En lisant attentivement les propositions sur le collège de Bruno Le Maire, (et peu importent ses motivations politiques), il est intéressant de considérer son argumentation, qui se veut au-dessus de l’insulte et de la démagogie pratiquées par le président de son parti. Ceci dit, s’il est courtois et modéré dans le ton quand il s’exprime dans Libération (du 16 mai.) ou dans Rue des écoles face à Thierry Pech, ce n’est pas le cas dans d’autres circonstances (Le Figaro par ex) avec les éternelles insultes contre les « pédagogistes » qui sont lassantes et indignes…
On peut s’accorder sur certains points avec M. Le Maire : le constat de la « souffrance » de trop d’élèves broyés par un système qui ne les accompagne pas assez et leur impose souvent un « moule unique », le vœu d’une vraie formation pédagogique des enseignants (« comme agrégé, spécialiste de Proust, je suis formé à tout sauf à enseigner au collège »), une certaine reconnaissance de l’échec de la droite en matière éducative au début de ce siècle.
Mais voilà : le point essentiel de son programme, c’est la sélection précoce, le manque d’ambition pour tous les jeunes qui, à onze ans, n’auraient pas acquis suffisamment de maitrise du français et des mathématiques, la croyance aux vertus de la pré-professionnalisation. Que signifie-t-elle à cet âge-là ? Surtout quand on prône les vertus de la « mécanique » (M. Le Maire sait-il comment on répare un moteur aujourd’hui ?), mise sur le même plan que le numérique.

spectacle « sciences en scène » joué par des élèves d’école primaire dans le REP de Nogent sur Oise, un bel exemple d’interdisciplinarité
Se déclarer en faveur des « intelligences multiples », très bien (mais je ne suis pas sûr que le député se réfère à la théorie de Howard Gardner, elle-même d’ailleurs discutée dans les milieux scientifiques), mais si c’est pour rejouer la séparation des manuels et des intellectuels, qui comme par hasard va reproduire les origines sociales des élèves, non merci ! Il considère en outre comme négligeables les sciences et les pratiques artistiques, sans doute un luxe pour les élèves les plus en difficulté, alors qu’elles sont des voies de réussite. J’ai pu voir comment des enfants d’éducation prioritaire développaient leurs compétences langagières, orales et écrites, dans le cadre d’expériences scientifiques de La Main à la pâte, j’ai avec mes élèves d’un collège très défavorisé mis en place de fructueuses activités d’écriture dans le cadre de projets interdisciplinaires, avec les sciences, mais aussi l’éducation physique , préfiguration de ce qui pourrait être fait dans les « EPI » (enseignements pratiques interdisciplinaires »). On pourrait multiplier les exemples.
De plus il est à craindre qu’en creusant, on trouve une conception très traditionnelle et surtout inefficace du travail sur le français comme « fondamental » : leçons de grammaire et dictées, alors que la langue s’apprend d’abord par des pratiques diversifiées où l’on fait lire, écrire, parler de façon soutenue, avec une forte exigence culturelle, mais aussi des liens forts avec les pratiques sociales d’aujourd’hui. Ce qui demande bien évidemment une formation approfondie des enseignants, qui doit accompagner les nouveaux programmes proposés dans cette réforme du collège.
Dans de nombreux pays, on a constaté, contrairement à ce que prône M. Le Maire, que la sélection précoce est une bien mauvaise politique. Les « passerelles » qu’il envisage sont des trompe-l’œil ; quand le tri sera effectué par un jeu accru d’options, on aura contribué à gâcher des talents virtuels, on aura abandonné l’ambition de pousser le plus loin possible chaque élève dans le cadre de classes hétérogènes, on aura renoncé à l’effort, bien insuffisant aujourd’hui, vers plus de mixité scolaire.
Les raisons qui ont historiquement présidé à l’instauration du collège pour tous de René Haby, puis à l’objectif d’accroitre le nombre de bacheliers (ce n’est pas du Bourdieu, Monsieur Le Maire, mais du Chevènement !) sont toujours valables. La sélection des meilleurs arrivera plus tard comme c’est le cas dans des pays aussi différents que la Finlande ou le Japon.
Cependant, il est vrai que les objectifs proposés par la réforme sont ambitieux, qu’ils doivent s’accompagner de changements profonds, dont les acteurs principaux doivent être les équipes dans les établissements. Contrairement à ce qu’affirme le député, cette réforme vise bien la diversification, avec une autonomie accrue, mais limitée et encadrée. Cette autonomie qui fait peur aux plus conservateurs est pourtant le gage d’une vraie refondation, si on sait mettre en action tous les acteurs de l’école. « L’autorité » qu’il faudrait « rétablir », c’est aussi cela : ne pas opposer les uns aux autres (parents/professeurs/chefs d’établissement), mais les « autoriser » à inventer des solutions audacieuses pour tirer le meilleur de chacun et de chaque élève.
Dans nos rêves les plus fous, on aimerait qu’un certain consensus puisse s’établir dans le monde politique autour de ces idées de démocratisation et de recherche de l’excellence pour chacun, et qu’au moins on puisse vraiment débattre sans brandir la « pédagogie Nutella » ou les « démolisseurs de Mossoul » que seraient les « pédagogistes fous ». Certes, M. Le Maire ne tombe pas (toujours) dans ces excès. Mais sa conception pessimiste et étriquée de l’école de demain n’est pas la mienne, faisant partie de ceux qui pour la jeunesse de notre pays ont (citons Corneille comme clin d’œil à notre agrégé de Lettres) « une ambition et plus noble et plus belle ».
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