Enseigner au XXI siècle

A propos de l’écriture soi-disant « inclusive »

D’abord, on pourrait largement contester ce terme d’ « inclusif » appliqué à cet étrange « e » encadré par deux points. Au fond, le « ils » neutre désignant aussi bien les garçons que les filles dans « les élèves ont été intéressés » n’est-il pas plus inclusif ?  En quoi devoir écrire « les élèves de cette classe sont vifs/vives » est-il davantage « inclusif » quand il faut deux termes au lieu d’un pour désigner la même réalité.

Sur le fond, je suis un farouche adversaire de cette complication, qui n’est pas de la complexification, et qui va à l’encontre de ce qu’on pourrait appeler le « génie de la langue » qui penche vers la simplification, la facilitation de lecture ou d’écriture. Quand on plaide pour une diminution des accents circonflexes ou une réduction drastique des trémas, voire, ô crime de lèse-orthographe, une simplification radicale des accords des participes passés, comment pourrait-on défendre un mode d’écriture qui d’une part va ralentir le rythme d’écriture, va gêner la lecture et d’autre part éloigne l’écrit de l’oral (« les parisien.ne.s –où mettre le second « n » ?- à l’écrit, parisiens/parisiennes à l’oral) ?

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plaidoyer pour l’écriture dite inclusive, ceux qui sont contre étant forcément des académiciens grincheux (https://www.google.fr/search?q=%C3%A9criture+inclusive&newwindow=1&client=firefox-b&dcr=0&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwig08uctfjWAhWEY1AKHfV9AGwQ_AUICygC&biw=1024&bih=458#imgrc=0Xerw7NTRuKOBM

Il y a plus. Sous prétexte de défendre les droits des femmes, on succombe à une idéologie aberrante de la langue, qui serait productrice de la pensée et qu’il faudrait corriger. Je ne reprendrai pas le mot « novlangue » car on accommode Orwell à toutes les sauces et je pense qu’il faut laisser ce mot au langage totalitaire.  J’évoquerai plutôt ce linguiste russe Marr qui voulait supprimer du langage des expressions comme « lever du soleil » qui révélaient des croyances ancestrales, en contradiction avec les idées nouvelles de l’Union soviétique, comme les révolutionnaires français voulurent abolir un calendrier jugé archaïque. Il est amusant de noter que Marr fut critiqué par Staline qui pour une fois avait raison, même si son intervention avait des arrière-pensées, mais c’est une autre histoire !  Vieille idéologie qui surestime l’influence du langage sur la pensée. Du moins de la langue, et en particulier de la syntaxe, ce qui n’a rien à voir avec le « discours », l’emploi de mots péjoratifs, etc. Il n’est pas sûr que des langues qui n’ont pas besoin de distinguer masculin et féminin par exemple dans les adjectifs soient plus favorables au féminisme !

Utiliser des mots du genre féminin pour désigner des métiers est tout autre chose. Cela existe déjà dans la langue, et utiliser, ce que je fais, le mot « auteure » ou parler de « la rectrice »  n’est pas en contradiction avec une langue qui inclut « boulangère » ou « enseignante ».

Il y a mille combats à mener pour l’égalité hommes-femmes. Je suis à fond pour la parité, j’essaie lorsqu’on organise un colloque de viser cette parité dans les tables rondes, je fais souvent remarquer dans des échanges d’un amphi après une conférence que, même très minoritaires, ce sont les hommes qui parlent en premier, etc. Tout cela n’a rien à voir avec le combat que je trouve dérisoire et absurde en faveur du petit e perdu entre deux points.

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le premier manuel en écriture dite inclusive

Je déplore que bien des amis utilisent ce nouveau mode d’écriture : syndicalistes, pédagogues de l’éducation nouvelle. Je suis bien content de faire partie d’une revue, les Cahiers pédagogiques, qui ne transige pas là-dessus, quitte parfois à se fâcher un peu avec certains auteurs. Je déplore que la presse réactionnaire s’embarque dans ce combat contre en laissant penser que ceux qu’elle appelle « les pédagogistes » (mais je ne sais pas de qui il s’agit, je réfute cette expression) sont tous pour l’écriture dite inclusive. Récemment le ministre s’est élevé contre. Je l’approuve mais déplore qu’à l’occasion, il nous mette une couche de « retour aux fondamentaux » (c’est une sorte d’obsession, mais ici ça n’a rien à voir avec « la grammaire et le vocabulaire »)

Je n’utiliserai pas l’argument de l’accroissement des difficultés pour les élèves, car si vraiment cette réforme était utile, on pourrait l’accepter, si les bénéfices étaient supérieurs aux coûts. Mais il me parait tellement plus important de mener le combat sur d’autres terrains.
mots nuageEn revanche, j’imagine l’énergie inutile dépensée à faire attention (l’attention denrée rare, à ne pas gaspiller) à ce qu’on écrit. Et à l’oral, je serai pour qu’on arrête le « celles et ceux » utilisé au plus haut niveau de l’État. Le « ceux » est neutre, inclusif, pas besoin de ce fatigant redoublement qui n’apporte rien.  Non, décidément, rien ne me semble justifier de tels efforts qui détournent de l’essentiel et nous conduisent à de vaines guéguerres.

D’ici que nos amis ‘antispécistes » réclament aussi qu’on pratique l’écriture inclusive pour les chat.te.s ou les chien.ne.s (rien qu’écrire ces deux mots a ralenti mon rythme d’écriture). On s’habituera, nous disent les partisans de la réforme. Oui, on peut s’habituer à écrire « évènement » ou ‘interpeler » quand on a appris autrement, mais il s’agit là de rationalisations et de simplifications. On ne s’habitue par à écrire correctement ambigu/ambiguë ou de mettre un accent circonflexe qui nous oblige à aller chercher loin sur le clavier un petit signe la plupart du temps inutile.

Sur ce sujet, comme sur d’autres, on est loin des « deux camps » et de la logique binaire. Et ce n’est pas parce qu’ on ne trouvera guère de partisans de l’écriture dite inclusive chez les plus réactionnaires, ce n’est pas parce que certains poussent le ridicule jusqu’à vouloir l’interdire dans des manuels scolaires, comme ce député Aubert qui ignore qu’il n’y a pas d’imprimatur ou de labellisation des manuels par l’État, ce n’est pas parce que beaucoup sincèrement pensent que c’est partie intégrante  d’un combat noble et juste et que le féminisme vaut mieux l’effort du .e. que j’ai pour autant la moindre réticence à mener avec des linguistes, des pédagogues et de multiples personnes qui manient l’écrit quotidiennement, une lutte convaincue contre la montée d’une aberration syntaxique. Laissons tranquille le « e » sans le mettre entre deux points, il a mieux à faire….

Commentaires (5)

  1. Natacha

    Je vous remercie de « mener avec des linguistes, des pédagogues et de multiples personnes qui manient l’écrit quotidiennement, une lutte convaincue contre la montée d’une aberration syntaxique ». Je m’inquiète de cette utilisation du point médian que l’on retrouve de plus en plus dans les communications des professionnels de l’éducation. Alors que jusqu’ici marginal, le point médian fleurit quotidiennement désormais dans des messages, des écrits émanant d’enseignants. Un peu comme si la communication du ministre de l’éducation avait produit l’effet inverse, toutes ces personnes se voyant, par opposition, comme porte-parole d’une vision progressiste de la société. S’il on n’est pas pour l’écriture inclusive, on est étiqueté conservateur….

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  3. Philippe

    Merci pour ce billet tout à fait équilibré. Les partisans de l’écriture inclusive se trompent en effet de combat, au risque de provoquer le rejet d’autres causes beaucoup plus importantes comme la lutte contre le plafond de verre ou pour l’égalité salariale.
    Votre argument sur les complications de lecture est tout à fait pertinent, à une époque où précisément la fluidité de la lecture est un vrai problème à l’école.

  4. Fabien

    Merci pour ce plaidoyer d’une juste inclusion et non d’une inclusion exagérée et donc sans grand fondement. Personnellement, j’ai bien la règle de l’accord au dernier nommé : « Les hommes et les femmes sont placées », « Les femmes et les hommes sont placés » qui elle contredit le sens du premier énoncé. Si un homme met toujours les hommes en premier alors ce sont les femmes qui emporteront le genre et l’inverse est vrai ! Qui plus est cela ne surcharge pas la langue d’inutile signe de genre qui, comme le rappelle à juste escient ce document, ne sont pas utiles. De la même manière en réaction au « Egalité Homme-Femme » devenu systématiquement « Egalité Femme-Homme », il faudrait peut être, pour l’égalité, redonner du sens au placement libre ! Ni tout le temps l’un, ni tout le temps l’autre car c’est la systématisation qui crée la stigmatisation…

  5. Jean-Charles Léon

    Merci Jean-Michel, pour ce texte sur un point qui n’inclut rien, et qui ne règle rien. Les <> n’empechent Pas le masculin de l’emporter sur le féminin, le genre noble de prendre le pas sur l’autre (évidemment, je ne fais que citer ce qu,on m’a appris, ou ce qu’on disait au 16e siècle). C’est toujours l’homme qu’on met devant ! Et puis, que fait on de la vigie ! Il faudrait donc, dans ce cas, masculiniser ? Mais plus grave pour moi, ce point construit non pas une inclusion, mais bel et bien une rupture, une dissociation dans le groupe, un trou dans l’ecrit Qui sépare au lieu de distinguer.
    D’autres solutions pourraient exister, apparaître, si on y réfléchissait, permettant au sujet, qu’il soit femme ou homme, d’exister dans le groupe. Malheureusement, on n’en prend pas le chemin.

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