La croix ostensiblement arborée par la porte-parole de François Fillon le soir de sa victoire à la primaire de la droite fait parler d’elle. Celle-ci s’est défendue en déclarant qu’elle la portait toujours (on peut le faire de manière moins ostensible, non ?) et qu’elle ne la considérait pas comme un signe d’oppression. (ajout: voir cet article : http://www.huffingtonpost.fr/2016/11/28/critiquee-sur-twitter-la-croix-de-valerie-boyer-disparait-quelq/?ncid=fcbklnkfrhpmg00000001) On le sait, la croix a été porteuse de valeurs bien contradictoires, elle a pu être signe d’oppression, brandie par les Conquistadores, les divers protagonistes des guerres de religion ou plus récemment par les Phalangistes libanais ou les prêtres couvrant les massacres du Rwanda, comme elle a pu être un symbole de liberté et d’humanisme, lorsque ceux qui s’en réclamaient s’appelaient à un moment de l’histoire Las Casas, Desmond Tutu ou Walesa. Davantage sympathique lorsque ceux qui la revendiquent ne sont pas au pouvoir ou en tout cas ne disposent pas d’un pouvoir absolu. Et puisque notre futur candidat à la présidence semble déplorer (bien à tort sur le plan factuel) que Voltaire ne soit plus enseigné ou plus au programme, comment ne
pas rappeler ce passage du Dictionnaire philosophique (article « Guerre ») : « Le merveilleux de cette entreprise infernale, c’est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d’aller exterminer son prochain. Si un chef n’a eu que le bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il n’en remercie point Dieu; mais lorsqu’il y en a eu environ dix mille d’exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue, composée dans une langue inconnue à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes. » Mais il est vrai qu’il ne faut pas tomber dans la « repentance » , nous dit-on et ne pas évoquer les pages sombres d’une religion dont l’esprit originel a connu pourtant bien des trahisons et des déformations. Rappelons la célèbre phrase de Loisy : « Ils attendaient le Royaume et c’est l’Église qui est venue »
Mais allons au-delà de l’anecdote de la croix pour considérer la fable qui se répand dans certains milieux qui soutiennent l’ancien premier ministre. La laïcité serait dans la continuité du christianisme, voire sa fille (aînée ?) dans une France qui a des racines chrétiennes, d’où la référence assez surréaliste à Clovis et Jeanne d’Arc, plutôt d’ailleurs qu’aux Gaulois chers au candidat battu, qui nous ramènent au paganisme. Nul ne conteste la part gigantesque qui revient au christianisme dans notre histoire. Comme pour la plupart des enseignants, la religion majoritaire des Français a eu toute sa place dans mon enseignement que ce soit en littérature ou dans des activités interdisciplinaires. J’ai fait travailler en classe sur des extraits des Évangiles, en m’appuyant sur de nombreuses œuvres d’art, peinture ou musique, j’ai aidé à prendre du recul avec des élèves en majorité musulmans sur des passages de La Chanson de Roland ou de chansons de geste quant à la glorification de massacres d’ « infidèles » en contextualisant les choses, j’ai organisé des sorties dans des cathédrales, j’ai fait découvrir les rapprochements entre des contes classiques et la tradition chrétienne (comment sinon ne pas trahir Andersen, par exemple ?) On peut d’ailleurs s’inquiéter parfois de la trop faible connaissance du fait religieux par nombre d’enseignants qui n’ont pas connu la culture du catéchisme, aussi pauvre et partiale fût-elle, mais qui fait partie d’un certain patrimoine, qu’il faut retrouver d’une autre façon.
Mais en même temps, la face sombre, je ne l’ai jamais négligée : l’intolérance, le fanatisme, l’obscurantisme, lesquels souvent révulsent ceux qui sont plus proches de l’esprit originel du christianisme. Peut-on parler d’ailleurs de Voltaire sans citer le rôle honteux d’une grande partie du clergé dans l’affaire Calas ? Et peut-on parler de Rousseau (sur lequel j’ai longuement travaillé avec mes élèves de mon collège qui portait son nom) sans évoquer l’autodafé de 1764 contre ce dangereux livre pédagogiste qu’était l’Émile ?
On n’oubliera pas surtout le combat de l’Église catholique contre les lois de séparation de l’Église et de l’État et contre l’école républicaine, école du Diable et de l’immoralité, une école sans Dieu qui ne peut être qu’une école contre Dieu (voir le rappel historique passionnant de Jean-Paul Delahaye ici). Ni le rôle peu glorieux du catholicisme pendant la période vichyssoise. Ce qui permet d’être bien plus à l’aise pour critiquer tous les intégrismes d’autres religions. De même qu’on ne peut évoquer seulement l’Inquisition et les Dragonnades anti-huguenotes sans aussi mettre en avant les figures de Sainr-Vincent de Paul ou de l’abbé Grégoire, de même ne doit-on pas dresser un tableau idyllique de la tolérance de l’Andalousie musulmane ou de mettre l’accent sur les grandes figures de Averroès ou Abd-el-Kader en oubliant les massacres au nom du Coran ou la justification de l’esclavage, sur laquelle se retrouvaient d’ailleurs les différentes religions. Mais vraiment, pour ce qui est de la fable du christianisme anticipant le principe de laïcité, toute l’histoire nous montre le contraire, ou alors nous ne concevons pas la notion de la même façon que certains.
Nous sommes sans doute dans une période où, finalement, nous sommes contraints de rappeler des évidences, contre l’envahissement du contre-factuel, de la désinformation et des accusations outrancières, qui sont bien souvent des mensonges calculés et assumés. Seuls des anticléricaux archaïques et obtus, comme leurs prédécesseurs qui voulaient bannir les noms de lieux à connotation religieuse ou bouter les maisons d’édition d’origine catholique de salons de livres jeunesse, nient les aspects nobles et lumineux de la religion chrétienne. Comme beaucoup, je peux être bouleversé quand j’écoute La Passion selon Saint Matthieu, quand je regarde le film de Pasolini qui porte le même nom (réalisé par un « non-croyant catholique ») ou la Crucifixion de Mantegna. Comme beaucoup, je continuerai à être indigné par la complaisance envers les prêtres pédophiles, par le rôle pour le moins ambigu du Pape pendant la seconde guerre mondiale (voir le film Amen et à me souvenir de la violence de textes écrits durant les guerres de religion (pas tant de différences que cela entre les textes actuels du
Djihad et ceux de Agrippa d’Aubigné
Comment finalement une fois de plus combattre les stéréotypes, le manichéisme, toutes les variantes du populisme intellectuel (un oxymore ?) Comment accompagner progressivement à l’école, en fonction de l’âge bien sûr, une montée en puissance d’une pensée complexe qui n’est nullement le relativisme et qui se conjugue avec la promotion de valeurs humanistes sans se confondre avec celle-ci. Voilà bien un défi qu’il faut relever alors même que les débats électoraux risquent de nous entrainer vers le bas et vers des idées simples qui sont la plupart du temps des idées simplistes.
vos remarques sont intéressantes. Sans être un spécialiste de la question, je vous accorde qu’il y aurait des choses à analyser sur les rapports entre le christianisme et la laïcité (et en particulier l’apparition du protestantisme). A cet égard, les cathos intégristes au fond n’ont pas grand chose à voir avec le christianisme (si je ne me trompe pas, Charles Maurras n’était guère croyant). Si j’ai parlé de « fable », c’est en réaction au discours de gens comme Poisson ou autres de la « droite catho » énonçant une filiation entre christianisme et laïcité en gommant l’Inquisition, la Saint-Barthelemy la lutte contre l’Encyclopédie et le chevalier de la Barre, etc. Le christianisme comme religion de la sortie de l’ère dela religion,selon Gauchet, cela reste une thèse très intéressante.
Sur Pie XII, probablement le beau film de Costa-Gavras est-il réducteur et la politique papale complexe. N’empêche que l’église catholique globalement n’est pas ressorti glorieuse de la Seconde Guerre mondiale. Il y a sans doute des limites à justifier des politiques au nom du réalisme, du pragmatisme (c’était aussi l’argumentation des pétainistes qui n’étaient pas d’extrême-droite, voir le très intéressant téléfilm sur le procès de Pétain)
Merci de votre commentaire constructif
Bonjour,
J’aurais deux remarques:
J’ai été déçu, non par l’article lui-même qui comporte beaucoup de qualités, mais par le fait qu’il ne comporte pas d’arguments contre ce que vous appelez la « fable » de la laïcité chrétienne. Vous dites que toute l’histoire nous montre le contraire: pourriez-vous donner des exemples?
Il me semble qu’il est fort réducteur de parler de « fable ». La laïcité n’est pas chrétienne, mais naît dans des civilisations de culture chrétienne. C’est un concept qui n’apparaît pas dans la culture islamique, par exemple; la comparaison me paraît opérante: la civilisation islamique ignore la distinction du politique et du religieux, ce qui n’est pas le cas dans la civilisation chrétienne. Ainsi, en Islam, il n’y a pas de clergé (sauf chez les chiites), quand en Chrétienté, il y en a un. Il me semble donc que cette distinction entre le clergé et les laïcs est une particularité du christianisme. Mais cette distinction n’est pas « la » laïcité, évidemment. Admettez-vous cependant qu’elle en tire ses racines?
Je vous remercie par avance.
Ma deuxième remarque:
Convoquer le film « Amen » pour parler du rôle de Pie XII pendant la Seconde Guerre Mondiale ne me paraît pas très sérieux ; je ne doute pas qu’il doit s’agir d’un manque d’approfondissement du sujet, que je vous encourage bien cordialement à accomplir. Il est vrai que ce film a pu faire beaucoup de mal à une saine compréhension des événements de cette époque.
Merci pour cette réflexion sans passion. Quand la raison remplace les passions, les lumières ne sont pas loin… un joli propos à partager.
Et pendant ce temps là …
Le décrochage des performances en sciences des élèves français est une réalité que nous vivons depuis la rentrée 2013. Devant la brusque aggravation des pertes de compétences causée par la dernière réforme du lycée, nous demandions au ministère une évaluation de l’impact de cette réforme sur la formation scientifique des bacheliers, suivie d’un réajustement vigoureux des enseignements scientifiques au lycée. Le ministère a refusé de publier les études menées en interne, mais les faits sont têtus, et les études internationales, TIMSS et PISA, confirment nos analyses.
A la rentrée 2013, les classes préparatoires scientifiques se sont adaptées, et les étudiants et professeurs mettent les bouchées doubles pour maintenir la relation de confiance des écoles d’ingénieurs et des entreprises, dont les besoins en cadres bien formés augmentent dans un contexte international de plus en plus compétitif dans le secteur des sciences et des techniques. Mais nous appelons de nos vœux une prise de conscience courageuse des dégâts occasionnés, suivie d’un redressement rapide de la situation.
Le ministère esquisse une ligne de défense qui ne résiste pas à l’analyse: les élèves de terminale S français seraient parmi ceux qui reçoivent le plus d’heures de mathématiques. En admettant que ce soit le cas, ce qui est très contestable, il faudrait en tirer des conclusions drastiques sur les programmes. Non pas que la nature des champs étudiés soit en cause: enseigner les probabilités par exemple peut se révéler très formateur. Au-delà de la sensibilisation à un environnement où le hasard a sa place, l’enseignement de probabilités peut contribuer à l’apprentissage de la modélisation et de la résolution de problèmes complexes, mais aussi au développement des capacités de raisonnement et des compétences en calcul. Malheureusement, les choix faits dans ce domaine par les programmes de terminale ne vont pas dans ce sens. La partie Probabilités du programme de terminale S est un empilement de boîtes noires qui ne peut donner lieu qu’à des exercices stéréotypés de type presse-bouton, celui de la calculatrice. Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la rupture délibérée des liens entre les programmes de mathématiques et de physique chimie opérée depuis 2010. Outre qu’elle complique l’orientation éclairée des bacheliers vers les filières scientifiques du supérieur, cette rupture empêche toute synergie positive entre les apprentissages scientifiques et participe à la baisse de compétences en mathématiques des élèves des lycées.
Mais le calcul du ministère de l’horaire de mathématiques en terminale S est faussé: avec 6 heures par semaine, on ne peut pas totaliser 222 heures dans une année scolaire, surtout celle du bac! Le calcul prend en compte les 2 heures de spécialité mathématiques, alors que seuls % des élèves de terminale S ont la spécialité mathématiques et que même en se restreignant au public des classes préparatoires scientifiques, ils restent minoritaires. Par ailleurs, les heures d’accompagnement personnalisé, qui devraient être consacrées à de l’approfondissement dans les matières scientifiques en filière S, servent le plus souvent de variables d’ajustement dans la fabrication des emplois du temps, et ne contribuent à la formation scientifique que dans certains lycées favorisés, ce qui augmente le caractère inégalitaire de l’Education qui devrait être Nationale.
Depuis 2013, avec les sociétés savantes et les associations de spécialistes, l’UPS mène une réflexion large sur la question de la formation scientifique et se positionne comme une force de proposition pour participer à ce redressement. Nous avons été renvoyés du cabinet de la ministre au CSP, du CSP au cabinet, pour retour au CSP, et de là à la DGESCO, où nous devons être reçus début janvier. Nous espérons que la publication de ces études jouera le rôle de déclencheur et que nos offres de services seront maintenant prises en compte pour qu’à l’horizon 2020, nous ayons participé à restaurer le niveau scientifique et mathématique de nos bacheliers.
Sans attendre, nous demandons que dans l’urgence, les heures d’accompagnement personnalisé soient fléchées « sciences » pour tous les élèves de première et terminale S qui souhaitent s’orienter vers l’enseignement supérieur scientifique. Une circulaire de rentrée peut y suffire, en attendant qu’aboutisse un long et nécessaire travail de fabrication de nouveaux programmes mieux articulés et plus formateurs. Dans la foulée, tout le monde y gagnera, tant la clarté des raisonnements peut aider quel que soit le domaine d’activité et le niveau de responsabilité.