Enseigner au XXI siècle

Macron et l’école : promesses et zones d’ombre…

Les urnes ont parlé, selon la formule et mettent donc face à face pour le second tour de la présidentielle deux projets de société que tout oppose. Si on s’intéresse aux questions éducatives, on ne peut que rejeter les conceptions éducatives du Front national que nous avons dénoncées ici-même et que condamnent de nombreux acteurs du système éducatif.

Nous n’aurons pas en tout cas de mise en œuvre de deux autres politiques éducatives que j’avais aussi analysées sur ce blog. Chez Fillon comme chez Mélenchon, il y aurait eu la remise en cause complète de la politique de refondation (réforme du collège, cycles…) Les réponses de Mélenchon à JJ Bourdin exposant son vœu de revenir à un fort jacobinisme dans les rapports entre établissements et Ministère, rejetant pas exemple la marge de 20% d’autonomie laissée aux collèges, ne manquaient pas d’inquiéter. Quant à Fillon, jusqu’au bout il a réitéré ses diatribes contre les « pédagogistes prétentieux », y compris dans ses grandes meetings de fin de campagne, sans oublier son éloge du soi-disant « roman national » moqué de façon habile par Laurence de Cock dans sa confrontation avec lui sur France 2.

Emmanuel Macron est désormais le favori de l’élection et il faut s’intéresser de près à ce qu’il dévoile d’un programme éducatif qui reste flou et peu incarné dans des personnes (qui sont ses experts ?) Un document récent nous éclaire un peu : une réponse qu’il a donnée à la Société des Agrégés à certaines questions. Je voudrais commenter certains aspects de cette réponse.

politiqueUn  point très important est l’expression du « refus du Grand Soir ». Pour Macron, « Il faut mobiliser les énergies pour faire, non pour défaire. Il ne s’agit pas de dire que tout ce qui a été fait précédemment est nul et non avenu : si de profonds changements doivent être engagés, il faut bannir le mythe du Grand soir. À chaque alternance, on demande aux professeurs, aux élèves, à leurs parents de s’adapter à de nouvelles réformes, parfois guidées davantage par des préoccupations politiques que par des ambitions pédagogiques ». Puisse-t-il appliquer ce sain principe. Comme le fait remarquer Luc Cédelle dans la « lettre de l’éducation », défaire ce qui a été mis en place n’est jamais simple et crée beaucoup de scepticisme et de démotivation. Aussi, le silence sur les nouveaux programmes et l’existence du Conseil supérieur des programmes, le socle commun, les cycles ; les nouvelles formes d’évaluation ou l’existence des ESPE est plutôt bon signe, signe qu’on n’y touchera pas fondamentalement ? Et s’il est évoqué (jusque dans les discours de Bercy par le candidat) les parcours bilangues ou les langues anciennes, il est dit surtout que la possibilité en sera  laissée « aux équipes pédagogiques qui le souhaitent », ce qui cependant posera de redoutables problèmes en termes d’arbitrage, mais assez peu différents de ce qui se passe aujourd’hui.

La réponse de Macron éclaircit quelque peu ce qu’il entend par autonomie et on peut l’entendre de façon optimiste comme une place faite aux équipes, à l’expérimentation, à l’initiative locale : on aurait ainsi des marges de manœuvre permettant de développer des projets innovants. Il est à noter que c’est un peu contradictoire avec le fait d’imposer une division par deux des effectifs en CP et CE1 en éducation prioritaire (sans différences entre REP et REP+) au lieu d’attribuer les moyens correspondants qui pourraient être gérés de façon souple comme c’est déjà le cas avec « plus de maîtres que de classes ». Cependant, l’arbitrage entre le pilotage national ou académique et la gestion locale reste floue : autoriserait-on par exemple des classes de niveau ou un déséquilibre des moyens en faveur de « parcours d’excellence » ? Et au-delà, le silence règne sur l’objectif de mixité sociale et scolaire ; que compte faire le futur ministère pour y parvenir, alors même que sont vantés les parcours d’excellence d’un côté, le pré-apprentissage de l’autre ? Il y aura des points à éclaircir, mais faisons crédit à l’équipe Macron de déclarer vouloir mettre le paquet des moyens sur « ceux qui ont moins », sur la scolarisation à deux ans et à la volonté de ne pas supprimer de postes, mais au contraire d’en créer.

L’idée d’audits réguliers d’établissements, d’évaluation des avancées et des manques, comme cela se fait dans de nombreux pays est intéressante, elle ne part pas de rien  mais reste rare dans notre système. Mais qui va réaliser ces consultations : augmentation du nombre d’inspecteurs et large évolution de leur rôle ? Le critère de mixité et de lutte contre les inégalités sera-t-il au premier plan de l’évaluation ?

Le discours selon lequel il « faut faire confiance aux enseignants « qui connaissent mieux que quiconque le terrain et savent ce qu’il faut faire » est un  classique, qu’on retrouve chez tous les candidats. « En même temps » (je n’ai rien contre cette formule, bien au contraire, dès lors qu’elle pointe des tensions sans éluder de façon artificielle des contradictions), on dit « s’appuyer sur la recherche » permettant de diffuser « les bonnes pratiques ». On peut ne pas aimer cette dernière formule, simpliste et réductrice (encore que l’expression exacte est « diffuser les meilleures pratiques »), mais il me parait clair qu’on ne peut pas totalement reprendre en quelque sorte la fameuse phrase de Ségolène Royal selon laquelle les praticiens sont les meilleurs experts pour juger de ce qui est bon dans leur pratique et déclarer vouloir s’appuyer sur des recherches (qui peuvent être tout-à-fait contre-intuitives). De même est-il question de prendre en compte le nécessaire partenariat avec des  parents impliqués, lesquels peuvent donc bousculer les certitudes des enseignants.  Saluons au passage cette insistance sur le rôle de ces derniers : « Aux antipodes d’une école individualiste et consumériste, il convient de trouver – ensemble – les solutions : la participation des parents, leur implication est un levier essentiel pour l’amélioration du système éducatif et la réussite de chaque élève. » (surtout dans une réponse adressée à une organisation très corporatrice et non à une association de parents)

La formation. Est positive l’idée selon laquelle « chaque année, tout enseignant, du de chenille à papillonpremier comme du second degré, bénéficiera d’au moins trois jours de formation continue adaptée aux besoins rencontrés dans sa classe –identifiés notamment grâce aux bilans personnalisés effectués par chaque élève en début d’année. ». mais comment cela se fera-t-il concrètement ?  et n’est-il pas réducteur de ne lier cette formation qu’aux problèmes rencontrés dans la classe ? Là encore des moyens devront être dégagés y compris en « formation des formateurs »…

Ne pas envoyer des nouveaux titulaires (sauf volontaires) en éducation prioritaire parait louable, mais là aussi, comment va-t-on faire ? Cela aurait forcément des conséquences sur les mutations des autres, non ?

Enfin, pour  ne pas être trop long, terminons sur la personnalisation des parcours d’élèves et sur l’aide à leur apporter. On aurait aimé qu’on se situe moins dans une logique de « combler des manques » ( soutien, aide aux devoirs, stages de mise à niveau) et plus dans celle de pédagogie différenciée mise en avant récemment par la conférence de consensus du CNESCO. S’il est juste de prôner «  une véritable personnalisation des apprentissages ; la capacité d’apporter à chaque élève, le bon contenu, au bon moment pour le faire progresser », cela passe par d’autres manières de travailler en classe ; on aurait aimé voir mise en avant la coopération par exemple.

Les discours de Macron oscillent souvent, lorsqu’il est question d’école, entre un discours conservateur et traditionnel (jusqu’à dire, stupidement, qu’il est du côté du COD et non du prédicat lors du discours de Bercy ! comme si ce genre de remarques avaient leur place dans les préoccupations d’un possible président de la République !), qui évoque de façon superficielle les « fondamentaux », etc. et une autre parole, bien plus ouverte, qui insiste (et cela fait du bien de l’entendre),sur le plaisir d’apprendre et n’évoque jamais l’ordre et la discipline érigés en absolus ou le « rétablissement de l’autorité du Maître » chers à d’autres candidats dont celle qu’il va affronter (et ce sera peut-être un des points du débat télévisé du 3 mai)

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Ombre et lumière par Kumi Yamashita

Bref, il est clair pour moi qu’avec Macron, et avec toutes les interrogations sur qui serait son ministre et quelle majorité législative il pourrait avoir, les perspectives restent ouvertes pour une école plus juste et plus efficace. Les zones d’ombre existent, le flou n’est pas absent, certains points nous gênent quand d’autres sont des promesses. J’espère qu’il y aurait de la continuité par rapport à la politique actuelle (inavouable de toutes façons pour celui qui est qualifié de Hollande-bis par ses adversaires), mais avec davantage de volonté pour bousculer les pesanteurs et les carcans bureaucratiques. On est loin des accusations de programme ultra-libéral sur l’école, mais il faudra se battre pour que ne soit pas laissée de côté la réduction des inégalités (qui n’est pas la promotion de « l’égalité des chances ») et pour que des forces conservatrices, présentes dans les sou tiens de Macron ne prennent pas le dessus. Mais le jeu reste ouvert, et comme ce n’est pas un jeu, il faut bien sûr aller dans l’isoloir le 7 mai, avec un bulletin dans une main qui ne tremble pas…

Commentaire (1)

  1. Bicard

    Un article éclairant sur les questions de l’éducation dans le programme d’E.Macron très utile avant les élections législatives. Merci

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