Enseigner au XXI siècle

Lendemain de primaire : vers une école plus injuste et plus inefficace ?

En avril 2014, j’avais analysé sur ce blog le programme éducatif de celui qui risque fort de gagner la primaire et peut-être ensuite de devenir président de la République. Avec les propositions du père loidu socle commun ( dont j’avais constaté le peu d’enthousiasme devant la naissance de ce nouveau-né qu’il n’avait pas conçu, je me souviens de la présentation à la Sorbonne et de son peu d’élan en cette occasion) et d’une loi d’orientation bien plus progressiste que ce qui aujourd’hui ressort de ces propositions, on est bien loin du programme modéré de Alain Juppé qui ne souhaitait pas « tout chambouler » (j’ai évoqué aussi ce programme ici.)

On a fort à craindre en réalité d’un programme d’action qui va dans un sens contraire à l’émergence d’une école plus juste et plus efficace et qui concilie non pas l’exigence et la bienveillance mais la dureté avec une exigence à la carte, en renonçant à l’exigence pour tous.

tighten one's beltIl y a d’une part la question des moyens : les suppressions de postes annoncés, l’alourdissement du temps de travail des enseignants, la fin plus ou moins annoncée du statut de fonctionnaire. Je ne m’étendrai pas là-dessus, mais à l’heure où on constate les bienfaits du dispositif « plus de maîtres que de classes », où on aurait besoin de plus de travail en petits groupes, où il faudrait étendre la scolarisation à deux ans pour les enfants de milieu populaire, développer la formation continue, poursuivre la numérisation des écoles,  cette taille thatchérienne dans les moyens n’annonce rien de bon.
Mais il y a surtout la démolition annoncée de quelques points forts qui remet en cause en fin de compte une certaine continuité politique au-delà des importantes divergences entre les ministres qui se sont succédé depuis René Haby, y compris l’éphémère ministre Fillon : le collège unique, une école primaire qui promeut aussi les sciences et les activités artistique par exemple, et l’idée d’un tronc commun, qui est d’ailleurs prôné par l’OCDE et autres instances internationales. Pour Fillon, l’avenir ( ?) est dans la sélection précoce, le bachotage (effets désastreux probables de l’examen d’entrée en sixième), le redoublement (qu’il se nomme ainsi ou plus pudiquement rattrapage). N’oublions pas au passage les diatribes anti-pédagogues (il parle dans ses interventions des « pédagogues prétentieux et jargonnants ») à la recherche démagogique de boucs émissaires, ce qui relativise la soi-disant modération de ce politicien. On aura tout de même du mal à accuser les concepteurs des  nouveaux programmes que visiblement ne sont pas les bons amis du député du septième arrondissement (plus que du Quartier Latin où Axel Kahn l’avait battu à plate couture en 2012) d’être responsables des difficultés de notre école, puisque ces programmes viennent tout juste de commencer à être mis en vigueur. J’entends déjà nos contempteurs de la pédagogie « assassine » se réjouir et offrir leurs services, en hésitant pour certains entre ce droitisme à visage poli et celui plus débraillé du Front national (encore que le collectif Racine « présente bien » !)

On aurait aimé que les débats sur l’école aient une autre dimension autrefoisque celle d’une guerre idéologique. Dans d’autres pays, des continuités politiques sont possibles et l’arrivée de la droite au pouvoir (y compris dans une coalition avec des populistes peu sympathiques) en Finlande n’a pas été synonyme de retour en arrière. Et au Québec, le départ des promoteurs des réformes du gouvernement n’a pas abouti en son temps à une remise en cause radicale, même si des ajustements ont eu lieu. Car les évaluations internationales mettent en avant un certain nombre de points forts qui caractérisent les politiques éducatives efficaces : pas de sélection précoce, une formation des enseignants de qualité, axée sur l’acte d’enseigner et non sur les connaissances académiques en premier lieu, une conception du métier en termes « professionnels » et non en le réduisant à des tâches d’exécution, la mise en avant de l’importance du climat scolaire reposant sur la confiance, la mise en évidence de la place de l’émotionnel et du « non-cognitif » dans les apprentissages, une évaluation plus positive et permettant de capitaliser des compétences, etc. Avec Fillon, on risque d’avoir une école bien plus inefficace et en même temps plus injuste, à travers plusieurs mesures :

  • diminuer la part des sciences dans le fondamental va s’avérer catastrophique, sans pour autant améliorer la « maitrise des fondamentaux » qui ne s’acquiert pas à coup de rabâchages de leçons de grammaire et de conjugaisons
  • barrer la route du collège pour tous aux plus faibles va entrainer un renoncement à l’exigence et aux tentatives de pratiquer une pédagogie plus adaptée à chacun, plus imaginative, mais ambitieuse pour tous.
  • mettre en avant l’autoritarisme comme solution sera aussi une impasse. Fillon avait rétabli en son temps les punitions collectives, le climat scolaire se dégradera, avec des enseignants démotivés par les mauvais coups portés contre eux. Au « mieux » (si on peut dire), on aura plus de « discipline » mais moins de mise au travail réel des élèves (comment ceux-ci pourraient-ils dans le modèle école catho pure et dure développer ces indispensables compétences du XXI° siècle : parler devant un auditoire, travailler en groupes, mener à bien un travail de recherche, débattre avec d’autres, écrire toutes sortes de textes…) ?
  • pas grand-chose sur l’enseignement artistique, visiblement un « luxe » pour les meilleurs
  • et cette incroyable apologie du « roman national ». En histoire, aura-t-on encore le droit d’évoquer les méfaits de la colonisation, la tache pour notre pays qu’a été la traite des Noirs ou les côtés sombres de la première guerre mondiale ? Aura-t-on le droit de parler de l’Islam ? Devra-t-on exalter les Croisades et Clovis ? Fillon n’a pas repris « nos ancêtres les Gaulois », mais après tout peut-être parce que ceux-ci ne représentant pas les « racines chrétiennes de la France » : plutôt Clovis que Vercingétorix…)

ronsardOn croit par moments faire un cauchemar. Voilà qu’il nous faudrait trouver des solutions audacieuses pour relever les défis du numérique, de la montée des intégrismes, du délitement des liens sociaux, sans oublier l’essentielle question du développement durable et du défi climatique et on nous parle de l’uniforme, de Jeanne d’Arc et du « bon sens près de chez nous » !

Je ne manquerai pas de revenir sur ces sujets puisque nous voilà confrontés à une obligation de lutte contre le « post-factuel », les idées simples qui rabaissent la réflexion et les régressions dramatiques qui vont bien au-delà de sensibilités partisanes, mais qui mettent en jeu l’avenir de notre pays, mal embarqué avec des obsédés du rétroviseur…

Commentaires (4)

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  2. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    cela n’est pas nouveau. Les dégradations de PIsa renvoient surtout à la période où les amis de M. Fillon et lui-même pour une brève période étaient à la tête de l’éducation nationale. En revnache, pour les meilleurs, il n’y a pas dégradation des résultats. Et les pays qui ont progressé sont loin d’appliquer les méthodes prônées par M. FIllon (Canada, Portugal, Ecosse, Pologne qui a diminué la sélection précoce, etc.0
    jmz

  3. FRIDA

    Faire plus inefficace qu’actuellement, ça va être très dur pour François Fillon.
    Avec le premier budget de l’Etat soit des piscines olympiques remplies de coupures de 500 euros pour le résultat que l’on sait :

    – dégringolade dans les classements PISA,
    – universités et Grandes Ecoles très mal classées par WUR, THE, etc sauf, sauf les Business Schools (privées …)

  4. Anne ROUBET

    Excellentissime ! Merci infiniment pour ce parfait argumentaire, qui sera fort utile à tous ceux qui se battent pour construire une vision ouverte et progressiste de la société française.
    Anne R., relai territorial pour le mouvement En Marche! en Yvelines en charge des questions d’éducation.

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