Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: juin 2015

Gardiens du Capitole ?

Récemment, un avis de l’Académie Française sur la réforme du collège a été émis. On nous dit « à l’unanimité » sans qu’on sache bien s’il s’agit des présents lors d’une réunion (on sait que dans les séances, on est loin de faire le plein) ou si les soi-disant Immortels ont bien tous approuvé ce texte que j’ai tendance à trouver consternant.

Je vais ici contre-argumenter, après le mouvement d’humeur qui fait remonter en moi tout ce que je sais sur cette Assemblée qui a mis si longtemps à élire une femme, qui a autrefois écarté Émile Zola (24 fois), Balzac, Alexandre Dumas ou Verlaine et qui a souvent académieprovoqué des quolibets (une citation parmi tant d’autres de Bernanos dans sa correspondance : « Quand que je n’aurai plus qu’une paire de fesses pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie Française. » ou de Diderot parlant dans une lettre à Sophie Volland des « quarante oies qui gardent le Capitole »). Mais ne nous arrêtons pas à cette facilité et voyons de plus près au nom de quoi nos académiciens condamnent la réforme d’une institution qu’ils connaissent sans doute très mal, comme ils connaissent sans doute très mal les textes des projets de programmes auxquels ils font allusion. (suite…)

Le travail manuel pour les « manuels » ?

J’ai évoqué récemment la question du « pratique » à l’école, traitée souvent de façon simpliste et approximative, à travers son opposition au « théorique ». On retrouve les mêmes problèmes avec le couple manuel/intellectuel. Certains, par exemple Bruno Le Maire récemment, mais aussi Raffarin et bien d’autres, exaltent « l’intelligence de la main », surtout pour mieux confiner en fait les « manuels » habiles dans une filière qui serait à part, et bien sûr marquée socialement, ce que n’avouent guère les tenants de cette sélection précoce. Pour autant, la question de la place des activités manuelles à l’école reste posée et souvent occultée. (suite…)

Ça marche ?

ça marchePlusieurs défenseurs de dispositifs qui seront supprimés ou limités avec la réforme du collège, proclament haut et fort qu’on démolit « ce qui marche ». Récemment, François Bayrou s’alarme de propositions de réforme de Polytechnique avec le même argument. Et à l’inverse, on veut nous faire croire que les innovations de la rentrée 2016 ne font que reprendre d’autres dispositifs qui, eux, ne « marchaient pas », ont été abandonnés parce qu’ils « ne marchaient pas »…

Or, tout cela est bien rarement étayé. (suite…)

Concret/abstrait : pas si simple !

Le vocable « concret » est souvent utilisé de façon méliorative : il faut être concret, loin d’abstractions fumeuses. On dit rarement « trop concret » alors que l’adverbe « trop » est souvent associé à abstrait (mais on parle de façon positive d’ « accès à l’abstraction ». Concernant l’enseignement, l’usage de ces deux expressions est souvent hasardeuse, très floue et bien peu rigoureuse. C’est ainsi que d’un côté, la ministre pour la réforme du collège  vante les mérites humour concretdes EPI qui permettraient une approche plus concrète des savoirs scolaires, « concret » étant d’ailleurs ici un synonyme de « pratique » opposé à son antonyme « théorique ». D’un autre côté, un Bruno Le Maire prône des voies plus concrètes pour ces élèves « manuels » qui ne pourront guère accéder à ce qui est trop abstrait sans doute, au nom de la fameuse « intelligence de la main », faisant penser à ce début de film de Truffaut « L’argent de poche » (sauf erreur) où un professeur explique en début d’année à ses élèves du « technique » qu’ils sont eux des manuels dans le cadre de la division de la société en deux groupes bien nets.

Dans le Larousse sur internet, on trouve trois définitions de « concret »

« Par opposition à abstrait, qui est directement perceptible par les sens ; palpable, tangible, matériel»

« Par opposition à hypothétique ou à théorique, qui est en prise directe avec la réalité, qui y fait référence, qui est en rapport étroit avec l’expérience.»

« Qui ne s’écarte pas des faits réels, des données de l’expérience. »

La « prise directe avec la réalité » n’est pas sans poser problème ; la réalité serait ce qui est palpable par les sens, et dès lors le mouvement du soleil perçu par notre vue est bien plus concret que l’abstraction qui serait son non-mouvement par rapport à la Terre. Mais bien sûr, ce concret-là s’avère faux.

En fait, cette opposition concret/abstrait est réductrice et  appauvrissante. Ce qui devrait intéresser le plus les enseignants, ce sont en fait les manières possibles de trouver les chemins concrets vers la nécessaire abstraction. On pourrait dire aussi qu’un des rôles majeurs d’activités plus pratiques est de permettre d’accéder à la théorie, non pas spontanément, mais seulement si l’enseignant parvient justement à ne pas s’engluer dans la simple pratique, d’où l’importance des temps réflexifs, métacognitifs, de généralisation, de prise de recul, de « théorisation » donc.

Je voudrais dans ce billet illustrer par quelques exemples « concrets » ce que peut être l’utilisation d’approches concrètes pour mieux accéder à des notions , à des concepts, pour comprendre aussi ce qu’une situation peut avoir de spécifique mais aussi de typique de quelque chose de plus général. (suite…)