Enseigner au XXI siècle

Arts et culture à l’école : assez de lyrisme de bazar et de désinformation !

Depuis combien d’années entend-on des discours médiatiques ou politiques déplorant l’insuffisante formation aux arts et à la culture à l’école ? Depuis combien de temps est-on abreuvé de ces envolées lyriques vantant l’importance des arts et de la culture à l’école, et dans la société, qui nous sauveraient de la barbarie et de la régression ? Avec chaque fois de belles résolutions : enfin, on va réhabiliter et redonner toute leur place aux arts et à la culture, enfin on va rapprocher le monde de la culture et l’éducation nationale… Récemment, j’ai vu un débat télévisé qui m’a irrité quand il a été question de ce sujet, dans la pourtant bonne émission « On va plus loin » de Public Sénat. L’animateur de la discussion (du jeudi 20 juillet) a affirmé que l’éducation artistique et culturelle était en déshérence depuis longtemps et qu’on attendait vraiment du nouveau avec la ministre de la Culture, Françoise Nyssen. Une consultante culturelle, Julie Sauret, tout en disant des choses intéressantes par ailleurs, proposait d’abandonner l’usage de la flûte au collège, ignorant que c’était le cas depuis nombre d’années. Aucune allusion à tout ce qui a pu se faire depuis l’instauration de l’Histoire des arts, une des rares innovations progressistes des ministères de l’éducation sarkozystes, jusqu’à la mise en place, certes trop timide, du PEAC (parcours d’éducation artistique et culturelle) et surtout l’élaboration de nouveaux programmes qui redonnent une place importante à cet enseignement, dans le cadre d’un socle commun auquel on a rajouté le complément « culture » à « de connaissances et de compétnces ». Pour avoir participé aux travaux sur les programmes de collège, j’ai vu combien on a été soucieux de traduire les intentions de ce nouveau socle commun en actions, en mettant en avant en particulier la pratique et pas seulement les savoirs (bien sûr indispensables), puisque un des verbes clés du PEAC sont outre connaitre et rencontrer (des œuvres) : celui de « créer », de « pratiquer ».

Il est pénible de constater que l’on parle beaucoup de ces sujets sans connaitre vraiment les réalités du terrain. Ce qui est certain, en revanche, c’est la menace réelle qui pèse sur les projets culturels dès lors qu’il est question de « fondamentaux ». Le ministre de l’éducation a beau déclarer qu’il n’est pas question de diminuer la place des enseignements artistiques, mais qu’est-ce que cela veut dire quand on semble prôner une multiplication des heures de français et de maths à l’école primaire, alors même que les français battent déjà tous les EACrecords de durée en ce domaine ? On se souvient que sous Darcos, l’instauration de l’accompagnement pédagogique en dehors des cours s’était souvent fait au détriment des projets culturels. Récemment d’ailleurs, l’excellent Robin Renucci a lancé une alarme : « de nombreux tenants des fondamentaux la dédaignent car ils omettent que la faculté de dire, de ressentir, de se situer par rapport aux autres et vis-à-vis du monde fait partie du socle de connaissances, de compétences et d’aptitudes sur lequel un jeune doit s’appuyer pour s’orienter, au même titre que lire, écrire et compter. D’autre part, au nom de l’indispensable transmission des savoirs, les défenseurs de l’histoire des arts sous-estiment l’importance des ateliers au cours desquels les élèves éprouvent de manière sensible les langages de ces arts en commençant par s’y initier. »

Ce qui est souvent oublié, c’est que les enseignements artistiques ne doivent pas être une cerise sur le gâteau, un supplément d’âme ou un luxe, mais bien une part constituante de ce fameux socle commun, si tristement réduit à un kit de survie dans passerelleles discours de certains qui en ignorent le contenu, riche et exigeant.  Ce qui est oublié, c’est l’idée qu’on puisse acquérir des compétences essentielles par la pratique artistique et par la fréquentation des grandes œuvres : argumenter, observer sous différents angles, comprendre l’autre, raisonner… Mais ceci ne se fait pas tout seul. La musique peut faire entrer dans les mathématiques ou dans la pratique orale des langues étrangères, le théâtre est un puissant moyen d’acquérir des connaissances par le jeu dramatique, y compris des connaissances scientifiques, le travail sur l’image peut accompagner de façon très féconde le travail sur le lire-écrire (depuis les albums en maternelle jusqu’au roman graphique en collège). Mais il est clair qu’il faut abandonner tout discours éthéré et creux au profit d’une stratégie multiforme faite de convictions, mais aussi de « ruses pédagogiques », de construction de passerelles entre formes populaires et formes « légitimes » . Tout cela demande une formation et un travail d’équipe.Les musées aujourd’hui, certains artistes ou animateurs médiatiques (que l’on pense à JF Zygel par exemple) l’ont bien comprise et sont parfois en avance sur le monde scolaire.  Les EPI ont été également une formidable occasion de relier arts et culture à des réalités quotidiennes ou à des activités humaines que les élèves croient éloignées alors qu’elles ne le sont pas. Et c’est ainsi que les instruments de musique peuvent aussi être abordés sous l’angle de la technologie ou que les modes de communication actuels peuvent être resitués dans une histoire longue, à travers des projets interdisciplinaires.

Avec l’enseignement de l’histoire des Arts, évoquée plus haut, on a déjà eu un « frémissement » intéressant et on a ainsi vu se constituer un ensemble commun à de multiples établissements autour de Guernica ou des grands édifices du patrimoine mondial. Tout n’a pas été parfait. Il a fallu se battre d’abord sur le déterminant « histoire de l’art » ou « histoire des arts ». Le pluriel a autorisé l’introduction d’une grande diversité de pratiques, parfois mal contrôlée c’est vrai (lorsque les élèves faisaient des exposés sur des chanteurs à la mode ou sur des affiches peu artistiques), mais c’était l’écume. Et il a fallu mettre à sa juste place la notion d’ « histoire » au profit de « arts » : interroger un élève sur le sacre de Napoléon par David ne devait pas être l’occasion de rappeler ce qu’il sait sur l’Empereur, mais plutôt de décrire un tableau « officiel », morceau d’art de propagande. L’idée de carnet de découvertes culturelles (mieux en numérique) permet aussi de capitaliser ses expériences scolaires (et pourquoi pas extra-scolaires ?) en la matière.

Les pratiques prônées par la réforme du collège voulue par le précédent ministère avaient pour but de relier justement toutes sortes de formes culturelles. Cela implique souvent ingéniosité, formation à la créativité et à l’invention de dispositifs et un travail en équipe, qui donnent sens au métier lorsque des professeurs se lancent dans des aventures où ils apprennent bien souvent avec les élèves. J’ai été amené plusieurs fois à faire mille découvertes en travaillant par exemple sur des représentations artistiques très diverses du soleil et de la lune dans un projet commun français-sciences physiques, ce qui est toujours stimulant et excitant intellectuellement. De tout cela, on parle trop peu, et on préfère se gausser de quelques dérives ou fustiger des maladresses, avec quelques fake news en caahier eacsupplément (le fameux EPI sur le régime alimentaire de madame Bovary, qui n’a jamais existé que sous la forme d’une demi-boutade lors d’un exposé en formation).  Pourquoi ne met-on pas plus en avant le travail formidable qui est mené dans beaucoup de classes, avec ou sans partenaires, la grande qualité de certains spectacles ou expositions d’élèves ? Comment peut-on désinformer à ce point quand on prétend que le rap ou l’improvisation à la Djamel Debbouze (au demeurant des pratiques qui, contextualités, se défendent) envahissent les classes ? Comment ne pas trouver comique Natacha Polony, qui dans une chronique racontait son exploit d’avoir fait étudier Ronsard en lycée (dans sa brève expérience de professeure) alors même que la plupart des enseignants de français, dans le cadre d’un travail sur la poésie lyrique le font fréquemment, quitte à trouver des formes vivantes et dynamiques, en faisant notamment écrire des sonnets à des élèves qui sont beaucoup moins rétifs à cela qu’il n’y parait (je me souviens d’un travail de ce genre avec une quatrième particulièrement difficile) En tête du palmarès des auteurs étudiés au collège, on trouve toujours Maupassant, Molière, Hugo, ce qui n’empêche pas la coexistence avec la littérature jeunesse qui est souvent un bon passeur pour aller vers des œuvres d’accès plus difficile.

Si je compare avec l’enseignement souvent terne que j’ai reçu, avec une très faible proportion d’activités culturelles et encore moins de productions, je mesure les progrès. Je sais bien qu’il ne s’agit que d’une expérience personnelle dans un petit collège puis un petit lycée de milieu rural, mais je ne suis pas sûr qu’elle était unique (je parle d’un temps antérieur à mai 68)

epiReste qu’il faudrait aller bien plus loin qu’aujourd’hui et par exemple développer les activités culturelles et artistiques au sein même de la formation des enseignants (en valorisant très concrètement les pratiques, car il est difficile de lancer des élèves dans des productions quand on en est éloigné soi-même, difficile par exemple de mettre en place des ateliers d’écriture quand on n’a jamais participé à ce genre de dispositif, etc. Mais surtout, il faudrait cesser d’isoler les moments culturels de l’ordinaire de l’apprentissage. J’ai connu des collègues-Janus : une face hypertraditionnaliste avec règne du magistral et des exercices en veux-tu en voilà, et une face créative souvent à la marge, dans des ateliers ou clubs en dehors des cours. Dans son dernier livre, Empathie et manipulations, dont je conseille la lecture, Serge Tisseron montre combien  sont fécondes les activités culturelles à l’école si on veut développer la « bonne empathie ». Ainsi la fréquentation d’œuvres est essentielle si on sait combiner trois moments : la contemplation, l’expression personnelle, puis l’échange (voir pages 136-137), mais Tisseron insiste aussi sur l’intérêt de la pédagogie de projet  et la coexistence nécessaire du cognitif et de l’émotionnel.

Le président de la République a déclaré dans sa campagne son attachement à la culture. Mais il y a risque de grand écart entre la présence de la Pléiade sur la photo officielle et une insistance  suspecte sur les « fondamentaux » qui pourrait contribuer à écarter l’idée de culture pour tous dès les premiers apprentissages, entre une image passéiste de la Culture et un culte des start up et des nouvelles technologies . Bien au contraire, il faudrait, me semble-t-il, proposer des articulations entre ces composantes d’une vraie culture du présent qui ne soit pas ennemie ou oublieuse du passé, mais pas non plus prisonnière de celui-ci. L’accueil en musique à la rentrée, la distribution de La Fontaine aux enfants des écoles ou les déclarations de principe ne suffiront pas…

Commentaires (3)

  1. Pingback: Inlassablement, répondre aux mensonges et désinformations… | Enseigner au XXI siècle

  2. Thierse

    Témoignage

    1990 : Mon épouse : – pourquoi tu lui a dessiné un long cou ?
    Ma fille (3ans 1/2) : – mais c’est comme ça, maman un Modigliani !

    Culture … mais aussi assez de place en lycée pour les apprentissages en Arts Appliqués (AA) … N’ayant pas eu de place parmi les 20 sur une grande ville du Grand Est, elle fit un bac S … puis une année de mise à niveau en AA, puis connu un boulanger et géra 10 ans une boulangerie, puis revient à ces « premières amours », mode, design, couture, mais un stage ANPE plus tard dans un magasin de robes de mariée sur mesure … elle se prend à rêver qu’elle aura un CDI comme son conjoint pour préparer l’avenir, enfants …

    Mon fils bac S, prépa histoire de l’Art dans une autre grande ville universitaire Grand Est, … Master HA (master 1 Littérature) …quelques années et bibliothèque. Son amie Ecole du Louvre … et espère un job …

    Passerelle, belle passerelle serez-vous là !!

  3. Delphine

    Merci pour ces quelques lignes. Je me demandais si j’étais la seule à penser tout cela…je suis professeur des écoles et j suis très inquiète des discours de notre nouveau ministre et des mesures éventuelles.
    Encore une fois je vous remercie.

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