les médias aux projets de programme d’Histoire ! Et je vais en ajouter une, moi qui ne suis pas enseignant d’Histoire ! Mais je me permets de le faire cependant, pour livrer quelques réflexions d’un membre du groupe Cycle 4 qui a en partie travaillé sur ces projets, puisque le travail en sous-groupe disciplinaire était ensuite revu au sein du groupe représentant toutes les disciplines. Mais aussi comme enseignant de Lettres de collège (en éducation prioritaire) ayant beaucoup travaillé avec des professeurs d’Histoire, notamment sur des projets communs préfigurant les EPI. Peut-être aussi en tant que passionné d’Histoire et aimant lire des livres sur l’Histoire, des vrais, pas ceux de Stéphane Bern, de Casali ou de Deutsch…
C’est vrai, nous n’imaginions pas, au groupe cycle 4, le tollé qu’allait provoquer le fait de mettre en choix optionnel certaines parties du programme. Remarquons qu’on a constamment confondu ou feint de confondre, dans les polémiques : « facultatif » et « choix entre deux options, mais choix obligatoire ». Remarquons aussi qu’il est un peu contradictoire de reprocher aux concepteurs du programme d’effacer « les racines chrétiennes » et en même temps « les Lumières » qui ont été plutôt des moments de remise en cause de ces racines (ou pseudo-racines, je laisse le mot à ce groupuscule qui s’inspire des idées de Marine Le Pen). A moins d’accuser carrément le Conseil supérieur des programmes de prôner le « grand remplacement » en valorisant l’Islam au détriment du christianisme ou de complaire aux « communautés ». Sur cette question de l’Islam, obligatoire depuis bien longtemps en cinquième, on n’a pas non plus mis l’accent sur l’importance de son étude justement pour combattre les intégrismes et les obscurantismes. Certains professeurs m’ont fait part de l’étonnement d’élèves de confession islamique lorsqu’on leur explique le caractère assez récent de la naissance de l’Islam, son insertion dans l’histoire du monothéisme. Plus de connaissances sérieuses sur l’Islam éloignent de l’islamisme et d’ailleurs, je ne suis pas sûr que les fondamentalistes apprécient beaucoup que l’Islam soit étudié en classe. De plus, les travaux interdisciplinaires permettent de mettre en valeur des aspects de l’Islam plus « lumineux ». C’est ainsi que dans mon collège, tout un travail en itinéraire de découverte avait été mené autour de l’Andalousie de la grande époque d’Averroes. Et pour ma part, j’ai mené avec un collègue d’Histoire un long travail d’écriture de contes orientaux inspirés des Contes des Mille et une nuits, ceux qui sont brûlés par les islamistes parce qu’ils évoquent un Bagdad (par exemple) riche de culture, où les califes boivent du vin et où les femmes sont ingénieuses et bien plus habiles que les hommes (Ali-Baba, etc.) Une mine pour un EPI…
L’autre grand sujet de polémique tourne autour du fameux « roman national » (ou récit national). Cela fait suite aux protestations qui avaient accompagné la mise au programme par exemple en cinquième de l’histoire de royaumes africains, qui permettait de donner une autre image de l’Afrique. Tout peut se discuter sur la place respective de l’histoire de notre pays et celle du monde. Mais réduire la première à un héritage du christianisme ou du monde gréco-romain est fallacieux comme le montrent de nombreux travaux récents dont ceux assez iconoclastes de Gruzinsky, qui insiste sur l’importance de la « découverte » de l’Amérique. Peut-être fallait-il expliciter encore davantage l’articulation entre histoire nationale et histoire-monde. Mais la mauvaise foi est toujours présente, surtout quand on s’appuie sur Stéphane Bern qui a droit sur les chaines d’info au statut d’historien, lui qui s’intéresse surtout aux princesses et marquis et assez peu au petit peuple.
Sur une question comme celle de l’esclavage et de la traite négrière, sans doute faudrait-il montrer, mais c’est l’affaire des documents annexes et surtout de la compétence des enseignants et de leur formation, qu’il ne s’agit nullement d’entrer dans je ne sais quelle repentance. Comme dit Benjamin Stora, il ne s’agit pas de repentance, mais de reconnaissance. Oui, il faut parler du crime qu’a constitué la traite négrière, y compris la remise en cause de l’abolition de l’esclavage par Napoléon. Mais bien sûr resituer cette histoire dans celle de l’esclavage sur un temps plus long (différences avec l’Antiquité, rôle des Arabes, etc.), et en même temps valoriser l’action d’hommes des Lumières (pour le coup, oui, c’est une occasion de mettre en avant les Lumières), les « Amis des Noirs », quelques beaux textes de Diderot, et la figure admirable de Victor Schleicher si peu connu quand j’étais élève ( si on compare, tiens par exemple, avec les principaux chefs des armées de Louis XIV). En français, d’ailleurs, parallèlement, on peut étudier des textes qui évoquent ces épisodes, y compris Tamango de Mérimée qui nous montre une image pour le moins contrastée de révoltés noirs se mutinant au XIX siècle.
Peut-être parfois peut-il y avoir tendance à « noircir » l’Occident et oublier de valoriser ces forces progressistes parfois très minoritaires, qui ne hurlaient pas avec les loups, et défendaient les victimes de l’oppression. Quand on travaille (on peut le faire là aussi en interdisciplinarité) sur Cannibale de Daenninx qui évoque le colonialisme en Nouvelle-Calédonie, un enseignant de ce territoire faisait remarquer qu’il était important de montrer en France le mouvement de résistance à l’exhibition d’ « indigènes » à l’Exposition coloniale, ce que ne fait peut-être pas assez l’auteur.
J’ajoute aussi qu’il faut accroître l’importance de la vie des peuples, ce que fait davantage le projet. Parler des Lumières, sans doute, des grands auteurs que nous sommes nombreux à admirer (je doute un peu pour ceux qui se réfèrent aux « valeurs éternelles de la chrétienté »), encore qu’il faille articuler avec le programme de Français, mais aussi de sa face plus sombre, des souffrances du peuple si bien décrites par Arlette Farge. Ce qui permettrait un bilan équilibré du passé : ombre et lumière et lutte contre la nostalgie mortifère d’un temps mythique où pourtant l’on mourrait si jeune et si souvent à la naissance.
Eh oui, il y a de la nuance, de la complexité. Il faut ensuite articuler tout cela avec l’âge des enfants, avec le contexte d’une classe, avec aussi des ressources locales. D’où l’idée d’une certaine liberté de l’enseignant. Mais surtout il faut toujours, là comme dans d’autres disciplines, se centrer sur ce qui est appris par l’élève, ce qui peut être raisonnablement retenu sur une année, et non sur ce qui est enseigné. Malheureusement, cette distinction apparait bien peu dans le débat public, comme le faisait remarquer récemment Antoine Prost sur France culture.
Et quand certains historiens, en général peu au fait des réalités de l’enseignement au collège, donnent leur avis, ils ont tendance à ne considérer que ce qui doit être enseigné (ou exposé en fait) et non ce qui peut être assimilé.
Justement, les EPI, enseignements pratiques interdisciplinaires, mais aussi des projets disciplinaires, permettent d’ancrer des apprentissages dans le concret, ce qui motive les élèves, mais plus encore leur donne de réelles connaissances. Je voudrais donner quelques exemples :
- en quatrième, en français, j’ai fait rédiger à mes quatrièmes des « lettres » autour de la Terreur : d’un royaliste à sa fiancée, d’un observateur anglais effrayé par les excès des révolutionnaires ou d’un chaud partisan de Robespierre. Il fallait pour écrire à la fois développer des compétences d’écriture (tenir compte du contexte de réception, du point de vue adopté, du style…) et s’appuyer sur des connaissances solides. Les élèves du coup ont écouté différemment les cours d’Histoire, devenant « ressource », cours auxquels j’ai assisté en intervenant pour interroger sur ce qui pourrait être utile à l’écriture. J’ai souvenir de ces élèves n’allant pas en récréation pour afficher quelques lettres dans la salle de classe, fiers de leurs réalisations. L’Histoire devenait vivante, les connaissances utiles et utilisables
- en cinquième, nous avons avec ma collègue d’Histoire mené un
visite au Grand Palais dans le cadre du projet « voyage dans l’Histoire » (brochure « quelques pas en arrière »)
long projet sur plusieurs mois consistant à imaginer un récit (très national au demeurant) qui conduisait deux enfants à voyager dans le temps, guidés par un homme du futur, sans pouvoir intervenir sur le cours de l’Histoire bien sûr, ce temps étant celui du programme d’Histoire. Ils ont assisté à un Mystère devant Notre-Dame (l’un des enfants compare avec la visite qu’il avait faite au milieu des touristes japonais, dans le monde d’aujourd’hui), à l’arrivée de Jeanne d’Arc à Orléans (eh oui, les pédagos s’intéressent à Jeanne d’Arc, qu’il faut arracher aux fachos de tous poils…). Ils ont visité un château de la Loire, etc. Chaque travail d’écriture s’appuyait sur des connaissances étudiées en cours d’Histoire, avec les ressources les plus diverses (recherches internet, films, extraits de textes)
Dans ce genre de projets, on peut être très pointus. Deux enseignants dans Libé déplorent la disparition de l’empire byzantin comme thème obligatoire, car bien sûr l’enseigner suffit au confort moral de se dire « ils l’ont vu, ils l’ont fait, le reste ce n’est plus mon problème. Or, survoler ce point très compliqué n’a pas grand intérêt. En revanche, dans un projet, on peut y consacrer du temps et c’était le cas dans ce que je
viens de citer (les enfants arrivaient à Byzance en pleine bataille autour des icones, les élèves s’aidant d’un roman jeunesse, vous savez cette littérature stipendiée par les Bentolila et autres grands experts de l’enseignement du français…)
On peut craindre le pire dans la consultation demandée par la ministre, mais surtout le président, d’historiens qui n’ont pas la vocation à élaborer des programmes. Probablement est-ce inévitable dans le contexte présent. Mais si je pouvais, je leur conjurerais d’être guidés par quelques principes simples :
- ce qui est enseigné n’est pas ce qui est appris. Pas de surcharge, qui ne sert à rien, et bien garder l’idée que tout n’est pas à faire. On n’est pas dans un car de touristes japonais qui font les châteaux de la Loire en deux jours
- l’Histoire est d’abord une discipline scientifique où l’objectif est la connaissance et non la construction d’une mythologie, même si elle n’échappe pas aux émotions et au conflit de valeurs, il faut en tout cas aider les élèves à mettre de la distance
- il faut laisser la liberté pédagogique aux enseignants, notamment pour qu’ils puissent approfondir certaines périodes, certaines notions, en particulier en interdisciplinarité, parce que là on peut être dans quelque chose de passionnant. Les quelques collègues d’Histoire avec qui j’ai travaillé dans ce sens trouvaient que c’était là bien souvent leurs meilleures heures de la semaine.
- il faut bien plus s’intéresser à la pédagogie, justement
pour que les élèves assimilent, s’approprient le cours. Dans les programmes, on polémique sur les périodes étudiées, et on oublie l’essentiel : quel type de cours ? comment faire travailler les documents ? comment aider les élèves à chercher ? comment développer l’esprit critique et par exemple à prendre du recul par rapport aux idées reçues ? comment partir de certaines représentations d’élèves pour les dépasser ? comment utiliser la fiction, et notamment la fiction cinématographique ? comment faire écrire un récit historique dans sa différence avec un récit littéraire ? comment intégrer des œuvres fictionnelles sans faire pour autant un cours de français bis (ce qui est parfois le cas) ? comment évoquer les œuvres picturales ?….
- Bref, il s’agit d’être sérieux, constructif, pas faire du Bruno Le Maire ou du Natacha Polony ; quitter le bruit médiatique et être à la hauteur d’un besoin d’histoire qui existe dans notre société mais auquel de mauvais livres trop souvent répondent de manière fallacieuse et orientée.
Je ne repondrai que sur les contes des mille et une nuits, à partir des quels j’ai travaillé plusieurs fois. Je préférais en cinquième, mais ensuite on ales a placés en sixième, à tort à mon avis, car il était bon de travailler les contes merveilleux en sixième et d’aborder, avec des comparaisons possibles, ces contes-là en cinquième dans leur mélange très intéressant de merveilleux et de réaliste (travail possible: relever les éléments documentaires, en s’appuyant sur le cours d’histoire). On a pu ainsi voir comment était présentée la ville splendide de Bagdad, avec des échos à contrario avec aujourd’hui. Mais surtout vanter la diversité culturelle: la chine imaginaire de ALaddin, la Perse, etc. Et tous les emprunts àla culture grecque (tel épisode de SIndbad est un écho de L’Odysée, etc.). J’ai souvent aussi passé des images du Voleur de Bagdead, ce film américain kitsch mais bien amusant (quand même, Abou sauvé de la mort par sa ruse fait un voeu auprès du Génie et lui demande…des saucisses. Sacré Hollywood!) j’aimais aussi faire des rapprochements avec des thématiques classiques (Le pêcheur et le Génie, vieux thème de la ruse qu’on retrouve dans plein d’histoires) Et bien entendu, mettre en avant le formidable pouvoir du récit qui permet d’échapper à la mort. Il y a d’intéressants personnages féminins (dans ALi baba par exemple) et parfois un éloge du pardon et de la clémence. Surtout, ça débouche sur de très intéressants travaux d’écriture et mes élèves ont souvent écrit des petits récits inspirés des Mille et une nuits (au sens large, car on sait que les plus célèbres contes ont été rajoutés après). J’ajoute aussi qu’il est intéressant de dresser le portrait d’ANtoine Galland (qui en plus est une célébrité picarde, pas assez célébrée) personnage fabuleux de curiosité et d’ouverture, quand bien même il n’a été qu’un traducteur un peu infidèle. ce que j’aimais bien aussi, c’était de commencer des séances sur les MIlle et une nuits par un conte bref que je racontais (il y en a beaucoup en littérature jeunesse, éventuellement les contes de Nassredine Hodja, inégaux mais souvent très savoureux.
une bonne façon en tout cas de lutter contre intégrisme et fondamentalisme en exaltant des textes peu appréciés des fanatiques…
Bonjour
Je suis prof de Français au collège Miramaris où vous êtes intervenu hier sur le thème »apprendre à apprendre ». Je viens de lire un article ici où vous évoquez un travail en IDD sur l’Andalousie et les contes des Mille et Une Nuits. Je travaille avec les 6ème sur ces contes depuis deux ans et j’aimerais beaucoup en savoir plus sur ce que vous faites. J’ai fait les mêmes constats sur la méconnaissance de la religion musulmanes chez nos élèves et je peux vous dire qu’une des séquences qu’ils apprécient le plus c’est bien celle de la Bible dans laquelle d’ailleurs nous parlons bcp de l’Islam. Merci d’avance.
Comme d’habitude, vous répondez à côté de la question. Le vrai problème, c’est que le mouvement dont vous êtes l’un des représentants illustre parfaitement l’aveuglement d’une certaine gauche socio-libérale qui ne comprend pas grand chose aux mécanismes de l’aliénation. J’ai cité intégralement la réflexion de Mélenchon, dont je ne condamne pas de manière aussi pavlovienne et caricaturale les positions pour que le débat se fasse sur le fond. J’aurais pu évoquer aussi les analyses de Michéa ou de Le Goff (le sociologue). Mais tout cela ne vous convaincra pas!
Oui ou non, les réformes actuelles sont-elles dans la pure continuité des demandes du SGEN? Oui ou non, l’école d’aujourd’hui, abandonnant la sélection sur ses propres critères, ne laisse-t-elle pas libre cours à la sélection par la fortune et la naissance? Si l’école n’enseigne plus les fondamentaux, alors à quoi sert-elle?
Pourquoi faut-il que des parents passent de nombreuses heures à aider leurs enfants à faire des devoirs? Pourquoi faut-il qu’ils les inscrivent dans des cours particuliers? Pourquoi faut-il que certains établissements quittent l’Éducation nationale pour se libérer des choix pédagogiques dominants (Fondation Espérance banlieue)? Et l’on pourrait allonger indéfiniment la liste des interrogations.
Il est clair que les réformes engagées ont dégradé continuellement l’école de la République et que cette dégradation n’est pas due au hasard si l’on en croit le texte d’un économiste de l’OCDE que commente Catherine Kintzler dans Mezetulle:
http://www.mezetulle.net/article-19536877.html
Bref, tous ceux qui contestent vos choix pédagogiques méritent l’opprobre et le mépris.
En tout cas, ne venez pas dire que vous êtes « la gauche ». Comme le souligne une humoriste: les profs sont dans la rue? Cela prouve que le gouvernement est bien de droite!
à Philippe L.
Un commentaire n’est pas fait normalement pour mettre un si long texte non personnel et reprenant les positions d’un leader politique. Mais je ne le « censure » pas .
Libre à vous, après tout, de citer quelqu’un qui, honnête secrétaire d’état à l’enseignement professionnel sous Jospin (le dossier des cahiers pédagogiques sur l’enseignement professionnel d’alors ouvrait sur trois pages d’entretien avec lui, à l’époque où il ne pourfendait pas l’innovation pédagogique dite « libérale »), est devenu un soutien de Poutine, après avoir été celui du Comandante venezuelien ou de la Chine au Tibet, qui trouve Sarkozy au moins cohérent et « moins pire » que Hollande et qui fait tout pour faire perdre la gauche, tout en étant incapable d’être élu de façon autonome. Si c’est votre modèle, je vous le laisse, avec ses nouvelles obsessions anti-allemandes que ne devraient pas apprécier tout de même ceux qui veulent renforcer l’amitié franco-allemande, si précieuse…
Voici l’analyse de Jean-Luc Mélenchon (encore un méchant réactionnaire ou un pauvre homme de gauche égaré, incapable de comprendre les beautés de la réforme?):
Le début du collège inique
La réforme du collège provoque l’habituelle montée au rideau que toute initiative de cette sorte soulève en France. Tant mieux. Il est bon que tout le monde s’intéresse et se passionne pour le débat sur l’éducation. Evidemment, ce qui se dit n’est pas toujours bien documenté et il faut subir par-dessus le marché l’habituelle marée de poncifs déclinistes qui finissent toujours par fleurir en fin de banquet. Dommage, souvent, compte tenu de leurs auteurs. Ainsi, par exemple, continuer à proférer des âneries du genre « dès la maternelle, les chances de chaque enfants sont jouées » n’est pas vraiment digne d’une ministre ni du sujet à traiter. A ce rythme, on finira par dire que dès le fœtus tout est dit ! Et ce sera aussi vrai, d’ailleurs. Mais alors à quoi bon vivre et penser ?
Petit cours de pensée éducative pour les nuls. Nous naissons libres et égaux en droits mais pas en fait. L’éducation a pour objet… d’éduquer. Cela veut dire évidemment qu’au départ tout le monde n’est pas au même rang, que ce soit du fait des niveaux de développement personnel, des handicaps physiques ou mentaux, du milieu social dont on est issu qui peut vous avoir infligé de graves manques ou de sévères déformations quelle que soit votre origine sociale. Autrement dit, les formules à l’emporte-pièce sur l’âge auquel « tout est joué » n’ont aucun sens sinon de nous révéler le niveau d’arriération de celui ou de celle qui la profère. Ceux-là, en général, « essentialisent » les différences sociales et en déduisent mécaniquement une vision très simpliste de l’être humain. A l’opposé, pour la pensée des Lumières et les progressistes, l’être humain « s’auto constitue », se fabrique lui-même tout au long de son existence. A 80 ans, rien n’est encore joué ! Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’on peut dépister très tôt quel enfant va avoir besoin de davantage d’aide qu’un autre. Jusqu’au jour où, le travail ayant été bien fait par les pédagogues, cette aide supplémentaire n’est plus nécessaire. Albert Camus, fils d’une analphabète pauvre et mentalement assez « ailleurs », fut prix Nobel et son œuvre nous anime toujours. Pourtant, son sort aurait pu être considéré comme réglé dès le stade fœtal ! Et à la maternelle, où il allait le ventre creux, peut-être se serait-il trouvé un grand esprit pour l’inonder de commisération au lieu de lui payer la cantine et de s’assurer qu’il était vêtu assez chaudement l’hiver.
Car le premier absent de la réforme du collège, c’est la réponse à la misère de milliers de collégiens qui font des études le ventre creux, sans chaussettes l’hiver, abreuvés de télé-réalité comme modèle comportemental, et qui parfois sont les seuls à la maison à avoir un réveil qui sonne. Qui n’a pas vu des jeunes s’évanouir en classe parce qu’ils n’ont pas mangé depuis la veille, qui ne sait pas qu’avant les jours sans cantine on se gave tant qu’on peut, ne sait pas de quoi le pays est malade à tous les étages, en plus de la stupidité cruelle et de ceux qui parlent en son nom. Oui, j’ai beaucoup de mal à rester zen devant les surenchères actuelles. A voir leurs obsessions et à constater leurs indifférences, je devine trop facilement leurs origines de classe. Certes, je les vois faire du bruit avec leur bouche. Mais j’entends en même temps l’écho du silence vertigineux qui a accompagné le massacre en silence de l’enseignement professionnel depuis 2002 : 184 fermetures de lycées professionnels, dont 36 lycées fermés sous le gouvernement de « gôche »! Et je les vois tenir leurs réunions bidon pour « motiver les jeunes à aller dans l’apprentissage » en faisant de nouveau cadeaux aux patrons comme si, là encore, la politique de l’offre pouvait produire autre chose que du gâchis. Quand ces gens se demanderont ils pourquoi 25 % des jeunes en apprentissage rompent leur contrat au bout de trois mois ? Quand se demanderont-ils ce qu’ils deviennent ensuite ? Et pourquoi leurs propres gosses n’y vont pas puisque c’est si bien et désirables pour ceux des autres ?
Le gouvernement de Valls parle beaucoup d’égalité pour justifier ses mesures. Par antithèse la droite dénonce les horreurs de l’égalitarisme nivelant. Comédie absolue. Dire qu’on supprime le latin parce que tout le monde n’en fait pas est un grossier attrape nigaud. 550 000 jeunes font du latin. Un élève sur cinq ! Ce n’est pas rien. Ni en nombre, ni en changement des formations de base des jeunes en France. J’admets qu’on puisse changer d’avis sur l’importance de cette matière. Mais peut-être pourrait-on en débattre au fond et non sur de prétextes égalité/inégalité. Le PS serait-il devenu maoïste pour décréter que le latin est d’essence inégalitaire comme le piano était un instrument bourgeois dans la révolution culturelle ? La posture de la droite ne vaut pas mieux. Si le latin est indispensable pour tous, pourquoi la droite n’en réclame-t-elle pas l’apprentissage par tous ? A moins qu’elle ne veuille défendre sans le dire les filières secrète « latin-allemand », à l’usage des enfants les mieux normés, que la ministre dit vouloir supprimer ?
L’égalité par le vide, je connais cette musique. En 2001, on supprima la filière technologique en 4ème et 3ème sous le prétexte d’empêcher la formation d’une filière « dévalorisée » vers l’enseignement professionnel. On se garda bien de supprimer les cantonnements de l’élite sociale. Mais des milliers de jeunes furent mis en situation d’échec total alors que l’enseignement professionnel est une voie de réussite avérée indispensable au pays ! Pour avoir protesté à l’époque comme ministre de l’enseignement professionnel, « Libération/Pavlov », qui me haïssait déjà, me traîna dans la boue réservée aux ennemis droitiers du collège unique. Maintenant, le collège unique finit sous leurs yeux et ils roucoulent !
La vérité du plan gouvernemental tient d’abord dans les exigences de court terme : faire les coupes budgétaires nécessaires dans le premier budget du pays. Point final. Ici l’enfumage est total. Une fois de plus, le vol des mots et l’usage des armes de propagande massive font le travail. Hollande peut continuer ses numéros sur la jeunesse et l’école sans que ses passe-plats médiatiques ne le reprennent. Pourtant sur les 60 000 postes promis, moins de 4 000 ont été créés. Exactement 3 856 dont 950 en collèges et lycées ! Il aura été créé moins de 1 000 postes en collèges et lycées ! Le bidouillage des chiffres consiste à mettre en avant les 28 000 postes de stagiaires créés. Mais ces postes ne sont pas définitifs ! Ils ne le deviennent que si un titulaire s’en va ou si un poste supplémentaire est créé. Or, l’essentiel des 28 000 vont être absorbés pour remplacer des départs en retraite. Mais ce doit être trop long à expliquer en format télé et ça ne fait pas le buzz. Emballer la diminution de moyen par élèves dans une cape d’invisibilité grâce à une bonne polémique sur tel ou tel aspect du programme c’est aussi de la communication « opérationnelle ». Bref, c’est une ruse.
Le second objectif de fond est bien plus lourd. Il s’inscrit dans la durée. Le vice est logé dans les 20% des moyens horaires dont l’affectation sera décidée dans chaque collège ! Fin de l’égalité de formation des élèves, fin du collège unique mais par la pire méthode : l’inégalité de la formation initiale, dès le collège. Dans chaque collège commencera donc une incroyable sarabande de compétition entre les enseignants pour savoir quelle discipline aura des heures et quelle autre sera diminuée. Une partie de ces horaires à la carte sont réservés à des enseignements pluridisciplinaires. Pourquoi pas dira-t-on ? Mais l’enseignement pluridisciplinaire est un exercice pédagogique compliqué. Ça s’apprend. Quand et où ? C’est chronophage pour les enseignants car c’est beaucoup de préparation. Pour le même temps de travail ? Pour la même paye ? Allons ! Ce n’est pas sérieux ! Et les élèves ? Quelle garantie a–t-on qu’ils conserveront un accès efficace à l’acquisition des connaissances dont ils ont besoin avec 400 heures de moins d’enseignement dans les diverses disciplines alors qu’on ne sait pas encore à quoi correspond ce type d’enseignement pluridisciplinaire !
Tant de sottises s’expliquent par un objectif qui ne doit rien à l’improvisation. Si chaque collège a sa propre grille horaire et sa propre « dominante » dans telle ou telle discipline, alors tout le monde comprend qu’un marché est ainsi créé. Chaque établissement aura désormais son « caractère propre ». Ainsi sera réalisé le grand projet d’établissements d’enseignements concurrentiels. Viendront les établissements privés en toute quiétude, pas seulement confessionnels mais bel et bien vendeurs de savoirs. Je vous raconte la suite ? Chacun pourra recevoir un chèque éducation et choisir l’établissement de son choix en recevant sa part personnelle du budget de l’État. C’est au programme du Front National. On incitera les « investisseurs » à créer de tels établissements, comme on l’a fait hier pour les cliniques logées dans les hôpitaux publics et on pourra même imaginer un paiement à l’acte pour chacun. Grosse, la ficelle. Après la réforme de l’université et celle du lycée nous voici au collège. Bientôt l’école primaire et la maternelle ! Les planificateurs de Bercy marchent avec des grosses chaussures cloutées. Schaüble et Merkel vont être contents d’eux et ils auront une bonne note de la Commission bientôt. Les clercs ont trahis !
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