Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: août 2016

S’accorder sur les désaccords

Je viens de participer à un atelier de nos rencontres du CRAP-Cahiers pédagogiques à Lorient, celui animé remarquablement par Michèle Amiel et Gwenael Le Guevel, sur « autonomie et pouvoir d’agir ». On y a échangé sur les moyens de partager davantage le pouvoir d’agir entre les divers acteurs de l’éducation et de rechercher de nouvelles formes d’exercice du pouvoir dans les établissements scolaires, en cherchant à concilier les contraintes institutionnelles, la nécessité de répartir davantage les rôles et responsabilités et celle d’être efficace et en ne pas succomber pour autant dans un consensus mou qui favorise l’inaction. Et l’animateur de rappeler le proverbe arabe : quand on veut agir, on trouve toujours des moyens ; quand on ne veut rien faire, on trouve des excuses. On a également évoqué la tension permanente qui existe entre les risques d’une dictature de la majorité qui oublie « ceux qui pensent autrement » et ceux d’une sorte de pouvoir négatif de la minorité, tel ce « grain de sable » brandi par certains pour s’opposer à la réforme du collège (où les questions de majorité et minorité sont bien complexes). Ou encore lplantu cours magistrales tensions entre le court terme et le long terme, entre les intérêts divergents des acteurs, ou la question du qui décide entre l’instance nationale et l’instance locale, entre les acteurs directement concernés et les représentants de l’Etat qui en principe émanent du peuple (mais on sait qu’une grave crise de légitimité traverse aujourd’hui la société française).
Je voudrais simplement ici évoquer un point précis sur lequel nous avons travaillé et qui me parait essentiel et mérite d’être creusé : celui des accords et désaccords. Se mettre d’accord sur ce sur quoi on est vraiment en désaccord, comprendre les raisons des désaccords et, pas forcément toujours, certes, reconnaitre une part de vérité dans ce que dit l’autre, tout cela est au cœur d’une démocratie authentique et d’un vrai débat d’idées. Voir notamment ce qu’en dit un des théoriciens de cette problématique, Patrick Viveret.

Je voudrais donner quelques exemples, mais aussi évoquer des cas où cette problématique atteint ses limites.

  1. La place des grandes œuvres culturelles à l’école

Contrairement à ce que pensent les anti-pédagogues, je ne suis pas du tout en désaccord avec eux sur l’importance de faire goûter aux élèves, à tous les élèves, les grandes œuvres, c’est même une ambition essentielle pour moi et toute ma carrière de prof de français a été en grande partie orientée vers cet objectif. Probablement suis-je d’ailleurs en désaccord avec certains amis qui partagent par ailleurs avec moi bien  des valeurs et bien des approches pédagogiques communes, sur la nécessité de ne pas succomber au « tout se vaut », de ne pas être relativiste. Le rap, même de qualité, ce n’est pas Rimbaud et ne pas travailler sur les fables de La Fontaine dès les plus petites classes est une faute. Je déplore l’envahissement de la chanson de variété dans les cours de musique et le recours démago à des films bas de gamme en fin d’année, etc. Je partage l’agacement d’une amie qui voyait dans son grandes oeuvrescollège ZEP des collègues renoncer à travailler sur Grimm ou Perrault trop « compliqués » du point de vue langue. Bref, je suis pour, à fond, le travail sur les grandes œuvres. Mais d’une part, il faut s’entendre sur ce que cela signifie (je me souviens Finkielkraut considérant avec mépris par exemple « l’Ecume des jours » et je m’irrite du peu de considération de certains pour la bonne littérature de jeunesse qu’ils ne connaissent visiblement pas…) et élargir le champ du concept de culture de haut niveau. Après tout, il y a cent ans, le jazz était quasiment de la « musique de sauvage » et la science-fiction de la sous-littérature ! Il faut dénoncer la confusion entre culture et culte béat d’une Culture parée de tous les mérites, entre référence et révérence, et ne jamais souscrire à des phrases du genre « le plus mauvais Maupassant, c’est toujours mieux qu’un bon livre jeunesse ou une bonne science-fiction », car ça c’est faux et je renvoie au roboratif de Jean-François Bayart Comment améliorer les œuvres ratées ?

Mais en revanche, mon désaccord porte surtout sur les moyens à mettre en œuvre. Sans « ruses pédagogiques, sans mise en place de passerelles qui établissent des liens avec les formes culturelles mainstream, sans surtout la construction de dispositifs pédagogiques où l’élève est actif (je reviens plus bas sur cette notion), on en reste à des intentions, à des grandes déclarations creuses qui séduisent les médias mais débouchent sur du vain et pas du tout sur une appropriation réelle. (suite…)

Malgré les ombres, « le vivace, le bel aujourd’hui » !(1)

Bien sûr, quand on fait une petite excursion hors de France, en l’occurrence en Espagne, on est impressionné en repassant la frontière par la présence de soldats armés au péage de l’autoroute souhaitant la bienvenue en quelque sorte dans notre beau pays ultra sécurisé, alors qu’on a passé deux jours sans patrouille policière ou militaire (mais il y a de l’espoir, car le pays Basque a bien connu ça il n’y a pas si longtemps).

Bien sûr, le chômage reste désespérément fort, la croissance non moins désespérément plate, et on n’a pas tort d’ironiser sur le « ça va mieux ! »

Bien sûr, les idées d’extrême-droite sont bien « vivaces » justement, il suffit d’écouter des conversations, de lire la prose de Brighelli sur l’école dans Le Point (2), d’écouter le machiavélique Philippot (pardon pour le grand Florentin pour l’utilisation probablement abusive de l’adjectif tiré de son nom) oser se réclamer du Front populaire à la radio pour mieux vendre sa camelote xénophobe (pauvre Blum !)

Je sais tout ça. (suite…)