Enseigner au XXI siècle

Programmes éducatifs : continuité ou ruptures ?

A un tout petit peu plus d’un mois de l’élection présidentielle, on voit bien que les débats atour de ce que doit devenir notre système éducatif n’occupent guère le devant de la scène. Il est vrai qu’heureusement, le discours sur la restauration d’une « autorité »  bien peu éducative, le rétablissement de la chronologie des Rois de France (le modèle chinois !) ou la nécessité d’imposer l’uniforme sont moins audibles à l’heure du respect douteux des règles et d’affaires mettant en jeu d’autres vêtements (l’étoffe du président ?) Néanmoins, on continue à mettre en lumière des points de détail, souvent mal définis : interdiction du téléphone portable, classes bilangues ou place  de l’enseignement de l’arabe et cahiers péda 500 dessin 01 (3)on parvient difficilement à creuser certaines questions comme :

  • ce que signifie « les fondamentaux » qu’on réduit au triptyque rarement pensé : lire-écrire-compter, bien éloigné de la conception des fondateurs de l’école républicaine
  • comment remettre de la mixité sociale et scolaire au-delà des proclamations et pétitions de principe et dans cette perspective, quelle place pour l’éducation prioritaire ? (bien absente du programme des Républicains)
  • quelle formation pour les enseignants de demain ?
  • comment intégrer le numérique, en dépassant un stérile pour ou contre au profit d’une réflexion sur les conditions à réunir pour que ce soit efficace et démocratisant ?
  • quel type d’autonomie pour les établissements, ce qui pose la question du fonctionnement interne des établissements, certains prônant des recettes qui ont mené à des régressions comme en Suède ?…

Ne parlons pas ici du programme du Front national (ou de Dupont – Aignan qui en est proche), je l’ai déjà analysé ici-même, il est en rupture avec l’esprit de l’école républicaine en ce qu’il établit très tôt des ségrégations, et supprime les droits divers de la communauté éducative ( les parents n’ayant plus leur mot à dire dans l’orientation, l’obligation de scolarité remise en cause pour les élèves exclus, une imposition de méthodes pour les professeurs, etc.)

A bien des égards, le programme de François Fillon s’en rapproche. En tout cas, il est en nette rupture avec tout ce qui s’est fait en réalité depuis la réforme Haby de 1975 sur plusieurs ponts majeurs :

  • remise en cause du continuum dans le cadre du socle commun, pourtant édifié sous une autre forme et partiellement avec le même Fillon comme ministre (qui, il est vrai, parlait alors de « socle » sans adjoindre le mot « commun » si l’on en croit Claude Lelièvre), avec sélection précoce et probablement retour en force du redoublement
  • ecole patriemise à mal du compromis gaulliste autour de l’enseignement privé avec l’effacement progressif de la distinction contrat/hors contrat (mais rassurons-nous les écoles musulmanes n’auront pas le même traitement que celles liées au catholicisme intégriste !)
  • mélange confus d’autoritarisme et de laxisme dans le pilotage. D’un côté, on va contraindre d’enseigner le soi-disant « roman national » et d’utiliser telle méthode de lecture. De l’autre, on laissera les établissements rétablir des filières, créer des classes d’élite ou recruter les élèves. Sur la question symbolique de l’uniforme, je ne réussis pas à savoir si ce sera une obligation ou au libre choix des établissements…

attilaIl y a de plus un esprit Attila dans ce programme de « rupture » (je ne dirais pas de « restauration » ou alors il faut remonter loin pour savoir de quelle restauration il serait question. Rarement, au passage, les « pédagogistes » n’avaient été attaqués de pareille manière (par contraste par exemple avec le dernier ministre du quinquennat Sarkozy qui se vantait d’éviter ce genre d’attaques). Et ii y a cette volonté de suppression de toutes les réformes de la refondation, sans qu’on connaisse les détails (plus de cycles ? remise en chantier du socle et des programmes ? retour de la semaine de quatre jours ? suppression des ESPE ?). Fillon en veut notamment au Conseil supérieur des programmes qu’il est incapable au passage d’appeler par son nom, conseillé par Anne Genevard qui est passée, sans jamais l’assumer, d’une attitude constructive de membre votant les textes et participant à de riches débats à un positionnement sectaire de rejet démagogique en maniant parfois des vérités très approximatives !

La table rase, que n’avait pas pratiqué Peillon (reconnaissant par exemple les avancées sur le lycée, la lutte contre le harcèlement ou l’intégration d’élèves souffrant de handicap) est  particulièrement néfaste pour notre école et n’aura comme conséquence chez les acteurs qu’un peu plus de démoralisation et le développement du scepticisme, voire du cynisme  vis-à-vis de tout changement.

On risque en tout cas en cas de deuxième tour entre Fillon et Le Pen une surenchère réactionnaire sur l’école, ce qui fait craindre d’ailleurs deux choses concernant Fillon dans cette configuration : qu’il soit élu et qu’il ne soit pas élu !

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Les programmes de Benoit Hamon et Emmanuel Macron semblent ne remettre en cause que de façon secondaire ce qui s’est fait depuis cinq ans. Indiscutablement, concernant l’éphémère ancien ministre qui surtout veut renforcer le quantitatif de façon qu’on peut juger irréaliste et peu productive (la drastique réduction des effectifs serait-elle tenable et surtout n’engloutirait-elle pas tous les moyens nouveaux ? –je sais que, quand j’ose dire cela, je m’apprête à recevoir une volée de bois vert…Tant pis !) Et j’ai déjà exprimé toutes les réserves que j’avais concernant la mise en place d’un service national du  soutien scolaire qui renforce l’externalisation des problèmes, même si l’idée d’impliquer de façon obligatoire les étudiants est intéressante.)

Macron, sans doute par souci de positionnement par rapport au gouvernement présent dont il ne veut surtout pas apparaitre comme un continuateur, ne dit pas grand-chose sur ce qu’il y aurait à garder (hormis le symbole des classes bilangues sans qu’on sache ce que signifierait le « rétablissement ») On peut donc espérer la continuité. Reste à creuser la question de l’autonomie : le candidat devrait expliciter ce que serait alors le pilotage national et surtout comment concilier autonomie et politique en faveur des milieux populaires. Si  l’on peut contester son approche également quantitative sur l’éducation prioritaire (comme je l’ai fait sur ce blog mais aussi en échangeant avec des responsables), on peut saluer le fait de mettre des moyens pour les plus défavorisés tout en espérant des dispositions plus fines et plus ciblées.  Bien des questions restent ouvertes, mais nul n’est besoin sans doute d’un programme détaillé et il faudra intervenir largement dans le débat public pour faire évoluer certaines propositions. Le message global en faveur de l’innovation, l’encouragement des initiatives, l’optimisme et l’absence de démagogie anti-intellectuelle vont plutôt dans le bon sens, mais rien n’est joué. Ne peut-on par exemple craindre l’influence d’un Bayrou en faveur de retours en cp citoyennetéarrière ou de certains libéraux qui éloigneraient de la nécessaire régulation étatique. Sans parler de la complaisance possible par exemple pour le réseau Espérance banlieue (voir un excellent article récent de l’Obs). On espère à cet égard une position claire et ferme sur le hors contrat.

Reste Mélenchon dont le programme peut être salué quant aux intentions (démocratisation, rôle essentiel des savoirs etc.) mais qui en même temps flatte les franges les plus corporatistes du monde enseignant en défendant de façon crispée les disciplines et en fin de compte la pédagogie la plus traditionnelle, ce qui mène à l’abrogation de la réforme du collège et un message anti-innovation (Mélenchon s’emportant contre l’injonction à l’innovation, expression lourde de sens). On est dans l’ensemble bien plus dans l’école de Jules Ferry que dans celle de l’ère des hologrammes et des réseaux sociaux, même si face aux nouveautés il faille un mélange de résistance et de prise en compte intégrative. Mais probablement les débats internes existent-ils et il y a bien des nuances entre chercheurs soutenant un programme qui ne développe guère sur le plan de l’éducation l’ « insoumission » aux idées reçues et dominantes.

Sur tout cela ; je reviendrai bien sûr, d’autant que les élections législatives qui suivront rebattront davantage les cartes que les fois précédentes. Mais à l’heure du scepticisme et du rejet de la politique par tant de gens y compris dans le monde enseignant, il serait si important de débattre sérieusement au-delà des anathèmes et des formules de grands meetings ou rassemblements. Mais depuis 2002 et ma participation à un collectif lancé par le regretté Jacky Beillerot à l’occasion des présidentielles, je désepère un peu de voir apparaitre ce débat au niveau que la question mérite…

 

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