Le coup de com de la ministre autour de la « dictée quotidienne » en a irrité plus d’un parmi les personnes qui s’intéressent sérieusement aux questions d’enseignement de la langue et des langages, qui auraient aimé qu’on examine de près ces nouveaux programmes qui contiennent bien des éléments intéressants, qui voudraient naïvement qu’on considère avec rigueur les questions éducatives, sans avoir le nez tourné vers un passé mythifié et mystificateur.
Plus d’un, dont moi.
J’entends bien les raisons tactiques qui ont amené la ministre que j’ai connu mieux inspirée à faire cette sortie : désamorcer les querelles, détourner l’attention de polémiques éventuelles, rassurer l’opinion. Mais je crains bien plus les effets contre-productifs de ce que j’ose espérer n’être qu’une ruse. Le décalage avec ce qui est dit dans les programmes est flagrant : ceux-ci prônent en effet plus d’autonomie pour les enseignants sans leur imposer un tel carcan, et surtout proposent des activités autour de l’écriture bien plus intéressantes que la réitération de la dictée comme étant au centre de l’enseignement du français.
Notons que l’ancien socle commun dans le pilier 1 mettait la dictée comme quelque chose d’essentiel, qui méritait les caractères gras, et de simple exercice d’évaluation devenait comme une vache sacrée indispensable. Ce qui n’est le cas ni du socle commun actuel, ni des programmes. Ceux-ci au contraire prônent une grande variété de pratiques, bien plus intéressantes souvent que la simple « dictée ».
Sans vouloir ici développer tout ce qui a été mis en avant pour nombre de chercheurs et praticiens et dont on pourra avoir un aperçu en consultant le dossier des Cahiers pédagogiques sur l’orthographe, je voudrais ici énoncer quelques idées pas forcément simples, en tout cas pas simplistes, je crois, sur la dictée.
1. C’est un exercice marqué historiquement. La dictée n’a pas existé de tout temps, elle s’est développée surtout au début du siècle dernier et a pris peu à peu une importance démesurée, déjà dénoncée par Jules Ferry qui fustigeait son abus.
Notons d’ailleurs que si les élèves français sont plus faibles au niveau de dictées comparées, comme l’ont montré Danielle Manesse et Danièle Cogis, lorsqu’on analyse des rédactions, ou des écrits d’autres disciplines d’élèves du primaire « d’autrefois », les résultats sont moins brillants.
2. C’est un exercice d’évaluation avant tout qui permet de vérifier si on orthographie correctement dans une situation bien précise : écrire sous la dictée. Situation d’écriture qui n’est pas la plus fréquente, puisqu’on écrit surtout ce qu’on a dans sa tête, sans qu’il y ait oralisation. Exercice d’évaluation assez curieux où on enlève des points à partir d’un capital de départ et où dans sa forme canonique on parvient rapidement à Zéro, ce qui ne permet pas de noter les formidables progrès de celui qui passe de trente erreurs à quinze, qui ne hiérarchise pas les erreurs ou le fait très mal, mettant sur le même plan une erreur d’accord du participe passé avec « avoir » et une confusion grave qui fait écrire « je manger » par exemple.
3.C’est un exercice qui n’est utile en termes d’apprentissage que comme un élément dans un ensemble et si la dictée est ciblée : sur une difficulté, sur l’entrainement à mémoriser un groupe de mots avant de l’écrire (en s’en faisant d’abord une image mentale), sur des mots nouveaux qu’on vient d’apprendre, etc. Elle peut prendre les formes les plus diverses, que je n’énumérerai pas ici mais que les enseignants de français et les professeurs des écoles connaissent bien dans l’ensemble, dès lors qu’ils ont rompu avec cette croyance ridicule que la dictée solennelle pourrait faire progresser d’autres élèves que ceux qui sont déjà bons en orthographe. Citons seulement la dictée dialoguée, qui permet de discuter des choix à faire entre plusieurs formes. Ou les travaux de groupes où les élèves doivent se mettre d’accord sur la bonne graphie, avec interdiction de recourir au vote .
4.« La » dictée est une escroquerie en ce qu’elle fait croire en une efficacité que personne n’a prouvée, bien au contraire. Des élèves gavés de dictées à l’école primaire ne font pas mieux que ceux qui ont travaillé l’orthographe autrement. Oui aux dictées si on met le pluriel au mot, si on leur donne une place modeste, aux côtés d’activités nombreuses, dont certaines plus réflexives. Malheureusement, comme le disait De Closets dans un livre très honnête de la part d’un ancien cancre en orthographe, on se préoccupe beaucoup moins de la difficulté qu’ont beaucoup d’élèves à écrire un texte explicatif simple, alors que c’est bien plus ennuyeux et handicapant. Je crains que les Universités qui mettent en place des ateliers de remédiation sur la langue se fassent parfois manipuler par des officines commerciales peu scrupuleuses, qui leur font croire que c’est par des dictées et des leçons de grammaire que le niveau de langue des étudiants s’améliorera.
5.Bien entendu, il faut travailler l’orthographe, et ceci très en amont du collège. Dicter des phrases ou des mots fait partie de cet apprentissage, mais il faut que ce soit fait à bon escient. Comme le dit Roland Goigoux, il faut trouver le bon tempo et bien articuler ce travail avec les autres. Les programmes de cycles sont intéressants en cela qu’ils construisent une progression, même s’ils sont moins audacieux que je l’aurais souhaité. C’est ainsi que le cycle 3 centre bien l’enseignement de la langue sur l’orthographe plus par exemple que sur une grammaire réflexive qui sera bien plus pertinente au cycle 4. Mais le programme indique des priorités. Si on pouvait définitivement mettre de côté des questions aussi mineures que les pluriels composés, les adjectifs de couleur ou des conjugaisons sophistiquées (le verbe « moudre » !) qui occupent pourtant un temps précieux bien inutile et surtout font croire que c’est cela l’orthographe : chausse-trappe ou chausse-trape ?
Quand le sage montre la lune du texte, l’idiot regarde l’orthographe de tel mot, tels ces lecteurs de journaux dont le passe-temps favori est de « dénicher les fautes ». Je sais d’avance qu’en développant ces idées, je vais me faire traiter de fossoyeur de notre sacro-sainte Orthographe et de quasi barbare djihadiste démolissant les chefs d’œuvre de notre civilisation, mais tant pis. J’aime la réponse de Victor Hugo à un sénateur conservateur qui affirmait avec véhémence que la langue française était entrée en décadence en 1789 : « à quelle heure ? » et je me permets de réinsérer ce dessin de Charb que j’ai déjà publié.
Oui, donc, au travail sur la langue, ce qui implique aussi de réfléchir sur ce à quoi sert l’orthographe, avec toujours une tension entre l’intérêt du scripteur (écrire un peu comme il l’entend) et celui du lecteur (qui veut une graphie unifiée). Cela passe par des activités que j’ai pratiquées en classe : examen de textes d’auteurs anciens (savoureuses lettres, si on peut dire, de la veuve de Jean-Jacques Rousseau par exemple), articles de journaux sur la place de l’orthographe, enquêtes auprès des usagers, des parents, des autres enseignants (tant de réponses absurdes du genre : l’orthographe, ça sert à bien parler) Parvenir aussi à détendre les élèves par rapport à cette question, car la peur au ventre avant une dictée n’a jamais fait progresser quiconque. Montrer le mélange de logique et d’arbitraire dans les graphies, y compris l’historique des graphies (sottise de ceux qui ont critiqué la graphie « nénufar » qui était en fait un retour à l’original). Comparer les langues (le rôle du « s » en français et en anglais ou en allemand), ce que suggèrent aussi les programmes. Pourquoi pas des EPI sur l’orthographe d’ailleurs (français-histoire en cinquième, en élargissant aux pratiques d’écriture au moyen âge et au moment où nait l’imprimerie).
Bref, on peut être intelligent en orthographe, on peut se débarrasser du mythe de la « dictée », tout en ménageant les susceptibilités (en conserver quelques « solennelles » pour faire plaisir aux parents ?) en revendiquant la supériorité d’activités diversifiées mêlant réflexif et automatismes. Tout en ne cachant pas la difficulté à permettre aux élèves d’améliorer leur orthographe dans le cadre socioculturel actuel, ce qui est moins un drame national qu’on ne le dit, mais ce qui est quand même fâcheux et préoccupant. Reste qu’il faudrait aussi faire évoluer notre orthographe, et même si enfin, les programmes disent explicitement qu’il faut appliquer les modifications orthographiques lancées par la commission Cerquiligni à la demande de Michel Rocard (qui a eu moins de difficultés avec les camps opposée en Nouvelle-Calédonie que sur cette question !), les changements, là, ce n’est pas vraiment maintenant.
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Lorsque la Ministre parlait de « dictée », elle en faisait un terme générique. Elle a d’ailleurs développé son propos à l’AFP le vendredi qui a suivi la publication d’une tribune titrée par Le Monde.
On a beaucoup parlé de dictées, d’orthographe après cette tribune. Mais on n’a pas entendu beaucoup de gens pour rappeler que les élèves de ce pays sont TRES faibles et le sont de plus en plus en orthographe. Comme si le fait de rappeler cela gênait.
Tout le monde à l’école travaille beaucoup sur l’orthographe. Mais pour quels résultats au final? C’est peut-être aussi là-dessus qu’il conviendrait de se pencher. Je vois le travail réalisé par les PE pour mes enfants et neveux. Mais ils ne progressent absolument pas. Le plus âgé dont je parle a 14 ans et il est toujours aussi mauvais malgré les exercices très variés qu’il a connus et appréciés. Mais niveau résultats, c’est le quasi néant. Parfois j’ai l’impression que les profs se font plaisir. Pour rien!