Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: octobre 2016

« J’ai bien le droit d’être agressif ? »

Lorsqu’on va sur les réseaux sociaux ou qu’on consulte les commentaires de diverses publications en ligne, ce qu’on devrait d’ailleurs faire moins souvent, on peut lire des justifications d’emportements, de relâchement verbal, d’exagérations assumées, au nom d’une « sainte colère ». On a « bien le droit », non ? Droit à la mauvaise foi, à l’utilisation de citations tronquées ou de non-respect de la situation d’énonciation qui fait qu’on reprend tel quel une phrase hors de son contexte ? Le journaliste Alain Auffray de Libération le notait à propos de « petites phrases » comme les « ploucs » de Sarkozy récemment qui sont, selon lui, souvent coupées de leur contexte d’énonciation justement. Et il faut reconnaitre sans doute cela, même quand la victime ne nous est particulièrement sympathique le cas présent, c’est un euphémisme. Même chose au niveau des images qui circulent. Récemment, je vois circuler une photo du leader de FO trinquant avec le président du MEDEF, signe évident, pour celui qui la met en ligne, de l’ hypocrisie  totale  du syndicaliste qui fraie avec les patrons alors qu’il dénonce la loi travail, alors que la « courtoisie démocratique » fait qu’il existe des moments plus conviviaux, certes de façade, où l’on parait proche de gens qu’on combat. Rien de scandaleux là-dedans. (suite…)

Sur le terrain

Que de fois aujourd’hui met-on en opposition la « vérité » du terrain aux beaux discours d’ « en haut » ou de chercheurs « déconnectés » des réalités ! Discours populiste bien dangereux, qui bâtit des oppositions manichéennes et occulte la question de la représentativité de ceux qui prétendent parler au nom du « terrain ».

Concernant la mise en œuvre des changements récents dans l’éducation, il est très difficile d’avoir une vue d’ensemble et le mieux est d’accepter en toute humilité de répondre « je ne sais pas vraiment »à la question souvent posée du « comment ça se passe dans les établissements, dans les classes ».  Parfois, on se réfère à des sondages qui, on le sait, ne donnent qu’une vue très approximative des choses, souvent se contredisent selon la manière dont est posée la question et qui sont brandies comme preuve plutôt quand ça nous arrange.

Une fois cela dit, on peut néanmoins se faire l’écho d’observations, de discussions, de mini-enquêtes, de réactions, tout en se gardant bien de prétendre brosser un tableau objectif et rigoureux d’une situation mouvante, voire insaisissable. (suite…)

Madame Barjon nous trumpe !

L’ouvrage de Carole Barjon Mais qui sont les assassins de l’école ? vaut bien cette entorse à l’orthographe, car son accumulation de contre-vérités, son fiel et sa diabolisation de ceux qui ne pensent pas comme elle me font penser au triste sire qui candidate aux destinées des Etats-Unis. Espérons que le livre comme le politicien, même si les enjeux ne sont pas comparables, connaitront l’oubli qui serait la meilleure chose qui puisse arriver. Comme le disent certains journalistes (ceux qui choisissent l’honnêteté et la mesure), on est en plain avec ce livre dans l’ère du post-factuel. Peu importe la vérité, le sérieux des citations attribuées à tel ou tel, la déontologie de l’interview et la rigueur demandée du travail d’enquête, ce qui compte, c’est la confirmation de vagues idées d’une mère de famille pas satisfaite de l’enseignement du français de maîtres ou maitresses de son enfant, ou d’une idéologie à priori qui dispense de lectures précises et variées, de travail sur le terrain (aller voir des classes fonctionner) et d’une écoute véritable de ce qu’ont à dire les personnalités rencontrées dont on pioche de façon déformée certains propos.

J’ai pour le site des Cahiers pédagogiques fait l’effort (un réel effort) de lire le livre avec attention, jusqu’au bout et je suis atterré par la pauvreté des thèses exposées, d’un contenu visiblement bâclé, d’une incompréhension totale de la complexité des questions éducatives. Je renvoie à ma recension donc pour ne pas me répéter.
Je voudrais juste donner un exemple de la façon ridicule dont elle parle de l’enseignement du français en collège, puis faire une remarque plus générale.
Mon ami Denis Paget, avec qui dans le passé j’ai débattu parfois avec vigueur (une discussion passionnante à Lyon sur le socle commun par exemple, où ce qui nous séparait était davantage tactique que sur le fond, mais peu importe), a contribué avec moi à l’élaboration des programmes de français de collège. Au sein du petit groupe que nous avions formé, en nous appuyant sur de nombreuses lectures et sur les réseaux d’enseignants avec qui nous étions en relation, nous avons travaillé de longues heures (que de mails échangés ! que de sandwiches vite mangés pour pouvoir fournir à temps des textes si souvent revus, amendés, améliorés !) pour aboutir à des propositions qui ont d’ailleurs été renégociées avec le Conseil supérieur des programmes qui nous avait passé la commande et finalisées par la DEGESCO. Nous avons notamment mis en avant quelques « grandes questions » qui pourraient servir de fil directeur à des activités très variées aussi bien de lecture, d’oral que d’écriture et d’étude de la langue. Par exemple « agir sur le monde », ou « vivre en société ». Il s’agit de problématiques qui permettent de sortir du formalisme, à juste titre reproché parfois à des évolutions de l’enseignement du français où la recherche de champs lexicaux pouvait se substituer à un travail sur le sens. Mais ethiquepour Carole Barjon, il s’agit là des « objectifs » de l’enseignement du français, ce qui est une stupidité. L’objectif du français n’est pas de « vivre en société » ou d’ « agir sur le monde », mais bien de permettre aux élèves d’avoir suffisamment de ressources linguistiques, culturelles, cognitives pour pouvoir aborder ces problèmes, aujourd’hui et demain – et mieux que certains journalistes peut-être… Parmi ces ressources, bien entendu les textes littéraires, pas du tout ignorés, bien au contraire. Dans notre groupe de passionnés de littérature et de culture artistique, nous étions bien loin de cette ignorance, je crois ! (suite…)

Quelle lecture du rapport du CNESCO?

Beaucoup de bruit médiatique autour du rapport du CNESCO « comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? » : émissions de radio, interviewes, analyses diverses, réactions pour ou contre…On est quand même sur un sujet autrement plus intéressant que le port de l’uniforme, la place fantasmée de la chronologie et des « racines gauloises » dans l’histoire nationale ou la place de l’enseignement de l’arabe (si marginale, de toutes façons !)
Malheureusement, si certains médias donnent un écho assez complet et intéressant du rapport, dans le grand public, il est à craindre qu’on ne retienne que des formules-choc et souvent très orientées, parfois à contre-sens de l’esprit même de ce rapport :

  • Feu sur l’éducation prioritaire, discriminante et contre-productive !
  • Trop de réformes nuisent au système éducatif !
  • Les enseignants manquent de professionnalisme et ne sont pas bien formés…
  • Les élèves défavorisés socialement n’ont pas droit à un enseignement de qualité.

(suite…)