Enseigner au XXI siècle

Combien ou comment ?

Dans le bruit médiatico-politique autour de la réforme du collège et des programmes, il est bien rare qu’on s’intéresse vraiment au « comment faire ? », qu’on aille au plus près du concret des classes et de la réalité des élèves. Le plus souvent, c’est la logique quantitative qui l’emporte, surtout (mais pas exclusivement) chez les contempteurs des réformes. Je vais en donner quelques illustrations.

Bruno Le Maire vient d’inventer un cheval de bataille, sorti de je ne sais quel chapeau : celui des quinze heures de français à l’école primaire. Par le miracle de cette augmentation de deux tiers d’heures en plus, on permettrait à la fin du CM2 à tous les élèves de maitriser la langue française, semble-t-il nous dire. Est-il question du contenu effectif de ces heures, d’un vrai travail de réflexion sur ce orthoqui est efficace (une multiplication de dictées et de leçons ou une pratique accrue du lire-écrire-parler ? mais aussi un travail de fond sur l’orthographe mêlant moments d’automatisation et moments réflexifs, comme le propose le Conseil supérieur des programmes.) S’interroge-t-on sur les autres manières de « faire du français » : activités orales et écrites autour des sciences, lecture de documents d’histoire-géographie, sans parler du fort travail sur la langue en mathématiques. Diverses études récentes montrent l’importance de la « langue de l’école », si discriminante quand on ne possède pas les codes. Cette langue là se travaille dans toutes les disciplines, y compris d’ailleurs l’éducation physique.

Tout semble indispensable en Histoire. Le nombre de chapitres étudiés, avec l’idée qu’il ne faut rien sacrifier prend le dessus sur la réflexion du « comment » : comment permettre l’appropriation de ces notions indispensables au-delà des contenus telles que civilisation, démocratie, ou facteurs de croissance économique ? Comment faire acquérir des méthodes d’analyse, comment travailler de près l’étude de documents en vérifiant leur validité, en sachant dénicher les partis pris possibles et le point de vue qui s’exprime. On en reste bien souvent à une vision du prof qui enseigne, et du moment que c’est enseigné, tout va bien ! Alors que tout commence, ou plutôt tout précède : quelles représentations les élèves ont-ils avant le cours ? Qu’est-ce qu’on veut faire « bouger » lorsque par exemple on montre les relations complexes entre République, monarchie et démocratie ou pouvoir aristocratique ? Une des questions qui se posent au professeur d’Histoire c’est de savoir jusqu’où aller dans la complexité, selon l’âge des élèves. Où mettre le curseur entre le simplisme outrancier et une subtilité trop grande qui peut dérouter et mettre en échec beaucoup d’élèves ? Tout cela est également peu présent dans les débats actuels (avec bien des guillemets dans certains cas pour ce mot débat !)

Avoir davantage d’heures pour enseigner semble être l’alpha et l’oméga de nombreux collègues. Et si on travaillait sur l’efficience de ces heures, dont on sait qu’elles n’ont pas la même valeur selon leur place dans un emploi du temps, qu’on peut très bien gagner du temps en les regroupant par exemple (les cinq minutes de perdues à changer de salle ou à mettre en place le matériel, cumulées sur l’année, ça fait beaucoup). Des expériences d’emploi du temps différents ont existé dans les années 80. On oublie si vite dans notre système éducatif, et pourtant, on avait constaté l’importance de l’utilisation rationnelle du temps. Mais là encore, c’est le contenu qui est le plus important. Prenons par exemple le temps que les élèves passent à copier et à copier encore des phrases qu’ils ne comprennent pas toujours d’ailleurs. Et si on copiait moins pour « écrire » plus ? Trois minutes pour écrire ce qu’on a compris d’une explication du professeur, suivies d’une confrontation rapide en groupes de proximité, et une reprise collective : voilà du temps bien utilisé. En formation d’enseignants, la question doit être centrale : comment maximiser les heures de cours, toujours trop courtes, en sachant trouver le « bon braquet » selon les circonstances. Évidemment, la représentation traditionnelle du prof qui parle et des élèves qui « grattent » reste dominante, surtout à partir de la cinquième. Je sais que beaucoup contestent cette prééminence du cours magistral, fût-il égayé de quelques dialogues avec les élèves, et pourtant, elle me parait encore bien forte. Mais je ne conteste pas l’intérêt de moments magistraux. Ceux-ci toutefois, à condition de ne pas être trop longs, prennent de l’efficacité lorsqu’un travail préalable, impliquant activement les élèves, a été mené qui amène à se poser des questions. Trop souvent, l’explication précède le travail des élèves, et diraient nos amis du GFEN de manière sans doute excessive, l’explication tend à empêcher la compréhension.

à l'ancienneOn nous vante, en ces temps de diffusion de produits « à l’ancienne », les mérites du par cœur, de l’entrainement systématique. Comme si les pédagogues refusaient d’y recourir ! Peut-être certaines tendances de l’éducation nouvelle en ont-elles sous-estimé les vertus, mais beaucoup moins qu’on ne le dit. Mais là encore, c’est le « comment » qui importe et non le temps passé aux « gammes » et à la systématisation. Le « comment », c’est de savoir à quel moment de l’apprentissage se situe ce temps-là, et de pouvoir accompagner les élèves dans un apprentissage méthodique de la mémorisation par exemple.

L’autre exemple de la polarisation sur le quantitatif est l’éternelle revendication de la baisse du nombre d’élèves par classe. J’ai connu ces heures en petits groupes, parfois de cinq ou six élèves, totalement inefficaces parce qu’on n’avait pas pensé les contenus, le comment utiliser ces heures. Et ces classes de 15 bien difficiles à gérer, parce que sans vrais éléments moteurs, parce que trop homogènes, et en cas, j’aurais été preneur de dix élèves de plus avec quelques élèves un peu plus performants. J’ai entendu parfois ces réflexions cocasses suite à un exposé en formation sur des pratiques pédagogiques innovantes : « oui, mais vous pouvez faire ça parce que vous êtes en ZEP, avec des effectifs bas ». En ce cas, je disais à mon interlocuteur qu’il pouvait facilement demander une mutation pour une zep, mais surtout que lorsqu’il faut prêter attention à autant d’élèves en difficulté, peu habitués à l’autonomie, il est bien plus difficile de gérer dix élèves que vingt ou trente. Il n’y a qu’un ministre bien éloigné des réalités des classes ordinaires (il s’agissait de Xavier Darcos, dans une intervention au Sénat) pour penser que le travail en petits groupes est si aisé (il l’est peut-être sur les conditions de travail, mais pas pour ce qui est de l’efficacité à long terme). La question des effectifs est souvent bien mal posée, même si j’admets bien volontiers qu’il y a des effets de seuil et qu’il est difficile de faire de la pédagogie différenciée à trente cinq en lycée. Mais bien d’autres considérations entrent en jeu, par exemple l’espace ou le climat général de l’établissement.

On pourrait multiplier les exemples et montrer qu’on est souvent loin des vraies questions de fond dans de nombreux articles sur Le gall-aiderl’école. Ah, s’il suffisait d’inscrire au programme telle notion pour qu’elle soit assimilée, ah, s’il suffisait de rajouter des heures de cours pour améliorer tel ou tel enseignement, de diminuer le nombre d’élèves par classe en prétendant qu’à 25 on ne peut pas faire ce qu’on ferait à 22, de donner à haute dose de l’accompagnement éducatif aux élèves qui ont des difficultés sans penser suffisamment les conditions de son efficacité et déjouer les effets pervers (garder le cours classique, puisqu’il y a de l’accompagnement pour ceux qui ne suivent pas) !

Bien sûr qu’il faut des moyens à l’école, mais sachons les utiliser avec intelligence et pertinence. Peut-être que parfois il vaut mieux consacrer quelques heures de plus à se concerter que d’utiliser des heures sans avoir réfléchi à leur utilisation. Ce sera d’ailleurs un des enjeux de l’utilisation du volant d’heures accordé aux établissements en 2016 pour mettre en œuvre la réforme. OK pour réclamer des moyens (1)» Mais utilisons ces moyens au service d’une école plus juste et plus efficace !

 

  1. petit rappel du rapport Delahaye à propos des heures de colle en prépa: « En 2013, la somme consacrée à cette dépense sur le budget de l’enseignement scolaire a été de 70,4 millions d’euros pour 83520 étudiants de CPGE, soit 843 euros par élève, à comparer aux 270 millions d’euros pour l’accompagnement éducatif pour 893000 élèves, soit 302 euros par élève. Ajoutons que les crédits consacrés aux heures de colle ont augmenté deux fois plus vite que le nombre d’étudiants sur la période 2002-2012.

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