Enseigner au XXI siècle

Archive mensuelles: novembre 2016

Laïcité chrétienne ?

La croix ostensiblement arborée par la porte-parole de François Fillon le soir de sa victoire à la primaire de la droite fait parler d’elle. Celle-ci s’est défendue en déclarant qu’elle la portait toujours (on peut le faire de manière moins ostensible, non ?) et qu’elle ne la considérait pas comme un signe d’oppression.  (ajout: voir cet article : http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/28/critiquee-sur-twitter-la-croix-de-valerie-boyer-disparait-quelq/?ncid=fcbklnkfrhpmg00000001) On le sait, la croix boyera été porteuse de valeurs bien contradictoires, elle a pu être signe d’oppression, brandie par les Conquistadores, les divers protagonistes des guerres de religion ou plus récemment par les Phalangistes libanais ou les prêtres couvrant les massacres du Rwanda, comme elle a pu être un symbole de liberté et d’humanisme, lorsque ceux qui s’en réclamaient s’appelaient à un moment de l’histoire Las Casas, Desmond Tutu ou Walesa. Davantage sympathique lorsque ceux qui la revendiquent ne sont pas au pouvoir ou en tout cas ne disposent pas d’un pouvoir absolu. Et puisque notre futur candidat à la présidence semble déplorer (bien à tort sur le plan factuel) que Voltaire ne soit plus enseigné ou plus au programme, comment ne guerre religionpas rappeler ce passage du Dictionnaire philosophique (article « Guerre ») : « Le merveilleux de cette entreprise infernale, c’est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d’aller exterminer son prochain. Si un chef n’a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n’en remercie point Dieu; mais lorsqu’il y en a eu environ dix mille d’exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes. » Mais il est vrai qu’il ne faut pas tomber dans la « repentance » , nous dit-on et  ne pas évoquer les pages sombres d’une religion dont l’esprit originel a connu pourtant bien des trahisons et des déformations. Rappelons la célèbre phrase de Loisy : « Ils attendaient le Royaume et c’est l’Église qui est venue » (suite…)

Lendemain de primaire : vers une école plus injuste et plus inefficace ?

En avril 2014, j’avais analysé sur ce blog le programme éducatif de celui qui risque fort de gagner la primaire et peut-être ensuite de devenir président de la République. Avec les propositions du père loidu socle commun ( dont j’avais constaté le peu d’enthousiasme devant la naissance de ce nouveau-né qu’il n’avait pas conçu, je me souviens de la présentation à la Sorbonne et de son peu d’élan en cette occasion) et d’une loi d’orientation bien plus progressiste que ce qui aujourd’hui ressort de ces propositions, on est bien loin du programme modéré de Alain Juppé qui ne souhaitait pas « tout chambouler » (j’ai évoqué aussi ce programme ici.)

On a fort à craindre en réalité d’un programme d’action qui va dans un sens contraire à l’émergence d’une école plus juste et plus efficace et qui concilie non pas l’exigence et la bienveillance mais la dureté avec une exigence à la carte, en renonçant à l’exigence pour tous.

tighten one's beltIl y a d’une part la question des moyens : les suppressions de postes annoncés, l’alourdissement du temps de travail des enseignants, la fin plus ou moins annoncée du statut de fonctionnaire. Je ne m’étendrai pas là-dessus, mais à l’heure où on constate les bienfaits du dispositif « plus de maîtres que de classes », où on aurait besoin de plus de travail en petits groupes, où il faudrait étendre la scolarisation à deux ans pour les enfants de milieu populaire, développer la formation continue, poursuivre la numérisation des écoles,  cette taille thatchérienne dans les moyens n’annonce rien de bon. (suite…)

Yaka faire plus de dictées ?

L’étude de la DEPP récemment publiée montrant la baisse sensible des résultats d’élèves à partir d’un texte dicté, le même qu’il y a quelques années, déclenche et va déclencher la réaction en chaine (le mot « réaction » est bien approprié) de tous ceux qui se réjouissent chaque fois qu’une recherche, qu’une étude montrerait la faillite d’une école dominée par le « pédagogisme ».

Bien entendu, les choses sont bien plus complexes et les « professeurs de désespoir » en tous genres et adeptes du « yakaïsme » nous égarent sur de fausses pistes.

charb139Notons d’abord que le dispositif choisi pour évaluer le niveau orthographique des élèves français, s’il a le mérite de permettre des comparaisons dans le temps assez incontestables, a l’inconvénient de limiter cette évaluation à la réussite ou non lors d’une épreuve bien particulière : la dictée. Il est bien plus difficile d’évaluer comparativement les performances des élèves lors d’une écriture de texte non dicté. L’exercice de la dictée a un côté artificiel ; rares sont les situations où on écrit à partir d’un oral extérieur. Il n’est pas certain qu’un autre type d’évaluation donnerait d’autres résultats, mais on ne le sait pas vraiment. On fera juste remarquer que les travaux de Brigitte Dancel dans les années 90 montraient le poids très fort de la préparation pour la dictée dans l’école de la Troisième République, au détriment de l’attention à l’orthographe dans les pratiques rédactionnelles. Philippe Savoie, rendant compte de ce travail, souligne :

«  Sous la Troisième République, et malgré les efforts des autorités pédagogiques pour en atténuer le poids, la dictée est l’épreuve suprême, celle qui peut à elle seule ruiner les chances d’un candidat. Spécialement préparés à cette épreuve, plus ou moins sévèrement sélectionnés en fonction d’elle, les candidats s’y montrent beaucoup plus rigoureux que les enfants d’aujourd’hui. Ils sont d’ailleurs moins vigilants en matière d’orthographe lors des épreuves de rédaction, dans lesquelles leurs performances sont en charb140général nettement moins convaincantes. Autrement dit, l’excellence en orthographe des lauréats du CEP ne s’explique pas par l’efficacité générale de la pédagogie primaire de l’époque mais plutôt par un effort particulier – un véritable conditionnement dans le cadre de la préparation au certificat – qui semblerait aujourd’hui absolument excessif et contre-productif, et dont le coût pédagogique préoccupait d’ailleurs les autorités scolaires de la Troisième République. »

La nécessaire standardisation des épreuves permettant de comparer des élèves dans le temps ou l’espace est d’ailleurs un véritable problème, car elle ne permet pas une évaluation plus fine, ici de l’écriture en live, telle qu’elle se manifeste dans les pratiques ordinaires. (suite…)

ça vous fait rêver? (le débat de la primaire et l’éducation)

Il y a vraiment de quoi être consterné, voire effrayé quand on regarde le temps consacré aux questions d’éducation et plus encore au niveau d’argumentation et de propositions  sur le sujet lors du débat pour la primaire de la droite et du centre le jeudi 3 novembre.

Evoquer les problèmes d’école en fin d’émission après avoir passé un long moment  pour savoir si Bayrou faisait ou pas partie du même camp que les candidats et ensuite présenter cette vision étriquée, purement idéologique du système éducatif d’aujourd’hui et encore plus de demain déçoit si tant est qu’on espérait vraiment mieux (les journalistes ont sans doute aussi leur part de egalité chancesresponsabilité dans la manière de faire défiler les sujets). Disons qu’un certain silence de Juppé était le seul élément positif de la discussion : modération sur la réforme du collège (puisqu’il abrogerait les dispositions sur les langues qui ne sont pas la partie la plus décisive des nouvelles dispositions), pas de diatribe sur le collège unique ou d’apologie de la sélection précoce (mais sans aller jusqu’à défendre ce qui est pourtant une œuvre majeure de la Cinquième République, sur laquelle veulent revenir plusieurs candidats, car il faut donner des gages aux plus à droite, n’est-ce pas ?), mais n’oublions pas que dans son programme, il y a la suppression de milliers de postes de fonctionnaires et on ne sait pas bien où se ferait la purge dans l’éducation. Si les moyens doivent être renforcés à l’école primaire, comme le prône Juppé, cela ne peut être en supprimant le dispositif « plus de maitres que de classes » ou en diminuant la scolarisation à deux ans. Et si on rétablit les classes bilangues, les heures perdues de langues anciennes, si on considère toujours essentielle la formation des enseignants, on se demande où vont être pris postes à supprimer ? []Voir mon analyse du livre de Juppé sur l’école ici. (suite…)