La FCPE se démarquerait de la réforme du collège, dit-on, à la grande joie de certains oppositionnels qui ne sont pas très scrupuleux en matière de vérification des informations ou de diffusion de celles-ci.
Ainsi occulte-t-on :
- le vote très net contre une motion demandant la suspension de la réforme, celle-ci n’obtenant qu’un gros tiers des voix
- le fait que la motion qui est critique sur la mise en œuvre de la réforme a été assez habilement rédigée pour être acceptable par ceux qui voudraient davantage de moyens (qui ne le souhaiterait pas dans l’absolu ?) et du coup a été votée, mais seulement avec deux voix de majorité , sans compter les abstentions semble-t-il, mais surtout dans une ambiance de fin de congrès, à main levée, ce qui est fort discutable s’il s’agit d’autre chose que d’un souhait, que les congressistes d’ailleurs n’ont pu examiner de manière minutieuse. S’il s’agissait d’un changement de ligne, un vote par mandats et avec un minimum de débats sur un texte pouvant être lu par chacun, s’imposerait (et c’était le cas de la motion hostile rejetée deux jours avant !)
Donc, d’après les informations dont je dispose, je ne peux que m’élever contre l’idée que la FCPE remettrait en cause son soutien à la réforme du collège. Il n’est pas inconditionnel, pas plus que ne le sont les organisations « réformistes » qui l’appuient globalement. Mais l’approximation qui règne souvent dès qu’on parle de l’école règne souvent dans les rédactions et la rumeur prend le pas sur la complexité des choses. Certes, il y a de la division au sein de la FCPE, des manœuvres politiciennes et des dispositifs de vote qui ne sont pas forcément toujours pertinents, et tout cela ne donne pas une bonne image de la vie démocratique de cette grande fédération historique, avec qui j’ai souvent travaillé et espère travailler encore longtemps.

dessin de F. Tonucci
Lorsque j’ai participé à des discussions ici ou là sur la réforme du collège, j’ai vu des parents certes perplexes, inquiets parfois, mais aussi intéressés dès qu’on leur expliquait le sens de ce qui va se faire : plus d’accompagnement, une pédagogie plus vivante, des projets, de l’interdisciplinarité, et sûrement pas moins de savoirs ou moins d’exigence. J’ai remarqué que parfois les oppositions vives pouvaient venir de parents enseignants. J’ai toujours souhaité que les enseignants n’occupent pas de postes de responsabilités, dans la mesure du possible, dans les organisations de parents, car il y a une sorte de conflit d’intérêt peu heureux qui peut se manifester très négativement.
Mais allons au-delà de cet épisode ponctuel de congrès. SI on prend avec recul les choses, on peut faire plusieurs constats dans les évolutions des représentants de parents ces dernières années :
– il y a d’abord quand même une main mise bien moins grande des enseignants sur les organisations de parents, plus de lien ombilical comme jadis avec le premier syndicat enseignant, et c’est donc une excellente chose
– les fédérations de parents s’intéressent beaucoup plus à la pédagogie. Certes, le poids du cartable ou les questions de cantine, dont je ne nie pas l’importance, continuent d’occuper une place très grande, mais les problèmes de l’évaluation des élèves ou d’orientation sont traitées avec souvent une réflexion de grande qualité. A noter d’ailleurs que la FCPE vient de se doter d’un conseil scientifique qui regroupe des experts très favorables pour la plupart aux pédagogies nouvelles. L’APEL, qui représente les parents de l’enseignement catholique, propose depuis plusieurs années un travail de fond sur des questions pédagogiques qui l’ont d’ailleurs amenée à soutenir globalement la réforme du collège. Leur prochain congrès a comme invités des personnalités comme Serge Boimare, Marie-Aleth Grard ou Pierre Léna qui ont signé pour la réforme du collège et sont engagés dans la promotion d’une pédagogie active et d’une école bienveillante et exigeante à la fois à laquelle nous sommes nombreux à aspirer. La PEEP, beaucoup plus réservée sur la réforme du collège, n’y est cependant pas hostile et n’hésite pas à faire réfléchir ses adhérents en congrès sur des sujets tels que la place du numérique, dans une perspective qui n’est nullement manichéenne. Il y a quelques années, pour un ouvrage de la collection que je pilotais au CRDP d’Amiens, sur l’autorité, j’avais interviewé les deux présidents des fédérations de parents du public, et finalement, il y avait beaucoup plus de convergences que de différences.
– les parents organisés refusent finalement de n’être que des potiches, et réclament une place dans le cadre de ce que la FCPE appelle la « co-éducation », ce qui s’oppose au partage des rôles défendu par une certaine droite française passéiste (l’instruction à l’école, l’éducation dans la famille). Il s’agit de convaincre les parents qu’ils ont un rôle à jouer, comme c’est le cas dans beaucoup de pays, même s’il n’est pas toujours simple de définir des frontières claires. Les deux dérives existent : trop d’interventionnisme tâtillon, qui ne fait pas confiance dans le professionnalisme enseignant, trop de timidité à intervenir lorsque les choses ne vont pas bien, timidité légitime lorsque l’établissement dresse des barrages à toute intervention qui oserait aller sur les plate-bandes du domaine pédagogique, alors qu’il est intéressant pour les enseignants d’expliquer ce qu’ils font : pas « se justifier », mais simplement « justifier »

-reste toujours la très grande difficulté à impliquer dans les organisations des parents issus de milieux populaires et notamment venant de la « diversité ». Ou même à faire en sorte que ceux-ci soient présents dans les conseils de classe ou votent aux élections de représentants. Mais fait-on tout ce qu’il faut pour cela ? La qualité de l’accueil dans l’établissement est essentielle. Je le vois en tant qu’élu au niveau des écoles de ma ville : là où on fait des efforts pour impliquer les parents, ça marche : invitations à venir assister à des séances de classe, rencontres conviviales lors de journées portes ouvertes, participation à des sorties (mais cela signifie autoriser le port du voile pour un certain nombre de mères !), appel à la participation pour confectionner des costumes, mais en lien avec un projet pédagogique expliqué aux familles…Si on n’y croit pas, les parents ne viendront pas et cela nous confortera dans notre préjugé selon le célèbre principe de la prophétie auto-réalisatrice.
-les parents, selon moi, doivent être informés de ce qui se fait à l’école, des apprentissages. Il est dramatique que parfois des enseignants soient démunis et déclarent, avant une réunion de présentation de début d’année du travail qu’ils vont mener avec leurs élèves : « mais qu’est-ce que je vais dire ? » (je parle de situations vécues authentiques…). iI y a un vrai défi pour nous professionnels de l’éducation : savoir expliquer simplement les grands objectifs de l’école, le socle commun, les nouveaux programmes, les évolutions nécessaires dans les manières d’évaluer, en resituant cela d’ailleurs dans la perspective de ce qui peut être utile aux enfants dans la société du XXI° siècle. Les enquêtes montrent que lorsqu’ils parlent de l’école, la grande majorité des parents évoquent le futur métier qu’il faudrait préparer et non les apprentissages. Mais à qui la faute ? En partie à ceux qui ne travaillent pas assez la question. On doit par exemple être capable de donner de vrais conseils méthodologiques et non des exhortations inutiles (« il faut qu’il travaille », « il doit être plus attentif »), y compris sous forme de séances de conférences-débats. Chaque fois que j’ai répondu à un appel de la FCPE ou d’une association locale sur le sujet « qu’est-ce qu’apprendre à l’école ? » ou « comment réussir à l’école ? » , cela a été fructueux et intéressant, surtout si on partait d’exemples concrets et parlants et qu’on invitait ensuite au dialogue ouvert.
Sous le quinquennat précédent, les ministres ont surtout exprimé leur méfiance envers les organisations de parents et ont surtout prôné les contacts individuels. Or, ceux-ci ne sont pas contradictoires avec un aspect plus collectif. Les parents d’élèves organisés parviennent davantage, surtout s’il y a une impulsion de la direction, à dépasser l’intérêt individuel et à prendre en compte aussi les parents non organisés, de familles qui sont moins familières avec le monde scolaire et qui ont besoin de se faire entendre indirectement. Le délégué parent au conseil de classe n’est pas le représentant de « son » enfant, mais de tous. Dans la pratique, il y a des contradictions objectives qu’il est bon de reconnaitre pour les dépasser. Oui, certains peuvent souhaiter pour leur enfant une classe de bon niveau, mais doivent défendre les classes hétérogènes qui profitent toujours davantage aux plus fragiles.
Bref, voilà une question de fond, qui ne peut être réduite à des instrumentalisations diverses. Elle intéresse trop peu le monde enseignant : en témoigne le succès mitigé de publications sur les parents et l’école auprès d’enseignants (je l’ai vu au niveau édition et publication des Cahiers pédagogiques). Les choses bougent, et la refondation de l’école doit être une occasion d’aller plus loin dans la coopération, chacun à sa place, mais avec toute sa place !