Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: février 2016

Lire Umberto Eco fait toujours du bien!

La disparition du grand intellectuel italien m’attriste. J’étais un de ses fervents lecteurs et c’est l’un des rares contemporains dont j’ai lu toute l’œuvre romanesque, avec délectation. Même si j’ai été déçu par ce qui sera donc son dernier récit Année zéro, pas à la hauteur des précédents, malgré l’intérêt du sujet.

Je l’ai découvert, étudiant, découvrant toute la richesse de la sémiologie, alors qu’il n’était connu que dans le petit cercle des passionnés de Barthes, Greimas ou Jakobson. Puis est arrivé le coup de tonnerre du Nom de la rose, ce roman brillant, savoureux, fête de l’intelligence et de l’humour au beau milieu du schéma traditionnel des meurtres en série dans un lieu clos. J’ai été d’abord mis en appétit par une émission de Pivot où on découvrait ce monsieur barbu (ah, j’ai regretté un jour que la barbe ait fait place à la moustache !) à l’accent délicieux et à la culture immense (dont il usait à bon escient). Le film tout-à-fait honorable de Annaud a suivi nom de la rose2quelques années plus tard, qui a fait encore plus connaitre l’œuvre au grand public. Mais on ne doit pas oublier la délicieuse Apostille au Nom de la Rose qui est une sorte de mise en pratique de l’ouvrage théorique Les limites de l’interprétation qui trace une frontière entre l’interprétation raisonnable et le délire interprétatif, commun aux théories du complot d’ailleurs, nous y reviendrons plus loin.

Je voudrais ici, pour me conformer aux objectifs de ce blog, souligner quelques points concernant ce que Umberto Eco peut apporter à la réflexion pédagogique et à nos missions d’enseignant du XXI°siècle. (suite…)

La pédagogie peut-elle être « scientifique » ?

Comment ne pas répondre par la négative à cette question ? Bien entendu, comme par exemple la médecine, la pédagogie reste une pratique qui fait appel à beaucoup de pragmatisme et a quelque chose à voir avec l’art (mais plutôt celui de l’artisan que de l’artiste), avec le bricolage.

En revanche, posons autrement la question : la pédagogie peut-elle, doit-elle se passer de la science, des sciences ? Faire à l’excès l’éloge de l’expérience par exemple mène à l’impasse, comme si apprendre de sa pratique revenait à n’apprendre que de sa pratique. Et on dérive vite vers la détestable apologie du « bon sens », un terme que je bannis de mon vocabulaire d’ailleurs.

Comme toujours, la réalité est complexe et ne doit surtout pas être traitée sous un mode binaire (scientisme ou humanisme ; rigueur conceptuelle ou pragmatisme, etc.). Les pédagogues doivent s’intéresser aux sciences qui peuvent l’éclairer, mais ne seront jamais prescriptives. Elles peuvent au moins nous permettre d’éviter des erreurs, nous indiquant ce qu’il ne faut pas faire et avec prudence nous ouvrir des pistes vers ce qu’il faudrait plutôt faire. Elles nous aident aussi à prendre du recul, d’aller au-delà du petit héréditébout de la lorgnette.

C’est ainsi que l’économie de l’éducation nous permet de nous situer entre le macro et le micro, en nous indiquant par exemple qu’il est trop facile de rejeter sur l’extérieur l’aggravation des inégalités dans notre système scolaire alors même que celui-ci les renforce au lieu de « simplement » les reproduire (contrairement à d’autres pays). C’est ainsi que la sociologie nous permet de comprendre de multiples phénomènes, et par exemple les ségrégations qui touchent les établissements populaires et en particulier à l’intérieur (classes d’excellence d’un côté, classes faibles de l’autre, ce qui a un effet désastreux, malgré la bonne intention de « retenir » les bons élèves dans l’établissement). La sociologie nous permet d’étudier plus finement les différents profils et parcours d’élèves au lieu de rester à des jugements à l’emporte-pièce si fréquents aujourd’hui.

Mais je voudrais m’intéresser dans ce billet à l’importance grandissante que peuvent avoir les neurosciences dans la réflexion cp 527pédagogique, à l’occasion de la parution du dossier des Cahiers pédagogiques que j’ai coordonné avec mon amie Nicole Bouin, qui d’ailleurs en sait beaucoup plus que moi en la matière. J’invite quiconque à consulter déjà l’extraordinaire biblio-vidéo-sito graphie qu’elle a constitué pour l’essentiel et qui est en ligne. Mais j’invite à lire ce numéro dont nous sommes très fiers, car nous avons réussi à publier des textes lisibles, plutôt clairs et parfois percutants, en négociant avec des chercheurs souvent très désireux de communiquer avec le grand public enseignant et au-delà et en poussant des praticiens à parler de leurs expériences, fussent-elles modestes, en la matière. (suite…)

Sur quoi met-on l’accent ?

J’ai un peu hésité à rédiger un billet sur l’absurde buzz autour de l’orthographe de ces derniers jours, dont on aurait pu se dispenser pour « mettre l’accent sur des difficultés plus aigües et des causes bien plus graves… » dixit mon ami Philippe Watrelot dans sa revue de presse hebdo 

Mais comment ne pas avoir envie de rappeler quelques évidences et de faire part d’un constat quelque peu désabusé de la force dans notre pays que représente la nostalgie d’un passé mythique, de la difficulté à lutter contre la désinformation et de l’attitude crispée de l’opinion devant toute innovation qui toucherait soi-disant à l’ « âme de la France » ? (suite…)