Enseigner au XXI siècle

Biennale de l’éducation nouvelle : le plein d’énergie !

Jean-Zay-le-ministre-aaine

le beau livre de Antoine Prost et Pascal Orry (présent à la BIennale)

Le 5 novembre matin, au moment où la fille de Jean Zay remettait aux organisateurs le prix des Amis de cette grande figure de l’histoire de France, désormais panthéonisé, on a su que l’expression « Biennale de l’éducation nouvelle » aurait un sens. Car comment ne pas se donner rendez-vous dans deux ans pour une seconde Biennale et viser même, à l’invitation de Philippe Meirieu, à une troisième pour célébrer les cahier ed nouvellecent ans de cette « Education nouvelle » ancienne et toujours nouvelle ?

Quatre jours de débats, d’échanges, de conférences, de présentation d’expériences (plus de 50), de tables rondes, avec le plein de participants (près de 300 en tout), ce fut un beau succès.

Je renvoie au site de la Biennale pour en savoir plus.
Je voudrais ici plutôt retenir quelques « flashes » de ces jours intenses à Poitiers.

conférence biennaleDans son intervention finale, Meirieu, grand témoin de la Biennale, a développé de façon provocatrice l’idée que l’Education nouvelle devait s’opposer au grand laxisme qui règne dans l’institution et qui est alimentée par ceux qui se prétendent ennemis du laxisme et partisans d’une soi-disant « autorité » et de la « transmission des savoirs ». Et je partage son point de vue. Moins que jamais, les pédagogues ne doivent pas laisser le terrain des savoirs et de la rigueur à ceux qui les dénigrent. Parfois, on aurait l’impression que s’opposent ceux qui défendraient les savoirs (ou plutôt le Savoir) et ceux qui s’intéresseraient plus à « John » qu’à ce qu’apprend John (pour reprendre la formule célèbre). Or, ce n’est pas le cas. La vraie transmission des savoirs, des valeurs démocratiques, des idéaux de la République, exige de la pédagogie, avec ses « ruses », ses dispositifs parfois très « contraignants » (la contrainte qui libère), sa vigilance face aux dérives, effets pervers, dangers. Elle exige aussi une posture des enseignants qui concilie sans cesse l’exigence et la bienveillance (qu’on peut traduire, si on préfère, par « sollicitude » comme l’a fait remarquer Gwenola Reto lors d’une table ronde). Le laxisme, c’est justement de ne pas se préoccuper des conditions de « transmissibilité » si on peut dire, de penser qu’il suffit d’enseigner pour que les élèves apprennent, d’édicter des règles pour qu’elles soient respectées, de s’en remettre aux sanctions pour croire que cela permette de faire émerger une vraie autorité, qui n’est pas « pouvoir sur » et implique avant tout la responsabilité.

Seconde idée : l’importance de savoir se remettre en question. Je ne suis pas sûr que tous les militants de l’éducation nouvelle partagent cette conviction qu’il n’y a pas de recette magique, pas plus la coopération que l’interdisciplinarité ou le débat scientifique ou philosophique. Il reste encore des traces de dogmatisme et de suffisance, mais je pense que c’est de plus en plus minoritaire. Ainsi, j’ai pu apprécier l’humilité des représentants d’établissements innovants, qui appartiennent à la FESPI, exposant le travail passionnant qui peut se faire (la création de modules d’épistémologie au CLEPT de Grenoble par exemple) sans taire la difficulté, sans éluder les interrogations, en laissant entrevoir des évolutions futures. Il y a quelques années (au XX° siècle), j’avais été parfois frappé par l’arrogance de certains militants qui en plus méprisaient ce qui se faisait dans l’enseignement ordinaire, si pauvre, pensaient certains d’entre eux,  par rapport à ce que, eux, faisaient… On en est loin et c’est vraiment mille fois tant mieux. Chaque fois qu’il y a doute, acceptation de l’interpellation, on est sur le bon chemin. Je sais bien que cela expose aussi aux ricanements imbéciles : vous voyez bien, ça ne marche pas si bien que ça. Je sais bien qu’on demande toujours des comptes à ceux qui innovent et pas tellement à ceux qui reproduisent l’existant, mais il faut relever ce défi. Non, exposer ses doutes, qui est au cœur de la démarche scientifique, ne nous affaiblit pas si en contrepartie, on ose aussi évoquer ses réussites, en laissant de côté une modestie paralysante : oui, il faut communiquer, dans les médias, sur les réseaux sociaux, oui, il faut intervenir dans le débat public. Tant pis si ça prend du temps et de l’énergie, c’est indispensable.  Et puis on ne réagira pas de la même façon dans un débat avec des gens de mauvaise foi avec qui il ne faut pas être masochistes en se battant la coulpe (d’ailleurs, il ne s’agit pas de cela) et dans une discussion permettant  une avancée commune, où les doutes ont toute leur place dans la mesure où ils incitent à aller plus loin et à corriger ce qui ne va pas.

Troisième idée : il est possible de mettre au bon endroit le curseur entre unité et diversité, entre accueil à des approches plurielles et manque de rigueur conceptuelle, entre affirmation de valeurs et pragmatisme. En effet, ce travail en commun de six mouvements pédagogiques et d’éducation populaire prouve biennalequ’on peut très bien ne pas être en accord sur tout (qu’on pense aux positions différentes de ces mouvements sur la réforme du collège de l’ancienne ministre, sur l’autonomie des établissements, sur la réalité ou non de certains handicaps comme la dyslexie, sur l’idée de « construction des savoirs », sur le socle commun, sans oublier la question de la relation au monde politique), différentes ne voulant pas forcément dire « divergentes », et en même temps partager tant de valeurs communes, les distinctions se faisant davantage sur les stratégies que sur les finalités.  Et d’ailleurs bien des différences d’approches peuvent traverser les mouvements eux-mêmes. Qu’on pense par exemple aux débats au sein du mouvement auquel je participe, le CRAP-Cahiers pédagogiques sur les compétences ou sur la place des neurosciences. Pour ma part, je plaide pour les débats, sans tabous, sans exclusions. Oui, je suis hostile  à l’écriture dite inclusive prônée par d’autres mouvements. Oui, je déplore certains jugements à l’emporte-pièce sur la classe inversée ou sur l’apprentissage de la lecture (quand on semble oublier l’importance d’un enseignement systématique du codage). Oui, je peux être agacé par le refus absolu du cours magistral ou sur la mise en avant de la recherche documentaire par les élèves eux-mêmes, comme un dogme (alors que cela dépend des contextes). Je fais allusion là à des choses perçues pendant cette Biennale. Mais tout cela ne doit pas faire oublier tout ce qui unit les pédagogues : leur volonté de faire toute leur place aux enfants et aux jeunes tels qu’ils sont et tels qu’on peut les aider à advenir, de faire réussir chacun et tous, de placer très haut l’égalité, sans que celle-ci soit en opposition à la liberté (de penser, de faire des choix, d’agir) et en n’oubliant surtout pas la fraternité, si importante pour les tenants de l’éducation nouvelle. Je pense possible en fait de tenter des synthèses où se conjuguent par exemple les apports de la sociologie et la nécessaire approche psychologique, la prise en compte des évaluations internationales qui nous donnent des enseignements précieux et leur relativisation, l’intérêt qui doit être grandissant pour les neurosciences et la lutte contre les dérives applicationnistes, le pragmatisme dans les relations avec le monde politique (pas de brevet de « pureté idéologique » pour entrer dans le monde des pédagos, surtout pas !) et le culte de l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs, la résistance à toute tentation d’instrumentalisation.  Un de nos ennemis reste le purisme, aussi dangereux que l’opportunisme et la démagogie.

Les quolibets de nos adversaires ne manqueront pas, forts de dénoncer ces « pédagogistes » qui osent récupérer de nobles idées pour mieux nous manipuler, tantôt diables, tantôt « idiots utiles » soit du « libéralisme » soit de la barbarie qui détruit notre culture. Et à travers les tweets haineux dénonçant un monde de bisounours jargonneux qui au lieu de corriger leurs copies (quelle vision réductrice du métier d’enseignants !) gaspillent leurs vacances sous un flot de paroles vaines et de témoignages sur leurs expériences d’apprentis-sorciers, qui dilapident les fonds publics (les quelques aides fournis par la dynamique ville de Poitiers ou de la Région Grande Aquitaine, dans le cadre de leurs investissement fort dans le domaine de l’éducation) et ont réussi par des ruses machiavéliques à avoir le « haut patronage du Ministère »…Laissons-les à leur hargne ricanante, à leurs fantasmes quasi –complotistes et à leurs curieuses alliances intellectuelles et politiques autour d’un supposé  ennemi commun. Plaignons-les peut-être, en reprenant dans un autre sens la formule de Meirieu « je m’aigris, donc je suis »…
Je préfère tellement garder dans mes souvenirs l’émouvante remise du prix Jean Zay évoqué plus haut et la standing ovation pour la formidable équipe locale des imagesCEMEA qui a si bien organisé ces journées alliant professionnalisme et convivialité (on pouvait aussi déguster le chèvre du Poitou ou le tourteau fromager, assister à des spectacles ou faire une visite nocturne d’une ville au riche passé.  Et être ému par ce bouillonnement intellectuel, par l’écho de mille efforts faits dans les classes, de la maternelle au lycée, en éducation prioritaire comme en centre ville ou dans des petites unités rurales pour faire vivre vraiment l’aventure de l’éducation nouvelle, qui est tout simplement celle de donner un peu plus de bonheur d’apprendre, de chercher, de cheminer ensemble sur les routes du savoir et de la culture.

Commentaire (1)

  1. Home Theatre Price in Nigeria

    It’s nice post.

    Thanks

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