J’ai assisté les 2 et 3 mai aux journées organisées par le Ministère pour en principe établir un bilan d’étape de la « refondation » de l’école, trois ans après le début de mise en œuvre de la Loi voulue par Vincent Peillon et largement approuvée par le Parlement.
A part le fait que j’ai du coup pénétré pour la première fois dans le mythique Palais Brongniart, dont la célèbre « corbeille » apparaissait sur les images télévisées de mon enfance « en direct de la Bourse de Paris », je voudrais livrer quelques impressions et réflexions disons « contrastées » après avoir assisté à une grande partie des conférences et ateliers qui étaient proposés aux centaines d’invités (j’y étais au titre de membre des Cahiers pédagogiques, composante du collectif des associations partenaires de l’école-CAPE).
Je dois dire qu’il est vraiment dommage que le Ministère n’ait pas fait davantage appel à des enseignants en poste pour témoigner, échanger avec d’autres intervenants, faire un peu plus entendre la voix des classes. Bien sûr, il est parfois très facile d’opposer le « terrain » qui « ne ment pas » à des soi-disant « chercheurs ou institutionnels coupés des réalités », ce qu’ils ne sont la plupart du temps pas. Bien sûr, il est difficile de choisir des personnes qui ne soient ni des opposants tenant un discours convenu « contre des réformes qui renforcent les inégalités » et « pour de vraies réformes, de vrais moyens », etc., ni non plus ceux qu’on va appeler « béni oui-oui » ou « suppôts du Ministère », voire « collaborateurs » ou « Kollaborateurs » (pourquoi pas ?). A vrai dire, on a vite fait d’être considéré comme étant de la seconde catégorie dès qu’on a un discours positif, constructif, optimiste, dès qu’on ne met pas en accusation « la politique ministérielle », etc. Mais à plusieurs moments, on a vu ce que pouvait apporter la présence d’enseignants évoquant le concret des pratiques et qui ont donc été insuffisamment nombreux. Dans un atelier, mon amie Anne-Marie Sanchez, professeure de maths à Trappes, a montré comment on pouvait à la fois profiter de la mutualisation de pratiques suite à un stage d’été du CRAP-Cahiers pédagogiques, mettre en œuvre une pédagogie reposant sur la coopération et la personnalisation (deux perspectives qui ne s’opposent pas, quand elles sont bien comprises) et obtenir des premiers résultats encourageants (y compris sur le plan des notes au devoir commun pré-brevet des collèges). De même Marie-Astrid Dewaeerdt a expliqué comment ne pas subir le « tsunami numérique » mais au contraire profiter des apports des nouvelles technologies en Histoire-géographie, encouragée par une IPR de l’académie de Lyon présente à la même table ronde. On a assisté là à un débat d’une grande richesse, il est vrai remarquablement préparé et animé par un journaliste de France 2 (eh oui, il faut savoir rendre hommage aux professionnels du service public audiovisuel, quand ils font bien leur travail !) On peut juste regretter que cette animation n’ait pas eu le statut de séance plénière, car je suis certain que cela aurait été très apprécié.
Dans une table ronde le mardi, un enseignant d’un lycée du 93, assez connu médiatiquement, Iannis Roder était aussi présent. Il est dommage cependant qu’il n’y ait pas eu un autre pédagogue qui aurait pu avoir un discours différent face à des propos que je ne peux pas ne pas trouver simplistes tels que « il ne faut rien laisser passer » et ne pas tolérer certains propos d’élèves (comme si cela suffisait à faire disparaitre le problème) ou la mise en avant du savoir académique des enseignants comme préalable, les manières d’enseigner venant après. L’animatrice aurait pu se saisir de ces propos pour les mettre davantage en débat. Mais il est bon que cette position, assez représentative d’un grand nombre d’enseignants et exprimé avec une certaine modération et sans agressivité, ait pu s’exprimer. C’est dans cette même table ronde qu’Antoine Prost a eu des propos très virulents, qui ont donné lieu à des polémiques souvent absurdes sur twitter, sur les manières de fonctionner de l’école qui « ne sont pas républicaines ». On connait l’extrême susceptibilité de nos collègues qui prennent pour une attaque ad hominem ce qui n’était en l’occurrence que l’expression d’une irritation profonde d’un grand historien de l’éducation devant la façon dont un système fonctionne et se reproduit, et sans doute sa lassitude de voir les mêmes diatribes anti-réformes revenir régulièrement depuis trente ans et plus. Peut-être ces propos méritaient d’être plus nuancés, comme d’ailleurs l’a fait remarquer dans la salle le chercheur Luc Ria qui opposait à cette vision unilatéralement noire une autre face de notre système : les efforts qui sont faits pour introduire du collectif, de l’innovation, de la considération pour les élèves les plus fragiles. Ce qu’Antoine Prost d’ailleurs ne méconnait pas, comme il l’a souligné dans sa réponse. Mais on préfère surréagir en 140 signes sur des petites phrases ! Pour ma part, j’aurais vraiment voulu qu’on discute davantage des propos de Roder, qui par ailleurs laisse entrevoir des pratiques personnelles plus ouvertes qu’il peut n’y paraitre sur sa façon d’enseigner l’Histoire et l’éducation morale et civique en zone sensible, ce qui est plus intéressant que de conclure par un discours un brin démago sur les malheureux profs qui travaillent 24 h sur 24 et à qui on demande trop, etc. (ici, je m’attire peut-être les foudres de ceux qui aiment m’insulter pour mon soi-disant « mépris des enseignants » et qui confondent prise en compte de la difficulté réelle du métier avec les déplorations victimaires !)
La présence de davantage de pédagogues aurait permis sans doute d’éviter parfois des discours convenus qui peuvent parfois se succéder sans qu’il y ait vraiment échange. Cela aurait évité aux opposants de dénoncer l’opération de com (réelle en grande partie, mais pas totalement), ou du moins aurait un peu plus désamorcé leurs critiques. Quand Blandine Lochman de la Société des Agrégés dénonce cette faible présence, on peut lui donner raison, même si on n’est pas d’accord avec elle sur la plupart des sujets. On peut d’ailleurs lui savoir gré d’avoir réagi en démocrate, en exprimant posément son point de vue, contrairement au SNALC cherchant à interrompre le discours initial de la Ministre.
On aurait pu imaginer aussi des dispositifs qui finalement n’auraient pas nui à la « communication », mais auraient apporté du piment aux débats. Des interpellations d’un Luc Cédelle ou d’un Emmanuel Davidenkoff, des regards opposés de sociologues (un débat Dubet/Rochex sur les réformes en cours ?), un point de vue qui aurait été à la fois positif et critique comme celui de Philippe Meirieu ? De même, la succession de tweets reprenant pour l’essentiel les propos des intervenants n’apportait pas grand-chose, quand elle ne distrayait pas l’attention, alors que des messages, dans les limites de la correction et du respect républicain de l’institution, mais un tant soit peu critiques étaient rares. Lorsqu’il y a été fait allusion (tel message du SNES par exemple), cela a pu alimenter la discussion, mais cela a été très sporadique.
Puisque des conférences et tables rondes étaient parfois en concurrence, je n’ai pu assister à tout, mais dans l’ensemble, on n’a pas pu toujours entendre autre chose que des paroles attendues (attendues cependant par des personnes qui comme moi sont accros à l’actualité éducative et ont eu plus d’une fois l’occasion d’écouter Claude Lelièvre, Eric Favey ou Viviane Bouysse, qui sur le fond, ont tous des choses passionnantes à dire !). La salle s’est vraiment emballée lorsque des intervenants ont exprimé davantage leurs sentiments de « citoyens impatients » et irrités par la défiance régnante et le pessimisme. En particulier, Mercédès Erra, présidente exécutive d’Havas Worldwide et fondatrice de l’agence ETC, dont chacun a pu apprécier les propos de « mère de cinq garçons » vigoureux et très parlants (pas possible, dit-elle, qu’on considère normal qu’un système produise un tiers de bons, un tiers de moyens, un tiers de nuls, ou encore qu’on envoie comme message aux jeunes qui préparent le bac que c’est un examen qui ne vaut rien, etc.). Je n’ai pu entendre Michel Lussault, mais j’ai juste lu un message reprenant une phrase choc à laquelle j’adhère totalement : « le vrai laxisme, c’est de tolérer qu’à l’école, il y ait autant d’élèves qui échouent ». J’ai bien aimé aussi la reprise par plusieurs intervenants de la traduction du mot « bienveillance » en termes d’action: il s’agit de « veiller bien » sur les enfants qui sont confiés à l’école, et non d’être complaisants ou démagogiques.
Un dernier mot sur les discours d’ouverture des ministres et sur l’intervention du président de la République. Beaucoup d’amis ont admiré la verve oratoire de Vincent Peillon. Certes… mais nous sommes aussi quelques-uns à trouver ainsi faciles les propos de quelqu’un qui, en annonçant sa candidature aux élections européennes, s’est préparé très tôt à partir au lieu d’aller jusqu’au bout, jusqu’à la mise en oeuvre. Le discours de Najat Vallaud-Belkacem peut être parfois taxé de « discours de com », n’empêche que c’est elle qui a fait le travail, et bien mieux sans doute que Benoit Hamon qui n’aurait pas été aussi loin notamment dans la réforme du collège. C’est pour cela qu’elle est la cible de tant d’attaques, dont certaines déshonorent leurs auteurs. J’ai noté aussi dans le discours de Peillon des propos bien optimistes sur la continuité des réformes si la droite revient au pouvoir (il parle de « gens raisonnables », mais le document d’orientation de Les Républicains fait douter que ces « gens raisonnables » soient bien aux postes de commande…) Enfin, on sera gré au président de la République de n’avoir pas fait un long discours ex cathedra et d’avoir fait comprendre qu’au fond, ce qui importait était sa présence pour manifester son soutien aux réformes (contre tous ces bruits d’abandon qui circulent sur les réseaux, de façon souvent manipulatrice). On aurait aimé cependant des questions plus incisives de la part de l’intervieweur.
Bref, un « bilan du bilan » mitigé. Bien entendu, c’est sur le terrain qu’on pourra juger ce qui restera de ces années de réforme ou de refondation, de « reconstruction » à bien des égards après la tornade sarkozienne (les 80 000 postes supprimés, la formation rayée d’un trait de plume, la semaine de quatre jours, des programmes du primaire élaborés sans transparence et catastrophiques…). Contrairement à ce qu’on entend, beaucoup de choses se font silencieusement (ou à bas bruit) et se feront à la rentrée, entre EPI, pédagogie du projet, nouvelles façons d’évaluer au-delà de la note, manières pertinentes de gérer le « plus de maîtres que de classes » ou progrès vers l’école inclusive, malgré les immenses difficultés. On aimerait être plus optimistes sur la formation des enseignants, aussi optimistes que les participants de la dernière table ronde des Journées. Mais là, on est vraiment dans le « peux mieux faire ».
PS: Je rajoute aussi une certaine déception suite aux interventions de deux ministres de l’éducation européens, qui sont dans les rares gouvernements dirigés par un socialiste (Suède, Portugal). Pour qui n’était pas au courant des manières d’aborder les questions éducatives ces dernières années, cela restait très vague. J’aurais aimé en savoir plus en particulier sur la remise en cause de la politique très libérale menée par la droite en Suède (chêque-éducation, autonomie très forte des établissements) qui a, apparemment, fait regresser le niveau de l’enseignement. Les comparaisons internationales sont pourtant un élément bien précieux pour prendre du recul…
Bonsoir,
deux observations au passage :
– oui, Peillon a bien plus parlé qu’agi. Si, dès l’été 2012, il s’était vraiment lancé dans la refondation de l’école au lieu de s’étendre dans des discours oiseux sur la laïcité, les valeurs de la république ou les élèves à « régénérer » (la formule est de lui), on serait peut-être plus avancé aujourd’hui. Car, c’est ma seconde observation :
– difficile d’affirmer que NVB serait « allée loin dans la réforme du collège ». Honnêtement, après ces quatre années, je ne me suis pas encore rendu compte que le collège avait été réformé, encore moins refondé.