Faut-il être ennuyeux pour être rigoureux ?
Dans son très stimulant essai L’histoire est une littérature contemporaine, Ivan Jablonka fustige un certain type d’écriture académique utilisée par des historiens (mais cela va bien au-delà et touche toutes les sciences sociales) en ces termes : « on sait ce que l’on veut éviter-non-texte, style aseptisé, jargon savant, « nous » de majesté, solennité de l’introduction et de la conclusion, train-train de l’annonce de plan, lest de la note érudite, dispositio mécanique qui fixe les parties indépendamment du sujet, prétention d’exhaustivité dans les biographies, pseudo-neutralité du chercheur… »
Ces lignes résument bien les reproches qu’on peut faire à trop de textes abscons, qui découragent le lecteur et donnent une fausse idée de la recherche, et en particulier en sciences de l’éducation. Il m’est arrivé pour une revue de recherche en didactique de devoir réécrire mon texte, jugé trop « littéraire », pas assez froid, j’ai envie de dire pas assez difficile à lire. J’ai déjà écrit ici que l’un des problèmes de lisibilité de nombreux textes de recherche résidait dans la syntaxe, qui a recours aux formes impersonnelles (passif, formes pronominales, forme impersonnelle proprement dite), à la « cataphore » qui renvoie à un sujet à venir au lieu de le présenter en début de phrase, ce qui peut être un procédé littéraire intéressant, mais ce n’est pas le cas ici. Il y a bien sûr le problème des phrases très longues, avec multiplication des compléments de nom, des subordonnées, sans parler des parenthèses. Le rythme de lecture est haché par l’apparition des noms d’auteurs et date entre crochets, avec renvoi à de nombreux articles, souvent peu disponibles. (suite…)