Enseigner au XXI siècle

Promouvoir l’impôt à l’école…

Le plus indécent pour qui a suivi les révélations des Paradises papers, c’est sans doute les réactions de quelques politiciens ou personnalités médiatiques qui osent dire que « l’optimisation » est à mettre sur le même plan que le petit contribuable qui cherche à déduire de ses impôts ce que la Loi lui permet de faire (isolation, dons à des œuvres, ou que sais-je encore ?) C’est bien connu, qui vole un œuf vole un paadisbœuf, n’est-ce pas ?  C’est si facile d’amalgamer des comportements qui n’ont rien à voir pour cautionner l’inacceptable.  Mais l’autre argument de défense de ceux qui, sans être forcément des escrocs, sont souvent à la limite qu’ils ne dépassent pas à coups de millions payés à leurs avocats, c’est l’idée qu’on a bien raison de défendre son avoir face à l’État. L’État, ce mal absolu, qui « nous pique tout » à partir de fin juin en France, dit-on. Par ailleurs, on est enfermé dans une opposition binaire entre légal et moral, en oubliant la dimension « civique ». L’oubli de cette dimension par certains ( on a bien raison de profiter des failles de la Loi, on a bien raison de penser d’abord à ses propres intérêts, peu importe ces valeurs suranées d’équité et de fraternité…) révèle un effrayant cynisme.

Mais que fait-on vraiment pour défendre l’idée de contributions ? Toute taxe semble vouloir nourrir les « caisses de l’État », comme si cet argent ne servait pas aussi à construire des routes, des écoles, à assurer la sécurité sur les routes et à combattre le terrorisme. Certes, on peut critiquer la répartition, l’utilisation, la gestion de ces retenues fiscales, on peut aussi trouver certaines taxes inopportunes ou la charge fiscale trop forte pour certains, mais là n’est pas le problème. Un grand acteur anti-impôts n’a-t-il pas été sauvé de la mort grâce à un système d’urgences bien organisé, mais qui a un coût.  La promotion de la « contribution » reste faible et limitée face aux propagandistes du refus de l’impot. Et je pense que l’école devrait prendre sa part.

Léon_Bourgeois

Léon Bourgeois « père » de l’impot sur le revenu progressif

Bien sûr, en éducation civique, ou EMC, on aborde la question du paiement de l’impôt, mais cela reste marginal. Plus que jamais, je pense que c’est un devoir civique de montrer tout ce qui ne peut se faire sans cette participation des Français, même s’il ne s’agit pas forcément de la seule fiscalité nationale (mais aussi communale). Oui, les ordinateurs de l’école, la cantine qu’on paie très en dessous de son prix, les manuels, tout cela vient des contribuables.  Il est irritant aussi d’entendre dans les médias parler des Français qui « ne paient pas d’impôts » alors qu’il ne s’agit que de l’impôt sur le revenu qui rapporte beaucoup moins que la TVA, que chacun paie. Pour ma part, je l’ai indiqué plus d’une fois à mes élèves de collège. Au lycée, on peut aller plus loin, sans leçons de morale (notion soudainement disqualifiée quand il s’agit de gros sous par les mêmes qui n’arrêtent pas par ailleurs de donner justement des leçons de morale), mais de rappeler un des fondements de cette République sociale (qualificatif qui est dans notre Constitution). On peut faire des rappels historiques et saluer les efforts de ceux qui ont fini par imposer l’idée d’impot progressif, malgré les injures d’une droite conservatrice outrée.

Il serait sans doute judicieux d’évoquer des phénomènes comme ces révélations par la presse de scandales tellement plus importants que le vol de voitures qui fait la une du journal local et c’est aussi une occasion de mettre en avant le rôle décisif d’une presse libre dans un pays démocratique.

Enfin, j’ai l’impression qu’un aspect de cette affaire est peu souligné. L’argent qui s’enfuit dans les paradis fiscaux peut certes pour une entreprise d’avoir plus d’argent pour investir (et c’est encore un argument pour les avocats de ces tricheurs), mais la plupart du temps, elle permet surtout des dépenses somptuaires et écologiquement catastrophiques, entre hôtels de luxe avec piscine et air conditionné, collection de Rolls et jets privés.  Les paradis fiscaux participent d’une société qui nous entraine vers les pires désastres, entre ces téléphones portables que l’on jette si vite et ces pistes de ski construites dans le désert.

Si l’on ne montre pas combien tout cela est scandaleux, comment pourrait-on ensuite reprocher des tricheries aux élèves, les trafics ou les actes de petite nuagedélinquance ?  Comment lutter contre ce cynisme ambiant évoqué plus haut, justifié à coups de « on n’est pas dans le monde des bisounours » si on lui laisse le champ libre, si on ne défend pas la valeur du civisme, des devoirs qui s’imposent aux plus fortunés, qui sont bien loin de la logique « confiscatoire » qu’ils prétendent à l’œuvre en France. La montée du non-consentement à l’impôt est une menace grave contre la démocratie, les enseignants doivent être en première ligne pour le dénoncer, dès l’école primaire. Le livre de Noël dans les écoles n’est pas un « cadeau du Maire », mais bien une certaine utilisation des deniers publics. La place de spectacle que l’on paie si peu cher, c’est bien parce que l’argent public le permet. Et par ailleurs, même si c’est plus compliqué, il est indispensable de montrer combien les dépenses publiques permettent aussi aux entreprises de se développer, grâce aux réseaux de transport ou à la qualification des employés assurée en partie par l’Ecole. IL y a moyen de s’inspirer des théories de John Rawls ou de Amartya Sen pour traduire de façon simple les idées de redistribution et d’équité.

Oui, il faut réhabiliter, promouvoir, faire l’éloge des « contributions » j quand bien même on est critique sur le fonctionnement de la machine étatique, quand bien même on considère que la fiscalité reste injuste et inéquitable. C’est même parce qu’on respecte la loi que l’on peut se permettre les critiques…

Commentaire (1)

  1. Alain Santino

    Bonjour,
    Tout à fait d’accord avec vous. Il se trouve que je suis professeur en SES, discipline qui enseigne précisément tout cela. Il faudrait que les SES ne soient plus une discipline seulement réservée aux élèves d’une série du baccalauréat, mais qu’elle soit enseignée à toutes et à tous les élèves du lycée.
    Cordialement,
    Alain Santino

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