Enseigner au XXI siècle

Quelle lecture du rapport du CNESCO?

Beaucoup de bruit médiatique autour du rapport du CNESCO « comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ? » : émissions de radio, interviewes, analyses diverses, réactions pour ou contre…On est quand même sur un sujet autrement plus intéressant que le port de l’uniforme, la place fantasmée de la chronologie et des « racines gauloises » dans l’histoire nationale ou la place de l’enseignement de l’arabe (si marginale, de toutes façons !)
Malheureusement, si certains médias donnent un écho assez complet et intéressant du rapport, dans le grand public, il est à craindre qu’on ne retienne que des formules-choc et souvent très orientées, parfois à contre-sens de l’esprit même de ce rapport :

  • Feu sur l’éducation prioritaire, discriminante et contre-productive !
  • Trop de réformes nuisent au système éducatif !
  • Les enseignants manquent de professionnalisme et ne sont pas bien formés…
  • Les élèves défavorisés socialement n’ont pas droit à un enseignement de qualité.

En réalité, quand on regarde de près, les choses sont bien différentes et bien plus complexes. Reprenons par exemple ces quatre points.

Ce qui est reproché à l’éducation prioritaire, lancée en 1982, c’est de ne pas avoir vraiment respecté le cahier des charges initial : on a élargi à l’excès le nombre d’établissements relevant de cette éducation prioritaire, on s’est souvent contenté du quantitatif, on a zepparfois cru que la multiplication de dispositifs d’aide dispensait de changements profonds dans ce qui est au cœur des apprentissages, à savoir le cours ordinaire.

Mais justement, et le rapport le souligne : la nouvelle politique de 2014 recentre sur un nombre plus restreint les zones bénéficiant de moyens nouveaux, met l’accent sur la pédagogie et permet l’instauration d’une véritable politique de formation continue. C’est peu souligné dans les médias et peut-être insuffisamment dans le rapport (voir la critique virulente de l’OZP). Or, cette nouvelle politique a du mal à se développer, malgré quelques effets positifs. Le CNESCO salue le nouveau référentiel de l’éducation prioritaire, mais souligne à juste titre les difficultés à utiliser de façon efficace les moyens supplémentaires. Depuis des années, nous sommes nombreux à combattre la pure et simple diminution du nombre d’élèves par classes, au profit de formules diverses : maîtres supplémentaires, remplacement pour des formations continues, co-animations, moments de travail en petits groupes… Et on sait les pressions de tel « grand syndicat » pour le laxisme pur et simple dans l’utilisation des heures dégagées pour les professeurs au détriment de la nécessité de se concerter et de travailler en équipe à certains moments, dans l’établissement.
Nathalie Mons, présidente du CNESCO, explique d’ailleurs qu’en aucun cas il ne s’agit de supprimer l’éducation prioritaire, ce qui serait en l’état catastrophique, et si elle critique le dispositif, c’est au nom d’une politique de mixité sociale plus vigoureuse, on est loin de certains programmes de droite qui veulent liquider toute politique volontariste en faveur de « ceux qui ont moins ». Claude Thélot, dans les années 2000, plaidait pour une redistribution radicale des moyens : la société française est-elle prête à accepter un alourdissement des classes dans les établissements favorisés, le regroupement d’options rares au profit d’un vrai allègement dans les premières classes de l’enseignement obligatoire ? On est en tout cas à l’opposé du discours réactionnaire selon lequel on aurait trop dépensé pour les plus faibles, au détriment des forts (ceux-ci ont bien progressé ces dernières années, nous dit d’ailleurs le rapport).

 

Sur la question de la réforme. Je ne suis pas certain d’être d’accord avec le rapport quand il affirme de manière selon moi abusive qu’il y a une continuité de la politique éducative depuis trente ans. Je pense qu’il y a eu régression entre 2002 et 2012 et que cela explique en partie la baisse des performances des élèves les plus faibles, qu’on a abandonné les dispositifs interdisciplinaires  CLEFpar exemple au profit de l’externalisation de l’aide (accompagnement éducatif), qu’on a privilégié une politique « méritocratique »  qui a surtout contribué à vider certains établissements d’éléments moteurs et à priver de moyens ceux qui en avaient le plus besoin (politique des internats d’excellence, etc.).  D’autre part, je ne comprends pas bien la cohérence d’un raisonnement qui prône des politiques volontaristes et énergiques, se concrétisant par des mesures parfois contraignantes (l’obligation de formation continue par exemple) et la critique un peu convenue de la réforme permanente. Certes, le rapport a raison de critiquer la manière dont on mène ces réformes, mais en même temps salue bien des évolutions actuelles : nouveaux programmes, intégration de l’accompagnement dans l’ordinaire des cours… On aurait aimé aussi une évocation de la mise en place des cycles, qui permet notamment une ouverture vers des alternatives positives au redoublement prônées par le rapport.  Mais dès lors qu’on quitte redoublementune vision éthérée de l’idéal, comment reprocher au ministère de mettre en place à marche forcée une réforme du collège, par exemple, qui peut être démolie par l’alternance politique ? Sans doute a-t-on pris du retard, et il aurait peut-être fallu commencer par là au lieu de s’épuiser dans une réforme des rythmes scolaires qui n’était peut-être pas la priorité et dont on n’avait pas anticipé ce qu’elle allait déclencher en termes de résistance. Mais la mise en place en un an des nouveaux programmes me parait pour ma part une bonne chose. Pour une fois, voilà une réforme qui a une certaine cohérence, ou une cohérence certaine, car tout s’imbrique : EPI, accompagnement personnalisé, socle commun, nouvelles formes d’évaluation. La mise en œuvre n’est pas aussi satisfaisante qu’on aurait pu l’espérer, il y a  tant d’obstacles à lever, tant de résistances,  y compris au sein de la hiérarchie, que c’est forcément un peu chaotique, un peu laborieux, etc. Mais j’ai aussi de nombreux témoignages positifs. Je reviens de formations et animations en Provence qui m’ont à vrai dire plutôt réconforté : l’idée de compétences progresse, la foi dans les notes et leur « objectivité » et efficacité recule, les nouveaux programmes sont loin d’être rejetés, les EPI se mettent en place de façon diverse et hétérogène, mais c’est cela la vie réelle. Le rapport du CNESCO n’a-t-il pas tendance à idéaliser les réformes dans d’autres systèmes, où le poids du politique et de l’idéologique n’est pas absent (campagnes de la droite suisse ou canadienne contre la rénovation pédagogique, risques de remise en cause des réformes progressistes en Pologne avec le gouvernement ultra-conservateur, etc.) ?

Reste à poursuivre la réflexion sur la martingale gagnante pour réussir une réforme. Le Cnesco indique quelques pistes intéressantes, mais il n’y a pas de recette magique, à coup de proclamations un peu vaines du genre « faire confiance au terrain » dont on ne sait pas bien ce que cela signifie.

 

Un des grands mérites du rapport est de mettre en avant la nécessité d’une formation continue pour tous les enseignants. Non pas pour compenser des manques, mais pour accompagner le cours de la carrière, comme quelque chose de naturel dans une profession de cadre. Notons qu’il ne suffit pas d’y mettre les moyens, encore faut-il que l’institution montre par des gestes concrets qu’on accorde de l’importance à cette formation. En positif en valorisant les enseignants qui s’y engagent, et notamment ceux 478 - Dessin de Charbqui deviennent formateurs à temps partiel. En négatif en ne considérant pas comme « normal » qu’on n’assiste pas, selon son bon vouloir, à telle ou telle formation sous prétexte « qu’on n’a pas cours ce jour-là » et parfois même sans vraie prétexte. J’ai pu animer des temps de formation inclus dans le service des enseignants en REP + avec un absentéisme significatif et assez choquant. J’en veux récemment au ministère Peillon d’avoir augmenté de deux jours les vacances d’automne sans vraiment de compensation dans le temps de travail des élèves (deux jours en juillet : peu sérieux) alors qu’on aurait pu en profiter pour en faire deux jours de formation (je ne vais pas me faire des amis en écrivant cela !). Le CNESCO lance l’idée de développement systématique de la formation continue, mais dès qu’on arrive aux modalités concrètes, cela se complique. On doit pouvoir trouver des solutions acceptables qui n’alourdissent pas le temps de service à l’excès sans priver les élèves de temps d’apprentissage. Pourquoi pas cependant une gestion différente du temps, au besoin en réduisant de cinq minutes le cours, comme cela avait été expérimenté dans les années 80 (surtout si on regroupe deux séances, cela fait au final regagner ces minutes perdues en évitant les déplacements, les mises en route, etc.) ? Ajoutons qu’il est un peu injuste d’affirmer que rien n’est fait pour la formation continue. Trop tardivement, du temps a été dégagé l’an passé pour la formation à la réforme du collège. Je ne méconnais pas ses imperfections, parfois son indigence, mais dans d’autres cas, elle a été aussi très positive. Quand reconnaitra-t-on vraiment celle qui est assurée par les mouvements pédagogiques, quand fera-t-on renaitre des universités d’été comme dans les années 80 ?

Notons que le rapport insiste sur la dimension pédagogique de cette formation, et à juste titre. En particulier, il convient d’apprendre à davantage pratiquer la différenciation pédagogique sous toutes ses formes. Pas sûr que ce soit dans l’intention de certains programmes politiques actuellement, lesquelles restent d’ailleurs évasifs sur l’avenir de la formation initiale si durement sinistrée dans le quinquennat précédent.

 

Sur la qualité de l’enseignement pour les élèves les plus en difficulté. Le rapport reste lapidaire et parfois à l’excès. Que parfois, dans certains établissements, les situations proposées aux élèves puissent être pauvres et pas assez complexes, c’est Information_connaissancesindéniable. Mais il faudrait sans doute souligner davantage la diversité des pratiques et mettre en avant de belles réussites dans certains établissements qui font progresser les élèves. On regrette que le rapport ne souligne pas davantage « ce qui marche ». Mais un passage du rapport montre l’intérêt d’un apprentissage par les élèves des stratégies qui font réussir, qui permettent d’apprendre. On est loin alors de l’apologie du rabâchage et de l’accent quasi exclusif mis sur la mémorisation (réduite au par cœur) qu’on trouve chez les anti-pédagogues de tout poil. Oui, les élèves les plus en difficulté ont droit à un enseignement riche, à des tâches complexes, à un cheminement vers l’abstraction, à un encouragement à relier les savoirs entre eux. Mais aussi, comme tous les élèves, à une pédagogie du projet bien comprise et à une mise en activité, qui sont aussi importants, dès lors qu’on ne perd pas de vue l’essentiel : les compétences à acquérir, les connaissances à mobiliser, les attitudes intellectuelles à créer.

Pour ne pas allonger à l’excès ce billet, j’en resterai là, laissant de côté d’autres aspects intéressants du rapport et pas toujours mis en avant : le peu de poids du privé dans l’accroissement des inégalités, l’insistance forte sur les bénéfices de la maternelle précoce et surtout la condamnation de tout palier d’orientation à l’intérieur du collège qui doit rester le même pour tous  et l’être encore davantage, la belle mise au point sur la notion d’égalité des chances qui ne doit être un axe régulateur qu’après la scolarité obligatoire…C’est autant de critiques implicites de toute politique qui reviendrait sur certains de ces points. En n’oubliant pas la leçon numéro 1 du rapport. Si le poids du social et de l’économique reste énorme pour expliquer les inégalités, l’école a toute sa part et on doit exiger d’elle qu’au moins elle ne les aggrave pas, qu’au moins elle donne autant à ceux qui ont moins et qu’elle ne se réfugie pas derrière l’étendard des « valeurs de la République » qu’elle doit davantage faire vivre au quotidien.

Commentaire (1)

  1. Lanneau

    Bonjour
    très intéressant et convaincant.
    Mais il y a un bug dans ce billet : difficile de lire car deux dessins couvrent le texte.

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