Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: juillet 2015

Faut-il être ennuyeux pour être rigoureux ?

Dans son très stimulant essai L’histoire est une littérature contemporaine, Ivan Jablonka fustige un certain type d’écriture académique utilisée par des historiens (mais cela va bien au-delà et touche toutes les sciences sociales) en ces termes : « on sait ce que l’on veut éviter-non-texte, style aseptisé, jargon savant, « nous » de majesté, solennité de l’introduction et de la conclusion, train-train de l’annonce de plan, lest de la note érudite, dispositio mécanique qui fixe les parties indépendamment du sujet, prétention d’exhaustivité dans les biographies, pseudo-neutralité du chercheur… »

Ces lignes résument bien les reproches qu’on peut faire à trop de textes abscons, qui découragent le lecteur et donnent une fausse idée de la recherche, et en particulier en sciences de l’éducation. Il m’est arrivé pour une revue de recherche en didactique de devoir réécrire mon texte, jugé trop « littéraire », pas assez froid, j’ai envie de dire pas assez difficile à lire. J’ai déjà écrit ici que l’un des problèmes de lisibilité de nombreux textes de recherche résidait dans la syntaxe, qui a recours aux formes impersonnelles (passif, formes pronominales, forme impersonnelle proprement dite), à la « cataphore » qui renvoie à un sujet à venir au lieu de le présenter en début de phrase, ce qui peut être un procédé littéraire intéressant, mais ce n’est pas le cas ici. Il y a bien sûr le problème des phrases très longues, avec multiplication des compléments de nom, des subordonnées, sans parler des parenthèses. Le rythme de lecture est haché par l’apparition des noms d’auteurs et date entre crochets, avec renvoi à de nombreux articles, souvent peu disponibles. (suite…)

A propos du soutien de l’OCDE à la ministre de l’éducation nationale

Il y a quelques années, une des icônes d’une partie de la gauche dite dessin compétences«anti-libérale », Nico Hirtt, qui fit l’éloge dans un texte public de la politique nord-coréenne (peut-on lui pardonner un jour ?), prononçait une diatribe contre les conceptions de l’OCDE en proposant non de citer exactement les productions écrites de cette dernière, mais en les « traduisant » pour que le bon peuple puisse comprendre les sombres desseins cachés derrière les belles paroles. (suite…)

Ironie, consternation, colère : les sénateurs ratent le train…

La Commission d’enquête « service public de l’éducation, repères républicains et difficultés des enseignants » du Sénat a rendu son rapport intitulé « Faire revenir la République à l’école », rapport adopté par une courte majorité, mais soutenu par la présidente radicale de gauche, Françoise Laborde.
En lisant à la fois ce rapport (très long et souvent fastidieux) et surtout les 20 propositions finales, on est partagé entre l’ironie, la consternation et la colère.

levée du drapeau à montfermeil
commissionIronie devant l’incohérence de cet « inventaire à la Prévert » (je reprends une expression stéréotypée bien adaptée à cette pitoyable liste) que constituent les propositions finales. On y trouve mis sur le même plan l’envoi de SMS aux parents d’élèves absents (y a-t-il beaucoup d’établissements qui ne le font pas d’ailleurs ? mais il faut noter que cela se fera dans un contexte de brouillage de téléphones portables dans l’établissement…) et un barrage, si on comprend bien, à l’entrée de la sixième pour ceux qui n’auront pas le niveau en français. Le rapporteur, Jacques Grosperrin (sur qui nous reviendrons plus loin) dit lors d’une séance finale de la commission ne pas vouloir remettre en cause la loi de la refondation de 2013, mais réinstitue la coupure entre cm2 et sixième, au mépris de l’existence du cycle 3. (suite…)

Laïcité : éloge des analyses qui aident à comprendre la complexité !

Je viens de lire l’ouvrage de Patrick Weil « Le sens de la République » et je me permets d’en recommander la lecture pour l’été. On peut, pour se mettre en appétit, écouter son intervention sur France culture récemment.

Tout le long du livre, l’historien, qui fut membre de la commission Stasi sous la présidence Chirac qui élabora des propositions sur la laïcité (dont l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école), essaie sur les questions de laïcité de sortir de cette terrible logique binaire qui nous oblige sans cesse à recourir au simplisme, au soi-disant bon sens ou aux clivages de principe, quand, sur le terrain, on doit bien admettre la complexité des situations.

Patrick Weil.10 janvier 2011.OdŽon.Paris.Michela Cuccagna©Patrick Weil évoque, dans ses réponses au journaliste du Monde Nicolas Truong, diverses questions qui agitent souvent le monde médiatique : la burka, les cantines scolaires, la place du religieux dans l’espace public (pas simple à délimiter d’ailleurs), et d’autres plus vastes, dont celle de « l’identité française ». Pour l’auteur, les français ne souffrent pas « d’insécurité culturelle » (Weil s’oppose au courant Guilluy-Bouvet ), mais de manque de recul historique et l’Ecole a une responsabilité particulière qui est justement celle de remettre ces questions dans le temps long. (suite…)