Le vocable « concret » est souvent utilisé de façon méliorative : il faut être concret, loin d’abstractions fumeuses. On dit rarement « trop concret » alors que l’adverbe « trop » est souvent associé à abstrait (mais on parle de façon positive d’ « accès à l’abstraction ». Concernant l’enseignement, l’usage de ces deux expressions est souvent hasardeuse, très floue et bien peu rigoureuse. C’est ainsi que d’un côté, la ministre pour la réforme du collège vante les mérites
des EPI qui permettraient une approche plus concrète des savoirs scolaires, « concret » étant d’ailleurs ici un synonyme de « pratique » opposé à son antonyme « théorique ». D’un autre côté, un Bruno Le Maire prône des voies plus concrètes pour ces élèves « manuels » qui ne pourront guère accéder à ce qui est trop abstrait sans doute, au nom de la fameuse « intelligence de la main », faisant penser à ce début de film de Truffaut « L’argent de poche » (sauf erreur) où un professeur explique en début d’année à ses élèves du « technique » qu’ils sont eux des manuels dans le cadre de la division de la société en deux groupes bien nets.
Dans le Larousse sur internet, on trouve trois définitions de « concret »
« Par opposition à abstrait, qui est directement perceptible par les sens ; palpable, tangible, matériel»
« Par opposition à hypothétique ou à théorique, qui est en prise directe avec la réalité, qui y fait référence, qui est en rapport étroit avec l’expérience.»
« Qui ne s’écarte pas des faits réels, des données de l’expérience. »
La « prise directe avec la réalité » n’est pas sans poser problème ; la réalité serait ce qui est palpable par les sens, et dès lors le mouvement du soleil perçu par notre vue est bien plus concret que l’abstraction qui serait son non-mouvement par rapport à la Terre. Mais bien sûr, ce concret-là s’avère faux.
En fait, cette opposition concret/abstrait est réductrice et appauvrissante. Ce qui devrait intéresser le plus les enseignants, ce sont en fait les manières possibles de trouver les chemins concrets vers la nécessaire abstraction. On pourrait dire aussi qu’un des rôles majeurs d’activités plus pratiques est de permettre d’accéder à la théorie, non pas spontanément, mais seulement si l’enseignant parvient justement à ne pas s’engluer dans la simple pratique, d’où l’importance des temps réflexifs, métacognitifs, de généralisation, de prise de recul, de « théorisation » donc.
Je voudrais dans ce billet illustrer par quelques exemples « concrets » ce que peut être l’utilisation d’approches concrètes pour mieux accéder à des notions , à des concepts, pour comprendre aussi ce qu’une situation peut avoir de spécifique mais aussi de typique de quelque chose de plus général. (suite…)