Pour les détracteurs du collège unique, (qu’il vaudrait peut-être appeler autrement tant le mot « unique » a pris une connotation négative), ce n’est dans l’intérêt de personne de garder les jeunes ensemble jusqu’à 16 ans. Les « bons » seraient ralentis, et encore plus si on supprime les classes qui, quoiqu’on dise, leur permettait de conserver un entre-soi. Les moyens seraient tirés vers le bas par les élèves en difficulté. Pour ceux-ci d’ailleurs, à partir de 14 ans, la solution est simple : il faut qu’ils quittent les structures traditionnelles de l’école au profit de dispositifs d’apprentissage ou de pré-apprentissage, censés répondre aux problèmes…d’apprentissage (dans un autre sens). Car bien sûr, ils ne demanderaient pas mieux que d’échapper à cette atmosphère scolaire où il faut écouter, accepter un peu, voire beaucoup d’ennui, se plier à des règles qu’ils sont incapables de suivre. Ils auraient envie de « concret », de pouvoir manipuler et rien de tel pour cela que la préparation à un métier manuel, un bon vieux métier manuel. Voilà la fable contée par les Bruno Le Maire et autres leaders « républicains », mais aussi par un certain nombre d’enseignants, y compris se déclarant très à gauche, qui adhérent à cette solution, car n’est-ce pas, c’est « pour leur bien ».
Le problème est que beaucoup d’élèves en échec ne sont pas du tout désireux d’arrêter l’école classique à 14 ans et veulent poursuivre au collège. Ils pourraient ressentir cette orientation comme humiliante ou dégradante. Et d’autre part, n’est-ce pas une illusion complète de penser qu’ils s’en sortiront parce qu’ils vont apprendre soi-disant un « métier », dans une conjoncture où des patrons ne sont guère prêts à accueillir des jeunes pas forcément sérieux (respect des horaires par exemple), peu formés et à un âge très bas (voir par exemple le remarquable ouvrage de Baudelot et Establet, expliquant pourquoi, même pour vendre des pizzas, les employeurs préfèrent embaucher un bachelier qu’un jeune non diplômé).
Alors que le mouvement en Europe va plutôt à l’inverse de l’orientation précoce, comme en Allemagne ou la Pologne (malgré les craintes de marche arrière pour ce pays depuis les récentes élections), le retour à une orientation à 14 ans serait effectivement une régression, mais en cas d’alternance politique, cela risque d’être la solution démagogique à courte vue retenue. Je me souviens d’un proviseur de lycée professionnel expliquant à des professeurs de collège qu’il était dangereux de laisser croire aux élèves allant en LP qu’ils seraient dans un enseignement dit plus concret, alors qu’ils allaient devoir utiliser par exemple des notions de maths, etc. Et mettait en garde contre la légende de la motivation par le « manuel ».
Qu’il puisse exister des dispositifs ponctuels pour accompagner des jeunes en rupture avec l’école, en partenariat avec des entreprises, pourquoi pas ? Le rejet de tout aménagement de la scolarité me parait vain et dogmatique. Dans le collège où j’ai enseigné, ce genre de dispositifs existait pour quelques cas particuliers et donnait satisfaction. Mais une chose est de travailler sur des solutions pragmatiques à la marge, pour un pourcentage très faible d’élèves décrocheurs ou en voie de l’être, autre chose est d’ouvrir les vannes à cette facilité qui consisterait finalement à éjecter 10 à 15% des élèves de l’école du socle commun à la fin de la cinquième (maintenant première année du cycle 4).
Étendre des possibilités locales, encadrées et bien circonscrites à certains élèves, dans le cadre d’une autonomie relative des établissements scolaires serait un renoncement au socle commun, aux efforts pour lutter contre l’échec, qui doivent être au cœur de la réforme du collège. Le « bon sens » n’est pas de mise, nous le répétons régulièrement sur ce blog et ailleurs, qui consisterait à estimer efficace et juste la séparation du bon grain et de l’ivraie.
D’autant qu’il y a une confusion quant aux profils d’élèves. Tous les décrocheurs ne sont pas des élèves ne maitrisant pas les fondamentaux (il suffit de voir le public, très hétérogène, des micro-lycées pour décrocheurs), et tous les élèves en difficulté sont loin d’être des décrocheurs au sens où ils refuseraient l’école. Philippe Meirieu avait établi ainsi une distinction entre élèves en difficulté et élève en échec (je préfère pour ma part parler d’élèves en « refus d’école ») : deux profils opposés. La solution «pré-apprentissage à 14 ans » serait standard : tous ceux qui ne suivent pas partiraient de l’école. Peu importe leur profil (mais parfois on feint de confondre tous ces profils si différents). Solution de facilité qui montrerait vite ses limites, comme elle l’a montré autrefois, puisque la réforme Haby du collège unique fut, dans un premier temps, incomplète puisqu’elle acceptait ce système.
Oui, nous, enseignants, avons la responsabilité de faire acquérir le socle commun par tous, ou du moins de nous approcher de cet objectif qui doit être mobilisateur. On peut toujours se réfugier dans les bonnes excuses : les classes sont surchargées, c’est la société qui est responsable, l’école fait ce qu’elle peut, au fond, l’école ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
IL ne s’agit pas de nier les difficultés à faire réussir les plus fragiles, les plus éloignés de l’école. Sans doute faut-il faire preuve d’inventivité, de réhabiliter les activités manuelles, oui, mais pour tous, nous l’avons déjà dit ici-même. C’est d’ailleurs ce que déclarait le regretté Louis Legrand qui vient de disparaitre et dont j’ai le souvenir d’une intervention lors d’un grand colloque du parti socialiste en décembre 81 où il affirmait que notre enseignement était trop abstrait, mais pas pour remettre en cause le collège unique, bien au contraire puisqu’il en était un père fondateur. D’autres systèmes savent mieux valoriser l’activité, y compris très manuelle, des élèves, alors que dans le nôtre, la pente est souvent fatale vers une abstraction toujours plus poussée, y compris par exemple dans l’enseignement de la technologie.
Le «parcours avenir », récemment établi comme faisant partie des programmes du collège, est une belle opportunité, pour mieux connaitre le monde de l’entreprise, dans tous ses aspects, mais pas seulement. C’est là-dessus qu’il faudrait s’appuyer et non en allant sur la mauvaise pente du manque d’ambition et du renoncement. Pour autant, on peut discuter de la place des formules d’alternance dans notre système, ne pas non plus se raccrocher à l’illusoire extension de la scolarité obligatoire à 18 ans (solution magique là aussi). Les enjeux ne sont pas que scolaires et ne concernent pas que le monde scolaire, bien entendu…