Le débat Le Pen-Macron du 3 mai a été bien sûr une caricature de ce qui aurait pu être un échange d’arguments rationnels et étayés sur les politiques qui conviennent pour la France. On sait que cela a été un pugilat, dû au choix stratégique de la candidate d’extrême-droite : attaquer « l’homme des banques » et la créature des islamistes de l’UOIF.
Je ferai simplement trois remarques avant d’en venir à ce qui fait l’objet de ce billet
- il est un peu désolant que des commentateurs suite au débat, après avoir critiqué l’attitude de Marine Le Pen, brocardent néanmoins le ton « professoral » de E.Macron, comme si s’appuyer sur des données précises et tenter de faire preuve de pédagogie contre la démagogie était forcément « condescendant ». On peut ne pas partager son point de vue sur un certain nombre de questions économiques ou sociales, il faut cependant reconnaitre que ce point de vue s’appuie sur des arguments et des hypothèses qui ont leur rationalité. L’absence de chiffrage raisonnable par son adversaire fait partie de cet univers de « réalité alternative » qui déconsidère la politique. Quand « professeur » résonne comme une injure, ce n’est pas bon signe. Lu récemment dans Libé (4 mai) cette affirmation forte de Cynthia Fleury : « La « haine du logos » est un des leitmotivs du populisme qui accuse la culture d’être une maladie et les intellectuels des « hors-sol » parasitaires. Mais la résistance des intellectuels reste un des grands remparts contre cette désubstantialisation de la démocratie.». Au moins chez Macron ne lit-on pas ce mépris des « intellos » qui est une des choses les plus horripilantes que je connaisse (quand mes élèves le manifestaient, je m’emportai souvent !)
- le sujet de l’éducation a occupé un temps très bref. Heureusement pourrait-on dire, car ce qui a été énoncé était peu réjouissant. D’un côté, les diatribes (recopiées de Brighelli, un des inspirateurs de la « pensée » du FN sur l’école) contre la mise à mal de l’autorité du maître ou l’apologie de la « transmission » la
plus verticale possible. De l’autre, de bonnes intentions, mais la reprise de mesures qui n’ont parfois pas grand-chose à voir avec le louable objectif de mettre la priorité sur ceux qui « ne maîtrisent pas bien la lecture, l’écriture et le calcul » (quand se décidera-t-on à ne pas mettre le calcul sur le même plan que la lecture ?) : les classes bilangues, le latin-grec, les heures de français soi-disant perdues. Mais j’ai déjà exprimé ici mes réserves sur une politique éducative macronienne pas vraiment à la hauteur des enjeux, mais qui ne ferme pas le champ des possibles et nous permet d’éviter le pire de la « politique de terre brûlée » de Fillon ou Le Pen.. J’y reviens plus bas.
- la part considérable que jouent désormais les réseaux sociaux y compris sur la forme du débat, sur l’accompagnement qu’ils assurent des interventions des candidats, avec un avantage pour la « fachosphère » prompte à reprendre les calomnies, mais avec un versant positif bien sûr : les décodeurs, les parodies qui
brocardent les « pires moments » avec parfois de la lourdeur, mais aussi de l’imagination et de la créativité ;
Attendons donc le 7 mai et un futur billet post-élection…Venons-en à des considérations plus globales sur la lutte impitoyable qui est à mener entre les risques de « sommeil de la raison » qui engendre les monstres et le nécessaire réveil de ces Lumières qui restent un idéal indépassable, quand bien même elles doivent intégrer les affects, les émotions et les sentiments.
Par périodes, on a droit dans les médias ou sur les réseaux sociaux à un déferlement de « raisonnements » tordus, d’assertions assénées d’autant plus fort qu’elles sont aberrantes, mais aussi à des manifestations d’inculture historique ou sociologique, le tout dans un climat malsain parfois digne de procès staliniens. Je crois qu’en grande partie cela a été le cas lors des discussions autour de la réforme du collège. Mais à l’occasion de l’élection présidentielle, on a encore dépassé les limites. Je prendrai trois exemples : la critique des sondages et « des » médias dits officiels, les argumentations autour du vote blanc ou de l’abstention et les lectures tendancieuses de certains programmes éducatifs.
« On nous ment ! »
La grande paranoïa autour des médias qui nous mentent a pris des proportions gigantesques. Certes, il y a bien des critiques à faire à ces journaux qui mettent en « une » des horreurs et alimentent la peur de l ‘étranger, de l’islam ou la détestation des fonctionnaires, ou encore qui rabâchent à coup de Onfray-Finkielkraut que nous sommes en pleine décadence. Ce n’est pas nouveau, il y a trente ans, Le Figaro Magazine titrait en couverture que la France serait islamisée dans trois décennies, en s’appuyant sur des projetions démographiques fantaisistes. Certes, trop de reportages sont bâclés, superficiels et les chaînes d’info accentuent la médiocrité de l’information télévisée qui s’intéresse davantage aux selfies sur le parking d’une usine qu’aux débats de fond sur les reconversions nécessaires ou pas dans l’économie française. Certes, on aimerait que se taisent certains éditorialistes et que soient plus pugnaces certains intervieweurs. Néanmoins, comment ne pas louer le rôle de la presse, pas assez à mon goût mis en avant dans les classes, cette presse qui révèle des scandales (à changer le sort d’une élection peut-être), qui offre quand même la possibilité de vrais débats ? Je me souviens avoir été en Algérie travailler avec des enseignants, le lendemain d’un important débat télévisé français : mes interlocuteurs nous enviaient d’avoir ainsi cette possibilité d’échanges contradictoires. Et malgré tous ses défauts, le débat télévisé entre les candidats était d’un autre niveau qu’aux USA.
Et que dire de la critique si facile des sondages. Nous avons la chance de disposer d’instituts performants, et il semble bien que nous soyons bien meilleurs que dans bien d’autres pays. On peut être admiratifs de la précision de ces instituts qui se trompent assez peu finalement. On leur a opposé les « big data » , parfois commandés par « l’œil de Moscou » qui sont les supergrands perdants de ces élections (Macron quatrième la veille du premier tour pour ces organismes douteux !). Bien sûr, il y a une obsession de ces sondages, des surinterprétations, des analyses fausses (confusion entre photographie de l’opinion et prévisions), mais le cliché selon lequel « les sondages se trompent » n’est pas prêt de disparaitre. Il est vrai que les mêmes qui affirment cela sont les premiers à les mettre en avant lorsqu’ils correspondent à leurs vœux….
Je pense plus que jamais indispensable de mettre au cœur du socle commun de connaissances et compétences une vraie culture des statistiques. Dans les tests PISA, une épreuve avait été peu réussie (pas seulement en France) : il s’agissait d’établir une hiérarchisation de sondages quant à leur fiabilité en fonction de la taille de l’échantillon, de la représentativité des sondés, etc. Cela fait partie d’une « éducation aux Lumières » qui pourrait même nous faire considérer que nous sommes tellement moins menacés statistiquement par un attentat terroriste que par un accident de voiture (du moins pour ce qui concerne des actes limités, la vraie crainte étant plutôt le sabotage d’une centrale nucléaire par exemple). Quel usage sera fait ou non des statistiques, des sondages, c’est une autre histoire, mais arrêtons de parler de « mensonges des chiffres », car il n’y a que les hommes qui mentent ou pas…
Arguments douteux
J’ai beaucoup bataillé ces derniers jours sur les réseaux sociaux pour convaincre ici ou là d’aller voter le 7 mai (et pas pour Le Pen bien sûr !) Laissons ici de côté les arguments politiques, mais considérons les effets concrets du vote. Il y a ceux qui oublient que s’ils souhaitent une faible victoire du favori, cela signifie une défaite plus qu’honorable de son challenger et en l’occurrence, ça a une très grande importance. Il y a ceux qui feignent de penser que l’abstention est neutre, puisqu’elle n’enlève une voix à personne, ignorant le phénomène évident de l’abstention différenciée. Lorsqu’on est susceptible de voter pour un candidat, toute voix en moins pour lui est une augmentation du pourcentage de l’autre. On ne peut pas s’en laver les mains. Ne parlons même pas de l’incroyable argument qui consisterait, sous prétexte qu’on craint la victoire du Front national en 2022, à accepter qu’il gagne dès 2017. On peut toujours se suicider parce qu’on craint de mourir du cancer des années plus tard, certes… Autre supercherie intellectuelle : compter les voix de chaque candidat soit par rapport aux exprimés, soit par rapport aux inscrits, soit encore par rapport au potentiel d’électeurs, même non inscrits, selon qu’on veut vanter le score d’un candidat ou au contraire montrer sa faible représentativité.
Sur le plan scolaire, il me parait important d’étudier les phénomènes électoraux, y compris en montrant l’importance du système électoral choisi, ce que signifie la proportionnelle. L’éducation civique et morale ne doit surtout pas faire l’impasse sur la formation « politique » du futur citoyen. Il n’est pas sûr que ce soit toujours fait, dans un contexte d’un certain désengagement de trop d’enseignants.
Lire sans trop d’œillères
Beaucoup est dit sur les programmes électoraux des candidats. Certains journaux ont fait un travail comparatif très intéressant. J’ai pour ma part essayé de contribuer à ces analyses. Il est vrai qu’ils ne sont pas d’une grande richesse sur le plan de l’éducation, entre points de détail mis en avant de façon un peu dérisoire (port de l’uniforme, interdiction du téléphone portable…), délires nationalistes (la dynastie des Rois et la proscription des langues régionales) ou simples additions de promesses quantitatives.
Mais là où la raison s’éclipse, c’est lorsqu’on fait dire à ces programmes le contraire de ce qu’il y a dedans ou qu’on les qualifie de manière outrancière. Comment notamment peut-on qualifier le programme de Macron de « ultra-libéral » parce qu’il est question d’autonomie des établissements ? On peut être perplexe devant le flou du contenu de cette autonomie, on peut s’inquiéter de la faible place de l’exigence de mixité sociale, des ambigüités sur la possibilité de rétablir des parcours bilangues ou de latin-grec (choix de l’établissement ? dans quelles conditions ? avec quel pilotage ? et s’agit-il de rétablir des filières ?), mais pour autant un programme qui met l’accent sur des moyens supplémentaires en éducation prioritaire et qui donne de l’importance à une formation pédagogique des enseignants ne peut être réduit à une caricature. On a évoqué ici les zones d’ombre d’un tel programme et depuis je me suis aperçu que les propositions sur les réductions d’effectifs en REP étaient directement issues d’études de Bruno Suchaud et Picketty (lequel, par ailleurs, n’est pas en odeur de sainteté chez Macron !) qui ne sont pas forcément l’alpha et l’oméga. On ose espérer des discussions sur les moyens accordés, sur les orientations, mais proclamer avec suffisance qu’il s’agit là d’un programme abominable ou d’une grande pauvreté, quand par ailleurs on a prôné (programme de la France insoumise) la liquidation de la refondation et une grande marche arrière néo-jacobine, c’est là encore se moquer d’analyses nuancées et subtiles .
Mais soyons optimistes. Les trois candidats qui ont au premier tour plutôt joué sur les peurs, le grand retour en arrière, la nostalgie d’une France d’antan, etc. ont recueilli un peu moins de la moitié des suffrages. Gardons un optimisme qui ne soit pas seulement celui du coeur, mais aussi de la raison…
Good !
à 90 % à mon avis.
(Je cherchais la règle d’accord (jamais trouvée) pour l’expression « les lumières laissé/laissées allumées » et suis tombée sur votre page ! 0 regret)