Que de pages à déplorer l’état de l’école, la superficialité des jeunes, la démission des familles devant leur devoir éducatif, que de colonnes remplies à plaindre les enseignants qui font un métier si dur qu’on comprend bien leur malaise ou leur colère ou au contraire à les critiquer car toujours râleurs, toujours à se plaindre, alors qu’ils sont toujours en vacances ! Que de livres superficiels pour nous dire que tout va mal, que le déclin est irréversible, que les jeunes sont dangereux et les méchants pédagogistes au mieux des irresponsables, mais plus certainement des criminels (qui devront expier ?) ! Que de chroniques de donneurs de leçons fustigeant l’angélisme, l’omerta qui nous aveugleraient quant à la faillite de notre époque et particulièrement de notre école. Que de libelles sur notre triste époque, que d’articles de journalistes à l’affût du moindre fait qui va corroborer les constats négatifs : telle agression dans un collège contre le personnel, tel message d’élève niant la Shoah. Que de complaisance pour le moindre discours négatif (entendu récemment: « on nous augmente nos salaires mais la wifi est très lente dans l’établissement » ! Bref, mis bout à bout, c’est le triomphe du pessimisme, du discours décliniste, de la jouissance rageuse à proclamer la décadence. Et qu’on ne se mette pas à vanter une réussite, à saluer un progrès, à louer une avancée, car on est ravalé au rang de « courtisan », d’ « idiot utile » de « bisounours de service » et autres noms d’oiseau. L’espoir n’a pas bonne presse, selon une vieille tradition analysée avec pertinence et finesse dans un récent ouvrage qui ose l’optimisme.
Eh bien, j’ai envie ici de noter, au hasard de moments récents, des signes que « tout ne va pas si mal », qu’il y a en tout cas des potentiels qui redonnent du punch ou du moral, qui font partager le reproche adressé par Philinte à Alceste : « contre les mœurs du temps mettez-vous moins en peine » et qui nous font penser qu’on n’a pas forcément raison d’être un des peuples à avoir le moins confiance en ses possibilités. Que des Zemmour, Brighelli ou désormais Onfray aient autant de succès en ayant écrit des livres bâclés et truffés d’erreurs et de jugements simplistes reste quelque part une énigme. Il y a tellement mieux à faire qu’à les lire et les écouter. Je plains plutôt ceux qui suivent leur lamentable musique.
Vendredi soir, j’assiste, ému et émerveillé, à un éblouissant spectacle d’une classe de CE2, sur la grande scène et dans une salle bondée (familles, enfants, et autres) : une pièce de théâtre, travaillée toute l’année par l’enseignante et une professeure dite « ESAP » en zone prioritaire qui aide à réaliser des projets notamment et a une grande compétence en théâtre. Pièce s’inscrivant dans le travail de « la Main à la pâte » du centre pilote de Nogent sur Oise, nouvelle version de « sciences en scène », cette année sur le thème des moyens de transport. Après avoir joué la pièce quatre fois dans la semaine pour les autres écoles et pour des sixièmes, ces enfants nous ont donné plus d’une heure de vrai spectacle, de haute exigence. Voir ces jeunes élèves, qui ont souvent d’immenses difficultés avec le maniement de la langue, dans une école d’un quartier il y a peu encore en perdition, articuler si bien, se faire entendre au fond de la salle, danser, traduire l’humour d’un texte savoureux , dire en particulier des extraits de Umberto Eco (l’évocation du Musée des arts et métiers, visité en cours d’année) ou de JJ Rousseau (sur la marche) ou rejouer « le rond-point » de Raymond Devos, un vrai bonheur. Dans le public, deux invités de choix, le directeur de la Main à la pâte et son co-fondateur, Pierre Léna, grand scientifique, qui avait affronté les inondations parisiennes pour venir jusqu’ici (à 50 kms de Paris) et me dire sa joie à être présent, s’exclamant « quel potentiel ont ces jeunes ! ». Et tout cela avec l’appui d’une municipalité dont je m’honore d’être partie prenante pour soutenir ce genre de projets. Juste avant, on inaugurait une non moins magnifique exposition sur la même thématique, mêlant sciences, techniques et littérature ; tout le mois de juin, des élèves concepteurs guideront des classes à travers cette expo interactive (jeux, quizz, fabrication d’objets roulants…)
Bref, on avait là tous les ingrédients qui redonnent de l’espoir : des enseignants engagés, un grand projet collectif qui s’inscrit dans la durée, la continuité école-collège, un soutien clair et important d’une part de l’Education nationale, d’autre part de la Ville (donc des élus fortement impliqués dans la réussite éducative). Tout, sauf la présence de la presse locale, peu intéressée par ce qui marche bien. Donnez-nous un bel incident, une bagarre, un dysfonctionnement, mais là non, ça n’intéresse personne, n’est-ce pas ?
Deuxième exemple : tous ces derniers temps, je suis en contact avec des enseignants de collège engagés dans des projets d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) pour l’an prochain. Enthousiasme, inventivité, mais aussi sagesse : jongler avec les contraintes, savoir entrainer les autres, savoir surmonter les obstacles, combiner une souplesse qui permet d’échapper aux dogmes et une rigueur qui permet d’échapper au n’importe quoi, articuler une logique du projet et une logique du programme, pas toujours simple)
Ainsi je suis par exemple intervenu auprès de formateurs et enseignants d’éducation physique et de sciences de la vie et de la terre construisant des EPI communs et j’ai écouté des témoignages passionnants, d’autant plus passionnants que les projets évoqués restaient très réalistes et très réalisables. Ce qui est un peu différent de ce que j’ai décrit plus haut, tout aussi réalisable certes (la preuve !) mais demandant un grand investissement toute l’année. Mais on n’est pas obligé de tout choisir entre l’exceptionnel et l’ordinaire, il faut des deux, l’ordinaire restant encore trop peu ordinaire cependant…
Mais on préfère se gausser de ces EPI soi-disant trop « flous », hors de portée d’élèves en difficulté, éloignant des « fondamentaux » (j’ai envie d’écrire ces tristes « fondamentaux » qui donnent une image si déplaisante des pourtant « gais savoirs » et qui du coup ne jouent pas leur rôle de « fondamentaux »). Alors que ce qu’on appelle « flou » n’est rien d’autre que la part qui est donnée à l’inventivité, à la capacité à construire et à créer des enseignants. Alors que ceux qui ont bien compris le sens de ces enseignements savent que c’est surtout une manière de faire acquérir compétences et connaissances, au-delà de la production et là on est dans le vrai « fondamental ». Pourtant, sur les réseaux sociaux, on préfère ricaner devant l’exemple de la baignoire de Claude François (un exemple un peu grotesque de manuel, qui n’a pas grand-chose à voir avec l’interdisciplinarité, et qu’on pourrait trouver dans bien d’autres manuels disciplinaires) ou celui des aspects diététiques des repas de Emma Bovary (on ne sait pas d’où vient cet exemple, qui rejoint les grandes légendes urbaines du « référentiel bondissant » ou de la « pâte à crêpes » en IUFM ou plus récemment les colliers de perle du péri-scolaire). Et ceci est malheureusement relayé y compris par des médias aussi respectables que Télérama (qui n’a pas publié mon courrier qui leur reprochait sur ce point leur manque de rigueur : citer sans références reste quand même une caractéristique du mauvais journalisme). Par ailleurs, les contempteurs de la réforme du collège continuent à colporter l’idée que les EPI, personne n’en veut et tout le monde les rejette. Comment expliquer le succès de notre dossier des Cahiers pédagogiques : Mettre en œuvre les EPI, comment expliquer que le web pédagogique fasse le plein des consultations pour son nouvel espace EPI, comment expliquer les retours positifs des collèges pionniers de l’académie de Toulouse ?
Troisième et dernier exemple. En ce moment, des milliers d’élèves de troisième passent l’épreuve orale de l’histoire des arts. Tout n’est parfait : on entend des discours stéréotypés et appris par cœur sur Guernica ou Otto Dix, les enseignants jurés ne sont pas toujours en harmonie dans leurs exigences ou dans leur manière d’interroger les élèves (l’histoire des arts, ce n’est pas « l’histoire » , le Sacre de Napoléon nous intéresse plus par la disposition des personnages que comme occasion d’étaler son savoir sur l’Empereur), on aurait besoin parfois de clarification sur ce qu’on entend par œuvre d’art (une affiche de propagande soviétique des années 30, œuvre d’art ?). Reste que grâce à cette épreuve, une des rares innovations intéressantes du quinquennat précédent, des milliers de jeunes étudient des grandes œuvres de notre patrimoine, parfois avec des regards croisés de disciplines, beaucoup plus qu’auparavant. Ils passent une épreuve orale, devant un jury, avec souvent un « bon stress » qui doit être anticipé grâce à une préparation par, quand c’est possible, un tutorat d’un enseignant : essentiel quand on sait l’importance de cet oral dans la vie sociale et professionnelle. (voir à ce sujet de remarquables documents pour enseigner l’oral en ligne sur le site du Ministère). L’histoire des arts a impliqué de nombreux collègues, et n’en déplaise à Guillaume Erner de France Culture se moquant de la présence de profs de maths dans les jurys lors d’une interview de Najat Vallaud-Belkacem, c’est une très bonne chose, qui fait s’intéresser aux arts certains enseignants qui en sont un peu éloignés. Désormais, l’épreuve s’intègre aux EPI et au parcours artistique et culturel, mais l’esprit doit rester. Faisons remarquer que l’histoire des arts est désormais défendue par certains qui l’ont dénigrée auparavant, comme les TPE en lycée ont été défendus contre leur suppression par leurs anciens détracteurs. Qui sait ce qu’il adviendra des EPI ?
Plutôt que de se complaire dans l’exposition de tout ce qui ne va pas bien, sans vraiment proposer d’alternative, si on partait davantage de ce qui marche, des promesses, des « percées », du brin de paille qui luit. Mais comment faire pour qu’on en parle davantage ? Sans doute faire preuve de plus de sens de la communication, laisser un peu de côté la modestie qui est souvent dominante chez les innovateurs, contrairement aux bruyants et prétentieux anti-pédagogues (qui « savent », eux, ce qu’il faudrait faire !) et aller au charbon : auprès des médias, auprès des élus, sur les réseaux sociaux, etc. sans craindre de se faire traiter de tous les noms et de voir sa pensée déformée, car c’est inévitable, j’en sais quelque chose. On ne doit pas être silencieux, on ne doit pas être trop discrets, mais offensifs. Ceux qui veulent sans cesse accoupler à « optimisme » l’adjectif « béat », encore une fois, je ne les envie pas…
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J’ai peine à croire, et j’aimerais avoir le contexte de la phrase (ce peut être une boutade,etc) QUoi qu’il en soit, des exemples nuls on peut en trouver dans le disciplinaire (sujet de brevet à propos de « 93 » de Hugo, incendie du château: racontez l’arrivée des pompiers »!, etc. Des exemples stupides ne peuvent être montés en épingle pour démolir tout un dispositif. Quant au « référentiel bondissant », Luc Cédelle a bien montré que c’était une légende urbaine . Si on voulait trouver un exemple avec madame Bovary (d’ailleurs à mon avis peu accessible au collège, et sans intérêt avant le lycée), on travaillerait plutôt sur les classes sociales au XIX siècle ou la géographie de la Normandie (mais ce ne serait pas forcément intéressant de faire un EPI là-dessus, bien sûr) En revanche, j’ai travaillé sur littérature et alimentation, mais pas sûr qu’il faille un EPI sur ce thème
L’EPI sur Madame Bovary mange-t-elle équilibré n’est pas une légende urbaine, c’est un EPI présenté par des IPR de lettres en formation à Lyon.
Il est intéressant que vous ayez pensé que c’est une légende urbaine, tant c’est NUL.