Il y a vraiment de quoi être consterné, voire effrayé quand on regarde le temps consacré aux questions d’éducation et plus encore au niveau d’argumentation et de propositions sur le sujet lors du débat pour la primaire de la droite et du centre le jeudi 3 novembre.
Evoquer les problèmes d’école en fin d’émission après avoir passé un long moment pour savoir si Bayrou faisait ou pas partie du même camp que les candidats et ensuite présenter cette vision étriquée, purement idéologique du système éducatif d’aujourd’hui et encore plus de demain déçoit si tant est qu’on espérait vraiment mieux (les journalistes ont sans doute aussi leur part de responsabilité dans la manière de faire défiler les sujets). Disons qu’un certain silence de Juppé était le seul élément positif de la discussion : modération sur la réforme du collège (puisqu’il abrogerait les dispositions sur les langues qui ne sont pas la partie la plus décisive des nouvelles dispositions), pas de diatribe sur le collège unique ou d’apologie de la sélection précoce (mais sans aller jusqu’à défendre ce qui est pourtant une œuvre majeure de la Cinquième République, sur laquelle veulent revenir plusieurs candidats, car il faut donner des gages aux plus à droite, n’est-ce pas ?), mais n’oublions pas que dans son programme, il y a la suppression de milliers de postes de fonctionnaires et on ne sait pas bien où se ferait la purge dans l’éducation. Si les moyens doivent être renforcés à l’école primaire, comme le prône Juppé, cela ne peut être en supprimant le dispositif « plus de maitres que de classes » ou en diminuant la scolarisation à deux ans. Et si on rétablit les classes bilangues, les heures perdues de langues anciennes, si on considère toujours essentielle la formation des enseignants, on se demande où vont être pris postes à supprimer ? []Voir mon analyse du livre de Juppé sur l’école ici.
Mais ce que l’on retiendra surtout, ce sont les solutions passéistes et paresseuses des Sarkozy, Le Maire, Fillion pour réduire l’échec scolaire. Il s’agit surtout de renoncer aux ambitions de démocratisation du savoir, puisque certains sont plus doués que d’autres, nous dit-on et que les autres doivent plus ou moins se résigner à aller moins loin, à être raisonnables, et ceci très tôt. Le CP+, les vertus du redoublement (même si on emploie d’autres mots pour désigner la chose) ? Faisons fi de toutes les études qui montrent leur inefficacité, de même qu’on a abandonné il y a quelques années les sixième-cinquième en trois ans qui n’ont guère donné de résultats ! Mais les recherches ne sont-elles pas brocardées, sauf lorsqu’elles semblent aller dans le sens voulu par ces politiciens, quitte à les tordre un peu au besoin. Quand elles montrent par exemple l’importance dans l’apprentissage de la lecture non de la « méthode syllabique » mais d’un travail régulier et approfondi sur les correspondances entre sons et lettres (pour aller vite, car il s’agit plutôt de graphies et phonies) ou qu’elles relativisent l’importance du nombre d’élèves par classe. Tant pis si les mêmes recherches peuvent aussi insister quant à la lecture sur la nécessité d’un travail parallèle sur la compréhension ou concernant la taille des classes sur les vertus du petit nombre dans les zones plus défavorisées et à condition de mettre en œuvre une pédagogie plus personnalisée.
Rien n’est dit sur les défis du monde de demain, aucun discours un peu engageant, un peu mobilisateur, tourné vers l’avenir. Ignorée la révolution du numérique, passés à la trappe les besoins de développer la créativité, de renforcer les relations de confiance dans le pays qui est le plus pessimiste de l’OCDE. Les coups de menton autoritaristes sont préférés au travail de fond pour créer un esprit positif d’établissement qui ne peut reposer sur le seul renforcement du pouvoir du « chef ». On prône l’uniforme porté dans certains pays, mais sans pour autant le resituer dans un ensemble qui peut lui donner du sens (un esprit collectif, un lien plus fort dans la communauté éducative, etc.) L’autonomie des établissements parait être une solution miracle, alors qu’elle peut renforcer les inégalités comme le montre l’exemple suédois.
C’est surtout une école du « barrage » (à l’entrée au CE1, au mieux à l’entrée en 4°), de la résignation (que voulez-vous, certains sont surtout bons pour le manuel, quel drôle de hasard que justement il s’agit d’enfants d’ouvriers ou de chômeurs ! il faut les orienter vers des métiers manuels –lesquels d’ailleurs aujourd’hui ?), de l’obsession du classement (on s’inquiète de l’excellence, alors que celle-ci n’est pas menacée dans notre école qui réussit bien pour les meilleurs, on le sait), avec des grands absents : comment l’école pourrait contribuer à faire vivre les valeurs de la République dont la fraternité (une grande abonnée absente), comment elle permet de développer les compétences de demain (travailler en équipe, savoir chercher sur internet, savoir s’exprimer à l’oral, savoir décoder l’information…), comment elle peut contribuer à une intégration qui ne soit pas un renoncement à ce qu’on est, mais une conjugaison du particulier et de l’universel. Tout cela, on n’en parle pas alors même que ce pourrait être une page belle et glorieuse de ce fameux « récit national » dont nous gargarisent les candidats (si tant est qu’il faille reprendre cette notion douteuse).
Bref, les tentatives encore bien timides de réforme du système scolaire vers plus d’équité, plus d’encouragement à la confiance et à l’innovation, plus de travail collectif, plus de sens donné aux apprentissages risquent fort d’être stoppées au profit d’une vision malthusienne, archaïque, et beaucoup moins dans les intérêts bien compris du progrès économique et social que ne le prétendent ces aspirants démolisseurs, qui regardent plus vers leur droite que vers l’avenir.
je ne sais pas à quoi vous faites allusion sur le dernier point. Et sur l’abolition de la réforme des rythmes, il ne m’a pas semblé que Juppé l’annonçait -mais il risque de supprimer l’aide de l’Etat. Où avez-vous l’enthousiasme pour Juppé? Mais le moindre mal ça existe, entre un programme éducatif d’extr^me-droite ou de droite extrême et un de droite modérée, je fais un choix…
Non ça ne fait pas rêver. Mais rêver avant de se planter c’est bien le propre du peuple de gauche qui vomit son ancien champion (François Hollande) et s’apprête à voter avec enthousiasme pour « le meilleur d’entre nous » grand stratège (dissolution de 97, guerre en Libye, identité heureuse) qui lui sait bien que l' »on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépends ». Et rien sur la suppression de la « réforme des rythmes scolaires » ou l’apologie du divertissement de qualité variable selon que l’on soit dans un quartier bobo ou dans une ZUS.