L’étude de la DEPP récemment publiée montrant la baisse sensible des résultats d’élèves à partir d’un texte dicté, le même qu’il y a quelques années, déclenche et va déclencher la réaction en chaine (le mot « réaction » est bien approprié) de tous ceux qui se réjouissent chaque fois qu’une recherche, qu’une étude montrerait la faillite d’une école dominée par le « pédagogisme ».
Bien entendu, les choses sont bien plus complexes et les « professeurs de désespoir » en tous genres et adeptes du « yakaïsme » nous égarent sur de fausses pistes.
Notons d’abord que le dispositif choisi pour évaluer le niveau orthographique des élèves français, s’il a le mérite de permettre des comparaisons dans le temps assez incontestables, a l’inconvénient de limiter cette évaluation à la réussite ou non lors d’une épreuve bien particulière : la dictée. Il est bien plus difficile d’évaluer comparativement les performances des élèves lors d’une écriture de texte non dicté. L’exercice de la dictée a un côté artificiel ; rares sont les situations où on écrit à partir d’un oral extérieur. Il n’est pas certain qu’un autre type d’évaluation donnerait d’autres résultats, mais on ne le sait pas vraiment. On fera juste remarquer que les travaux de Brigitte Dancel dans les années 90 montraient le poids très fort de la préparation pour la dictée dans l’école de la Troisième République, au détriment de l’attention à l’orthographe dans les pratiques rédactionnelles. Philippe Savoie, rendant compte de ce travail, souligne :
« Sous la Troisième République, et malgré les efforts des autorités pédagogiques pour en atténuer le poids, la dictée est l’épreuve suprême, celle qui peut à elle seule ruiner les chances d’un candidat. Spécialement préparés à cette épreuve, plus ou moins sévèrement sélectionnés en fonction d’elle, les candidats s’y montrent beaucoup plus rigoureux que les enfants d’aujourd’hui. Ils sont d’ailleurs moins vigilants en matière d’orthographe lors des épreuves de rédaction, dans lesquelles leurs performances sont en général nettement moins convaincantes. Autrement dit, l’excellence en orthographe des lauréats du CEP ne s’explique pas par l’efficacité générale de la pédagogie primaire de l’époque mais plutôt par un effort particulier – un véritable conditionnement dans le cadre de la préparation au certificat – qui semblerait aujourd’hui absolument excessif et contre-productif, et dont le coût pédagogique préoccupait d’ailleurs les autorités scolaires de la Troisième République. »
La nécessaire standardisation des épreuves permettant de comparer des élèves dans le temps ou l’espace est d’ailleurs un véritable problème, car elle ne permet pas une évaluation plus fine, ici de l’écriture en live, telle qu’elle se manifeste dans les pratiques ordinaires.
Je vois déjà certains se saisir de mes propos pour m’accuser de « déni de réalité ». Je revendique pourtant le droit à des examens plus approfondis sur le niveau précis des élèves en orthographe, la dictée qui demande une forte attention et concentration accentuant probablement les effets de la difficulté de nos élèves à mobiliser celles-ci à une époque où elles sont menacées par des hypersolliciations du monde moderne, comme le fait remarquer par exemple Jean-Yves Lachaux, un des grands spécialistes de l’attention (voir par exemple ici)
Mais l’essentiel reste que, bien entendu, il y a un réel problème de l’orthographe aujourd’hui et qui touche tout le monde, à lire les commentaires publiés sur les forums divers par exemple (commentaires de jeunes et moins jeunes probablement). On ne peut limiter à des causes scolaires le peu d’empressement de trop de Français à être attentifs à l’orthographe.
Croire qu’une multiplication de dictées classiques, de règles à apprendre (ces règles qui sont souvent bien connues des élèves, reste à les appliquer) et pire le recours au bâton (les mauvaises notes, les zéros qui soi-disant motiveraient les élèves, alors que tout démontre le contraire dès lors que, par exemple, ils interdisent de mesurer des progrès fragiles et mettent sur le même plan toutes sortes d’erreurs, sans les hiérarchiser), croire que ces pseudo-solutions amélioreront les choses est une vaste supercherie. On attend d’ailleurs une étude qui comparerait de façon solide des pratiques différentes de l’orthographe en mesurant leurs effets.
Les nouveaux programmes en particulier de cycles 2 et 3 mettent en avant l’importance d’un travail orthographique qui ne peut se limiter à faire écrire les élèves et à espérer que la motivation pour des projets d’écriture qui font sens suffirait à améliorer la situation. Mais ils essaient surtout d’une part d’établir des priorités, de l’autre de multiplier les propositions d’ activités. C’est cela que nos adorateurs du rétroviseur ne peuvent comprendre, semble-t-il. Comme le disait François de Closets, rencontré lors d’un passionnant entretien après la publication de son livre Zéro faute : « Quand je lis ce qu’écrivent certains intellectuels ou écrivains défenseurs du « ph » ou de l’accent circonflexe, je pense à la différence qu’il peut y avoir entre le croyant, le fidèle, attaché à des valeurs essentielles et le dévot qui lui s’intéresse au détail, aux rituels, aux apparences. ». Constater que des enseignants passent encore du temps à enseigner les terminaisons si sophistiquées des adjectifs de couleurs ou les accords des participes passés de verbes pronominaux nous montre bien que le sens des priorités n’est pas toujours bien établi. Il faut mettre le paquet sur quelques points précis, dont l’accord simple sujet-verbe, les terminaisons les plus courantes des verbes du premier groupe et une série d’homophones fréquents, et accepter, sauf pour quelques élèves performants, de ne s’occuper du reste qu’une fois consolidé ce qui constitue la principale source d’erreurs pour les élèves. Autrement dit, contrairement à ce qu’on entend, il faut aller contre l’idée de « ne rien laisser passer », pour se concentrer sur l’essentiel. Voir ce qu’écrivait Catherine Brissiaud en 2011 « La question de la progression des apprentissages est toujours en chantier. Les mêmes objectifs ou presque sont assignés au cycle 2 ou cycle 3 de l’école élémentaire française, si bien qu’on voit un peu de tout chaque année, sous forme de saupoudrage et que rien n’est jamais vraiment acquis pour tous les élèves. Il conviendrait enfin de se concentrer sur quelques notions clés, considérées comme fondamentales, et de les aborder pas à pas, de façon très progressive, de manière à laisser le temps de l’apprentissage aux élèves et à les aider à surmonter les difficultés en n’évacuant pas les erreurs mais en prenant appui sur elles: le tâtonnement permet sans doute la réussite à long terme, ainsi que la bienveillance et la mise en confiance. »
Cela a des conséquences sur des activités à mettre en œuvre. Des dictées, bien sûr, mais ciblées, et évaluées d’une autre manière qu’avec des notes classiques, des exercices à trous, parfois, oui, mais le moins possible car ils ne sont guère convaincants (comment est-il possible que le culte du Bled soit encore si grand quand on sait son peu de validité et d’efficacité véritable ?), pour diverses raisons qu’il serait un peu long d’exposer, des apprentissages par cœur, oui, bien entendu (il est plus pratique de savoir écrire automatiquement « qu’est-ce que » que de raisonner pour y parvenir), mais cela implique une véritable méthodologie permettant de développer la mémorisation, en distinguant le court terme et long terme (voir mon petit livre Apprendre à apprendre sur ce sujet). Et surtout de multiples activités, si bien exposées par de nombreux spécialistes et didacticiens. Je renvoie au récent Antidote publié sur le site des Cahiers pédagogiques et dû à Jacques Crinon.
J’ai pour ma part, au niveau du collège, pratiqué cette multiplicité d’activités, constatant au passage le peu d’efficacité de la dictée traditionnelle, que je pratiquai à l’occasion surtout pour « rassurer » les élèves qui s’imaginent que c’est un incontournable, mais en accentuant le travail sur l’attention (dicter des groupes de mots, établir des pauses mentales d’appropriation, introduire des variantes avec questionnements intermédiaires, préparer ou pas le texte dicté, et bien sûr une relecture focalisée sur quelques grands points travaillés avant, une relecture qui cible l’orthographe et pas le sens, etc.). L’interdisciplinarité me parait au passage une occasion importante pour un travail de fond. Par exemple, dans un projet commun, mettre l’accent sur certains points d’orthographe, « corriger » la copie d’élèves dans une autre matière, en établissant par exemple une liste de mots à savoir écrire de façon juste selon le sujet abordé , tout cela contribue à ce que les élèves ne limitent pas l’orthographe à la dictée (qui reste en plus un exercice de contrôle plus que d’apprentissage).
Il n’y a aucune contradiction entre moments d’automatisation et répétitions et travail plus raisonn, mais de bons équilibres à trouver. J’ai fait faire des enquêtes sur l’orthographe auprès d’usagers, nous avons étudié des éléments d’histoire de l’orthographe (à l’occasion d’un projet sur Jean-Jacques Rousseau la lecture édifiante d’une lettre écrite par sa veuve (« Geu quite votreu messon geu n’aporteurai rien à vous. Gen suis avecque è touteu reuquonessanceu posible, monsieur, signé Fameu deu Gan Gacque.) montre que ce qui justifie le combat pour une orthographe correcte n’est pas nouveau) et j’ai plus d’une fois établi des objectifs précis sur des aspects prioritaires dans des textes rédigés. Non, les soi-disant « pédagogistes » sont bien loin de négliger l’orthographe. Mais d’une part, ils savent bien qu’il n’y a pas d’outil miraculeux, de moyen infaillible pour améliorer celle-ci, dans le temps limité, forcément limité dont ils disposent. Et d’autre part, ils n’oublient pas … tout le reste. Pourquoi ne se préoccupe-t-on pas davantage des difficultés des élèves à produire un exposé oral de quelques minutes qui soit clair et compréhensible (sans lire son texte), pourquoi ne s’alarme-t-on pas plus de l’incapacité de beaucoup à structurer par écrit un raisonnement ou à rédiger un récit cohérent (« incapacité » si on n’agit pas vigoureusement pour y remédier et non fatalité) ? L’obsession orthographique risque de mener sur de fausses voies qui ne seront d’ailleurs pas profitables non plus à une amélioration de cette orthographe. A l’heure des menaces contre la démocratie et où les votes entre personnes disposant d’un niveau d’instruction correct et les autres se différencient de plus en plus, comment ne pas se préoccuper au moins autant que du niveau orthographique de la santé de l’esprit critique et des compétences à raisonner et argumenter.
Et qu’on ne dise pas qu’il s’agit fondamentalement du même combat. J’ai eu des élèves qui montraient des qualités d’imagination, de créativité mais aussi de raisonnement et qui avaient un niveau catastrophique en orthographe. Il ne s’agit pas de minimiser les difficultés qu’ils pourront rencontrer à cause de cela, mais de relativiser le poids écrasant du jugement par rapport à l’orthographe. Je connais des collègues, brillants agrégés de sciences physiques par exemple, et qui laissent des erreurs énormes d’accords ou de terminaisons dans leurs textes (j’ai frémi parfois lors de séances interdisciplinaires avec l’un d’eux par exemple lorsqu’il projetait aux élèves un diaporama). Je me souviens lors d’une séance de formation de la réflexion abominable d’un « vieil instit », comme on dit, proclamant, alors que j’évoquai le cas de ce professeur par ailleurs remarquable, qu’il était « scandaleux » qu’une telle personne puisse enseigner (tel quel). J’eus alors du mal à garder mon sang-froid et ai simplement invité l’interlocuteur à aller répéter ses propos à la personne en question !
Bref, oui, il faut se battre sur plusieurs fronts, débattre des bonnes solutions, ce qui est difficile quand la discussion est polluée par le petit nombre de polémistes toujours prêts à reprendre le procès si facile des « assassins de l’école » ou des « fabricants de crétins ». Tant pis si ce qu’ils proposent ne montre nullement son efficacité, tant pis s’ils se réfugient dans un passé mythique qui en plus ne reviendra jamais. Trouvons les solutions nouvelles pour le futur, qui passent aussi par des outils numériques (très insuffisants d’ailleurs en matière d’entrainement orthographique), mais surtout par du professionnalisme et par une mobilisation collective qui sait se fixer des priorités et arbitrer entre les trop nombreuses priorités. Mais il est tellement plus facile de lancer des anathèmes et de tromper l’opinion, tellement plus facile de penser qu’il « suffirait de », tellement plus facile de donner des leçons que d’en créer d’efficaces, qui permettent de vrais progrès…
NB: les dessins sont ceux de Charb pour le numéro des Cahiers pédagogiques sur l’orthographe, 440, février 2006
Les dictées aideraient-elles à ne pas oublier le « e » à la fin de « publié » quand il s’agit de « L’étude », au tout début de l’article ? 😉
En plus des adeptes du yakaïsme, il y a les oints du Seigneur.
Tout d’abord, ils « identifient » un problème (qui en général n’existe que dans leur imagination).
Ayant identifié le problème, ils proposent une solution.
La solution implique toujours un accroissement du rôle de l’Etat, et comme ils sont en général payés par ce même Etat, un accroissement de leur pouvoir à eux… Voila qui n’est guère surprenant.
Apres moult campagnes de presse, leur solution est adoptée. Ceux qui s’opposent à cette solution sont traités de réactionnaires et de petits esprits égoïstes. (Eux , ils sont généreux, avec l’argent des autres, bien sur…)
La situation, à chaque fois se dégrade très rapidement APRES L’ADOPTION DE LA « SOLUTION ».
Qu’à cela ne tienne, nos oints du Seigneur ont déjà dans leurs cartons (j’ai presque envie de dire dans leur boite à outils), une solution aux problèmes que la précédente solution a apporté…
Et on repart pour un tour…