Enseigner au XXI siècle

Instruction et démocratie

L’élection de Donald Trump met au grand jour plus que jamais la question du rapport entre le degré d’instruction des citoyens et leur vote. En effet, les différentes enquêtes d’opinion montrent l’extraordinaire différence de résultats selon le niveau de diplôme des électeurs. Certes, des gens peu instruits ont voté Clinton (et il y a supercherie à dire que Trump a représenté les masses populaires, en oubliant la forte abstention et la perte de sept millions de voix par rapport à Obama des démocrates, voir cette très juste tribune de Sylvie Laurent), certes, des personnes ayant fait des études universitaires ont voté Trump, mais si l’on prend les grandes masses, il est indiscutable que le nouveau président a dû son élection à ceux qui ont le moins suivi d’études.
En un sens, il y a quelque chose de rassurant : l’instruction sert quand même à ne pas voter pour les candidats extrêmistes et dangereux. Et on retrouve le même phénomène en France pour le vote Front national. Ou pour les partisans du Brexit. Le cas italien est différent, mais Cinq étoiles est un mouvement composite et difficile à classer : il semble attirer beaucoup d’étudiants. Pourtant, on a vu cette incroyable déclaration en fin de campagne référendaire de Pepe Grillo : « je vous demande de voter avec vos tripes, car le cerveau est faible et les tripes ne mentent pas » qui révèle ce qu’est ce sinistre personnage !

La question du lien entre instruction et démocratie reste complexe. J’ai plusieurs fois écrit ici même que la culture, les connaissances ne protégaient pas contre le Mal. C’est d’ailleurs bien vrai Science-pour-tous-N1concernant les dirigeants, qui peuvent être cultivés et avoir suivi de brillantes études, les exemples abondent. Néanmoins, tous les pères fondateurs de la démocratie ont insisté sur le fait que la démocratie ne pouvait bien fonctionner avec un peuple ignorant. Mais je pense qu’aujourd’hui, il faut ajouter que cette « instruction » doit aussi être ouverte sur la complexité du monde, à la diversité des points de vue, à un esprit critique qui s’exerce d’abord sur soi-même et ses propres croyances. C’est pourquoi il est scandaleux de confondre compréhension de phénomènes abominables et leur excuse ou de vouloir réduire l’Histoire de notre pays à une chanson de geste en confondant reconnaissance des parts d’ombre et « repentance ». De même est-il calamiteux de vouloir confiner les jeunes les plus en difficulté dans un enseignement dit « de base » à coup d’automatismes, d’apprentissage par cœur (des dynasties royales et des règles de grammaire ?), en les privant d’enseignements artistiques et scientifiques au nom du « fondamental ».

Bien sûr, l’instruction seule ne peut suffire, et elle doit s’accompagner d’ingrédients majeurs : développement de la confiance en soi, des vertus du travail coopératif, apprentissage de la « gestion des émotions » pour « résister » à ses pulsions (à ses tripes ?).

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education nouvelle, début XX° siècle, Genève

Il faut être vraiment un idéologue obtus pour défendre le vote des électeurs de Trump que « l’intelligentzia mépriserait » comme par exemple l’a fait dans une émission (je ne retrouve pas les références) Alain Finkielkraut, comme le font aussi certains défenseurs du « peuple » contre les « élites » (le géographe Guilluy ou Laurent Bouvet, souvent loués comme références par la droite aujourd’hui). Certes, Hillary Clinton n’aurait jamais dû qualifier une partie de l’électorat de Trump de « lamentable » , mais en même temps, peut-on cautionner un racisme très ancré, hélas, dans la culture américaine, ce que me semblent faire certains, aveuglés par leur combat soi-disant « contre les élites » ? Peut-on vanter si facilement les vertus de la réponse binaire des référendums et rejeter la démocratie représentative ? Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas réfléchir à des formes diverses d’expression, comme la conférence de consensus ou d’autres dispositifs (voir le travail de Rosanvallon ou VIveret).

Plus que jamais, il faut prôner l’exigence intellectuelle, et se battre pour la démocratisation de l’enseignement, mais aussi pour la débatprésence d’activités culturelles riches au sein des territoires, pour promouvoir des programmes télévisés de meilleur niveau (y compris par des demandes au CSA, par un combat contre les Morandini et Hanouna..), pour mettre en avant d’autres usages du numérique, seule façon de lutter contre les mauvais (bien loin de l’abstinence numérique à l’école qui ne fait que creuser les inégalités). Je pense que moi, comme beaucoup d’autres, n’ont aucune leçon à recevoir de la part de ceux qui prétendent parler au nom du peuple. Ce que j’énonce ci-dessus s’incarne dans ma pratique d’enseignant, de militant pédagogique et associatif, depuis de longues années (et plus récemment comme élu de terrain travaillant pour la réussite scolaire). Il y a ceux qui, selon le mot de Talleyrand (dit-on) « agitent le peuple avant de s’en servir » et qui peuvent d’ailleurs être eux-mêmes instruits et cultivés. Il y a ceux qui sont complaisants envers ces dangereux individus et qui passent leur temps à critiquer et à dénigrer (parfois insulter) ceux qui cherchent des solutions (que de calomnies pour les actions pédagogiques ayant pourtant des buts que déclarent partager ces « pseudo-experts » : plus d’instruction, plus de savoirs, plus de culture). Et il y a ceux qui agissent pour éviter le pire et ne font pas des Lumières un étrange objet électoraliste (ces Lumières qui auraient soi-disant disparu des programmes d’Histoire) mais bien une référence, dès lors qu’elles sont à faire partager à tous et invitent à répondre avec intelligence aux défis des temps présents.

 

 

Commentaires (8)

  1. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    c’est cette diatribe là (que vous envoyez en lien) qui moi me fait sourire ou me consterne (« faut-il pleurer, faut-il en rire? etc)

  2. Fabrice Pesto

    Le Brexit comme l’élection de Trump montrent l’existence d’un fossé grandissant entre les villes qui concentrent les richesses économiques et culturelles, et les campagnes. C’est ce qui se dessine également en France depuis quelques années.

    Certains ont cru que le « politiquement correct » ferait reculer l’intolérance, mais en fait celà n’a fait que masquer le problème.

  3. Vincent

    @Charlie

    Votre diatribe m’a fait sourire car j’ai lu cet article dont vous partagez probablement les conclusions édifiantes

    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-enseignants-fossoyeurs-de-l-187514

  4. Charlie

    No problemo, du moment que l’on peut continuer la traque des collabos tant au point de vue local que global.

  5. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    oh pardon, je n’avais pas vu la référence pseudo-historique à ce personnage mythique. Fin de « dialogue ». désolé pour vous , je ne fais pas qu’écrire un blog, je suis actif pour combattre notamment les idéologies véhiculées par les gens comme vous et leurs conséquences, sur le plan local comme sur le plan national (dans le domaine éducatif). Mais désormais, je ne répondrai plus à vos commentaires sans intérêt

  6. Charlie

    Charlie Martel … si vous suivez un peu l’actualité en bonne personne instruite imperméable à l’extrémisme.

    A bon ? et à part faire de la propagande politique de la bienpensance de gauche et tapez sur la « drooâââte » vous faîtes quoi au juste ? Les lecteurs amusés de ce blog auront certainement un avis sur le sujet.

    Un humble acteur de la réinfosphère

  7. Jean-Michel Zakhartchouk (Auteur de l'article)

    amusant plus que consternant. Tiens, je ne savais pas que j’étais « d’extrême-gauche » et sans doute payé par Wall Street, Bruxelles, et je ne sais qui encore qui financent ce blog. Commentaire édifiant donc de l' »identosphère » qui ose se réclamer de Charlie!

  8. Charlie

    On se rassure comme on peut chez les pédagomanes même si tout va de mal en PISA dans L’Educ’Nat’ car au fond il y a des convergences paradoxales entre l’extrême gauche et la superclasse mondiale et notamment son mépris pour le peuple (soit-disant non instruit)

    1/ L’extrême gauche sert de bulldozer à la superclasse mondiale : elle procède à la déforestation du couvert culturel des nations.

    2/ La superclasse mondiale veut le libréchangisme mondial. L’extrême gauche sape le sentiment national.

    3/ La superclasse mondiale veut la suppression des frontières. L’extrême gauche soutient les délinquants étrangers clandestins.

    4/ La superclasse mondiale veut une main-d’œuvre interchangeable. L’extrême gauche prône la table rase
    Pour le système dominant, l’homme est conçu comme une matière première (dite « ressource humaine »). Il doit avant tout être interchangeable pour les besoins de l’oligarchie marchande. Il doit donc avoir quatre caractéristiques négatives : – ne pas avoir de racines (ni race, ni nation, ni religion notamment) ; – ne pas avoir d’idéal : il doit être un consommateur et un producteur matérialiste et relativiste prêt à gober tous les produits lancés sur le marché (y compris les produits bancaires permettant de l’endetter et donc de mieux le soumettre) ; – ne pas avoir de religion hors celle de son propre ego, pour être plus facilement isolé donc manipulable ; – ne pas avoir de personnalité afin de se fondre dans la masse (il doit donc être éduqué de façon purement technique et utilitaire, sans culture générale lui permettant de se situer comme homme libre). Là aussi l’extrême gauche s’est révélée une alliée précieuse de la superclasse mondiale et du nihilisme marchand. Ainsi c’est dans le domaine de la transmission des valeurs à travers l’école ou la famille que l’héritage – curieux mot pour une entreprise de destruction – de Mai-68 reste le plus fort. Il suffit de relire les slogans des affiches ou des graffitis pour constater qu’ils sont devenus programmes : « Il est interdit d’interdire », « Le respect se perd, n’allez pas le chercher ! », « Professeur, vous êtes aussi vieux que votre culture », « Oubliez tout ce que vous avez appris ». Fondamentalement, Mai-68 est une révolution de rupture avec les permanences et les racines : permanences culturelles, racines identitaires. Or, à travers les syndicats d’inspiration communiste ou trotskystes, c’est toujours l’idéologie de la rupture qui domine dans l’éducation nationale : rupture avec les méthodes d’apprentissage de la lecture, rupture avec l’histoire chronologique, rupture avec l’enseignement des humanités. Dans beaucoup de pays du monde occidental les pédagomanes sont présents et livrent sur le marché des individus déculturés prêts à gober sans esprit critique le gavage publicitaire.

    5/ La superclasse mondiale veut ouvrir de nouveaux champs à la production et à la consommation marchande. L’extrême gauche l’aide en fragilisant la famille.

    6/ La superclasse mondiale craint par-dessus tout l’émergence de courants identitaires et souverainistes qui briseraient la dynamique de la mondialisation. L’extrême gauche joue un rôle d’obstruction face aux populismes nationaux.

    7/ La convergence entre le grand patronat et le projet sociétal de la gauche et de l’extrême gauche

    8/ En échange de ses services, l’extrême gauche bénéficie de la complaisance de la superclasse mondiale.

    9/ Le cosmopolitisme, idéologie commune de l’extrême gauche et de la superclasse mondiale.

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