J’ai pu lire sur les réseaux sociaux que le ministre de l’Education nationale s’était indigné de l’interview de Luc Ferry sur BFM TV où ce dernier disait notamment : « Si on supprimait les 15% de quartiers pourris en France, avec des établissements dans lesquels il y a 98 nationalités, on n’arrive pas à faire cours, eh bien nous serions classés numéro 1 à PISA ».L’aurait-il considéré à juste titre comme indigne de quelqu’un qui fut son prédécesseur ?
Las, il s’agissait d’une nouvelle diffusée par un site parodique ! Le ministre n’a pas réagi, lui si prompt à fustiger ici l’écriture dite inclusive, là la « dénonciation d’un racisme d’Etat »par un syndicat d’enseignants (deux points sur lesquels j’ai un avis très critique qui peut rejoindre celui du ministre, mais certainement pas dans les mêmes termes, ni avec les mêmes arguments, mais c’est un autre sujet). Et pourtant, il s’agit là d’une vraie provocation de la part du « philosophe » (ou prétendument tel), à plusieurs titres. On se rappellera que l’arrivée de Luc Ferry à ce ministère fut pourtant saluée par nombre de pédagogues dont moi comme plutôt une heureuse surprise, aux lendemains de la réélection de Jacques Chirac, ,n’avait-il pas quelques bonnes idées qu’il avait développées avec un sens pédagogique indéniable notamment au sein du Conseil national des Programmes ? On a vite déchanté, pour en arriver aujourd’hui à ces lamentables réflexions…
Première aberration : l’idée que les difficultés scolaires se limiteraient aux banlieues et quartiers populaires des grandes villes, en oubliant ces élèves « invisibles » à la périphérie ou en zone rurale qui sont en échec lourd. Et qu’il y a un lien direct avec la nationalité, tant pis d’ailleurs si les élèves visés sont bien des cas des « français », fussent-ils d’origine étrangère. Plus grave encore peut-être est l’expression « quartiers pourris » qui me rappellent celle de « quartier poubelle » employée en 1989 par le principal qui déclencha l’affaire du voile de Creil, Ernest Chenière et qui enflamma le dit quartier, tandis qu’il était encensé par certains comme héraut de la laïcité. Voilà le genre de phrases que doivent apprécier les extrêmistes islamistes par exemple, car elles apporteraient la preuve d’un mépris des dirigeants et des élites de notre Occident décadent envers les populations en particulier musulmanes (car il y a un bien ce non-dit derrière).
Il y a eu de belles réactions, dont celle de mon amie Aurélie Gascon sur le Bondy Blog qui ‘s’indigne également d’une autre insanité proférée par l’ex-ministre comme quoi « dans ces quartiers », on ne peut pas faire cours…Pour ma part, j’ai aussi enseigné dans ce type d’habitat, notamment dans le collège d’Ernest Chenière évoqué plus haut et si les choses n’étaient pas toujours aisées, j’ai de très beaux souvenirs de projets, de séquences pédagogiques où tout se passait à merveille et je me souviens de l’étonnement devant le silence des couloirs et le calme (oui, ce jour-là, n’idéalisons pas) de la journaliste de France 2 venue tourner dans ma classe, un reportage (sous le ministère Ferry d’ailleurs !) Un peu auparavant, un reportage du magazine Strip-tease montrait une image très négative du même collège. On peut écrire des pages sur le contraste entre des jours enthousiasmants et d’autres démoralisants, loin du portrait caricatural d’un ministre qui passa un jour dans ma ville et dénigra le travail du site « la main à la pâte, suscitant l’agacement de Georges Charpak qui l’accompagnait…
Mais sur le fond, au-delà du langage brutal et violent de Ferry, que penser de l’analyse selon laquelle notre système marcherait bien s’il n’y avait ces élèves en difficulté ? C’est en partie vrai, même si les enquêtes PISA révèlent aussi une trop grande étroitesse de la frange des meilleurs élèves. Mais irait-on dire qu’un système de santé serait très bon si on enlevait les 15% les plus malades ? C’est justement de la responsabilité de ceux qui ont en charge le système de le penser en fonction des plus fragiles, car en s’occupant d’eux, on fait avancer l’ensemble. On sait par exemple que le travail en éducation prioritaire, ou celui sur les élèves souffrant d’un handicap stimule la créativité et l’imagination pédagogique et profite à tout le système. On se demande quelles conclusions on doit tirer de la petite phrase de Ferry : qu’il faut ne pas trop se préoccuper de ces 15% qui, à ses yeux peut-être, ralentiraient les autres ? Un bon usage des dispositifs de confinement ?
A peu près au même moment (26 novembre), Libération publie quatre pages sur l’école française et les pauvres. Et j’ai bien aimé la remarque si juste de Jean-Paul Delahaye, interviewé par Marie Piquemal : « Qu’un ministre touche à une demi-heure de cours des terminales S, les JT de 20 heures s’affolent. En revanche, les coupes drastiques dans les fonds sociaux, qui s’en émeut ? ». Et le journal de rappeler les actions de formation d’ATD Quart Monde pour inciter les enseignants à « changer de regard » sur la pauvreté. Des formations dont d’anciens ministres auraient bien besoin…
Reste qu’il faut sans doute éviter des pièges sur ce terrain.
Le premier serait ce qu’on pourrait appeler celui du misérabilisme (que combat d’ailleurs ATD), en renonçant aux ambitions pour les enfants de pauvres ou les enfants pauvres et à mener en même temps le combat pour leur assurer un maximum d’aides matérielles et les efforts pour leur offrir le meilleur enseignement. Cela ne passe pas forcément et en tout cas pas uniquement par le dédoublement en éducation prioritaire (où d’ailleurs beaucoup de ces enfants ne sont pas) ou des primes quand on va travailler en zone difficile, mais par exemple par une meilleure connaissances des familles populaires, par des partenariats avec l’environnement territorial , par une prise en compte des habitudes culturelles en « partant d’elles » au double sens du terme… Je renvoie de toutes façons au beau rapport rédigé justement à JP Delahaye où l’on rend compte de nombre d’initiatives prises dans toute la France pour aller dans ce sens. Il ne faut pas, selon moi, faire des questions matérielles un « préalable », mais à les inscrire dans un tout. Même s’il y a des situations d’urgence absolue, bien sûr.
L’autre piège serait de dédouaner l’école en accusant la société, « les autres » de ne pas bien faire leur travail. Le même Libé cité plus haut a tort d’écrire à la Une « les profs se démènent au quotidien, face à l’extrême misère de certains ». Non, pas « les » profs, mais de nombreux profs. D’autres aussi s’en lavent les mains. Le dossier des Cahiers pédagogiques « Ecole et milieux populaires » s’est infiniment moins vendu que « Neurosciences et pédagogie » ! Et par ailleurs, les anathèmes comme ceux de Luc Ferry ou donc les réductions des fonds sociaux de 2007 à 2012 ne mobilisent pas les foules, bien moins que lorsqu’il s’agit de défendre les classes bilangues ou les langues anciennes. Il arrive aussi que des acteurs de l’éducation, engagés dans des combats souvent remarquables contre la précarité de familles d’élèves qu’ils ont en charge, se montrent parfaitement conservateurs en matière scolaire ou se désintéressent du travail pédagogique quotidien qui est indispensable pour faire réussir ses élèves. Célestin Freinet pourfendait les militants d’après 17 heures qui ne s’intéressaient pas à ce qui se passait dans la classe ; et Catherine Chabrun, une des responsables de l’ICEM aujourd’hui, note que ceux qui s’engagent syndicalement, socialement « bloquent » parfosis ce qui pourrait faciliter ceux qui s’impliquent pédagogiquement. « la fameuse « égalité » de ce qu’on doit offrir à tous les élèves empêche sur le terrain l’autonomie de certaines équipes ou/et d’établissements pour articuler davantage le projet pédagogique et les besoins spécifiques des élèves. Je pense aussi à la lecture des réformes réduites le plus souvent à la seule défense de l’identité professionnelle comme par exemple les disciplines et le format des cours. »
Il faut encore le répéter. Non, l’école ne peut pas tout, mais elle peut beaucoup. Non, la pédagogie ne peut pas tout, mais elle peut plus qu’on ne le dit parfois pour excuser sa résignation ou justifier son inaction. La réponse à des Luc Ferry doit être multiforme. Le 22 avril 2003, je m’élevais déjà contre les positions défendues par celui-ci dans une tribune de Libération (« Gare à la logique binair ! ». Je me permets de citer mon souhait d’alors qui est toujours le même : « se préoccuper de ce qui est vraiment efficace, en prenant les élèves tels qu’ils sont, tels que l’école essaie de les changer avc son pouvoir limité, au milieu d’une société loin d’être favorable à ce changement ». Sans les 15% (hélas bien plus) d’intellectuels médiatiques qui tiennent des raisonnements pourris, l’école français marcherait mieux !
Merci pour cet article revigorant Jean-Michel …
Pour ma part j’apprécie particulièrement le dessin de Martin qui en dit tellement long dans sa simplicité et cette affirmation dans votre texte :
« On sait par exemple que le travail en éducation prioritaire, ou celui sur les élèves souffrant d’un handicap stimule la créativité et l’imagination pédagogique et profite à tout le système. »
Oh que oui !!! Oh que oui !!!
c@t
alain l.
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