Enseigner au XXI siècle

Le respect d’autrui, un des « savoirs fondamentaux » ?

Le ministre Blanquer, dont on est bien obligé de commenter les interventions tant elles sont nombreuses et pas toujours aussi limpides qu’il n’y parait de premier abord, vient d’ajouter au trop fameux triptyque lire-écrire-compter un quatrième terme : le respect d’autrui.
Cela n’est pas sans nous étonner. Les trois premiers verbes renvoient à des savoirs qui, certes, mériteraient d’être explicités quant au degré d’exigence que l’on demande (d’autant que « compter » est bien restrictif), mais sont bien des éléments qui ouvrent les portes et sans lesquelles il est difficile de bien « penser ». On pourrait ajouter « parler », mais là il faudrait encore davantage préciser le degré d’exigence, car tout le monde sait « parler ». Une fois qu’on a atteint un certain seuil, pour la vie, on sait lire, écrire, compter. Plutôt que de savoirs, d’ailleurs, il vaudrait mieux parler de « compétences » qui, comme toutes les compétences, mobilisent à le-respect-des-autresla fois des savoirs et des savoir-faire.

Mais « respecter autrui », ce n’est sûrement pas un « savoir », ni une compétence qui serait un jour « acquise » pour la vie. Il est très probable que l’école américaine où était Donald Trump lui a enseigné le respect d’autrui, mais qu’en est-il des dizaines d’années plus tard ? Il est vrai que dans son cas, on a même des doutes sur ses capacités en lecture ! (et en écriture, au-delà de 140 signes), mais c’est une autre histoire.

Le « respect d’autrui » ne décline pas en termes de « savoirs », même si bien sûr il est nécessaire de s’approprier des codes sociaux et culturels, ce qui n’est pas négligeable. Mais n’y a-t-il pas l’illusion, , que si on l’a bien « enseigné » ces codes , alors règnera le respect entre les élèves (et envers les adultes ?). On fera crédit au ministre de ne pas mettre au premier plan « le respect de l’autorité », mais pense-t-il à une des formes les plus riches de ce « respect mutuel » que sont la coopération, SI850680l’entraide, le travail collaboratif dans un projet commun.  Le mot « coopération » semble d’ailleurs avoir disparu du discours officiel.
Et qu’en est-il dans cet apprentissage du « respect d’autrui » de l’enseignement moral et civique qui le replace dans un contexte plus global. Le travaillera-t-on davantage que dans des leçons de morale inefficaces dans des débats autour de dilemmes ou d’études de cas. De même est-il intéressant de distinguer les aspects moraux du respect « social », avec une réflexion approfondie sur ce que signifie « respecter des règles » . Ce qui permet d’interroger les stéréotypes, les limites du « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse » qui ne s’accorde pas avec une vraie empathie qui cherche à comprendre les raisons de l’autre, et aussi  les réponses à des questions dérangeantes comme « doit-on respecter celui qui ne nous respecte pas ? » ou « ne doit-on respecter que ceux qui sont respectables ? »
valeurs-morales-protegor1De plus, que veut dire ce mot parfois très usité chez les jeunes, avec parfois le sens de « admiration, coup de chapeau » et qui peut conduire à saluer des actes abominables (respect pour les kamikazes ? ou sans aller si loin, pour le « caïd » local) ? S’agit-il de savoir écouter les autres, d’accepter les différences, de savoir suivre les règles d’un débat démocratique ? Le respect peut être très formel et se transformer en vague tolérance (« chacun fait ce qui lui plait, et tout est respectable) ou se réduire à la politesse et la civilité. L’un des points forts à développer serait sans doute que le respect se distingue de la sympathie qu’on peut avoir pour tel ou tel et que les élèves comprennent qu’on n’est pas obligé de s’aimer pour collaborer ensemble.

Entendons-nous bien. Je n’ai rien contre l’utilisation de l’expression compréhensible par tous de « respect d’autrui », elle a aussi l’avantage de pointer les aspects éducatifs de l’école, alors même que certains, amis autrefois de M. Blanquer, clamaient à hauts cris que l’éducation était l’affaire des parents et l’instruction de l’école.  Mais il est étrange de la placer dans ces « fondamentaux » au même titre que les « éléments » qui permettent un déploiement de tous les savoirs, comme il est regrettable d’ailleurs de sembler ainsi évacuer ce que Jules Ferry qualifiait de « faux accessoire » et de « vrai essentiel », à savoir l’éducation artistique, scientifique ou corporelle. Il y aurait en tout cas à s’interroger sur les différentes composantes du « savoir de base » au lieu de s’en tenir à des formules un peu paresseuses, de même qu’il s’agit bien de travailler, en formation notamment, sur ces notions faussement évidentes : respect donc, mais aussi bienveillance, vivre-ensemble, socialisation, etc.

La pensée complexe, comme dirait le président…

A écouter, « au nom de quoi respecter autrui ? », sujet de bac, commenté, ici. Raphaël Enthoven et son interlocutrice prof de philo décortiquent le concept.  Le sens est faible lorsqu’on est du côté d’un respect superficiel : respecter les lieux, suivre un règlement, et fort lorsqu’on va à la rencontre de l’autre

 

 

Commentaires (4)

  1. jean claude BIXIO

    Simplement, c’est trop facile de critiquer!! en fait le mieux c’est d’être partie prenante!
    et encourager de telle mesures! néanmoins vous pouvez ajouter le plus pour le bien de tous! et si ce Premier pas vous parait insuffisant, aidez!!!

  2. Pingback: Colchique23 | Pearltrees

  3. Paula

    Oui, le respect d’autrui est une des fameuses « compétences transversales » que l’Education Nationale entend développer, tout comme la créativité d’ailleurs. Elle se travaille en EMC mais aussi dans d’autres cours, par le travail collaboratif ou l’apprentissage des débats par exemple.

    C’est comme la bientraitance, ça fait 15 ans qu’on parle de l’appliquer à l’école et il est temps que ça se fasse sérieusement.

  4. B. Girard

    Cette dernière compétence qui revient effectivement en boucle dans les propos de Blanquer n’est pas seulement ridicule. Chez le ministre, elle fait sens, elle est signifiante : le manque de respect manifesté par les adultes dans leur vie quotidienne, dans leur rapport aux autres et au monde, ne peut s’expliquer que parce que, petits, on ne leur a pas enseigné le respect, parce que les instits n’ont pas fait leur boulot. Une façon habituelle de faire porter sur l’enfance le poids de tous les dysfonctionnements du monde des adultes. Blanquer devrait lire Korczak.

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