En cette période de Noël où les crèches kitch côtoient les sapins en tous genres et où s’éloigne toujours plus le temps où des curés nous admonestaient de trop mélanger le profane et le sacré, « petit papa Noël » et « il est né le divin enfant », plusieurs faits ou déclarations nous font à nouveau réfléchir ce que peut être la laïcité aujourd’hui et en particulier concernant l’école.
Le président Macron a reçu les représentants des cultes (que des hommes, mais il n’y peut rien, le rabbin, ou la rabbin Delphine Horvilleur étant une exception) et a réaffirmé la distinction entre la République qui doit être laïque et la société qui ne l’est pas, ce qui est dans l’esprit libéral de la loi de séparation de l’Église et l’État. Réaffirmer que la distinction espace public/espace privé est loin d’être simple est aussi une bonne chose, à l’heure où son ministre de l’éducation nationale remet sur le tapis la question des mères accompagnatrices voilées considérées comme agents de service public, ce qui me semble aberrant quand on sait concrètement comment les choses se passent et qui n’ont rien à voir avec un quelconque prosélytisme. Pourtant, bien des esprits défenseurs purs et durs d’une laïcité conçue comme idéologie plus que comme principe juridique se sont déchaînés contre le président. Pour ma part, au milieu de bien des reproches que je pourrais faire à Emmanuel Macron (et en particulier sur la question des migrants ou de la politique fiscale), je suis rassuré par cette continuité d’avec ses déclarations durant la campagne électorale qui le démarquaient heureusement du laïcisme surtout anti-islamique de Fillon.
Je suis en revanche perplexe en entendant, suite à cette réunion, le même ministre de l’éducation nationale, qui était présent d’ailleurs, déclarer que le temps était peut-être venu de développer l’enseignement des religions. Ignore-t-il donc que l’enseignement non des religions mais du fait religieux est au programme depuis bien longtemps (voir le hors série des Cahiers pédagogiques à ce sujet, qui retrace l’historique de cet enseignement qui doit être interdisciplinaire)? Pourquoi ne pas reconnaitre la continuité d’avec ses prédécesseurs en la matière et l’inscription de cette indispensable rencontre que l’on trouve aussi bien dans le parcours artistique et culturel que dans les programmes d’histoire ou de français ou d’éducation morale et civique ?
Mais par ailleurs, on peut noter deux faits divers inquiétants, chacun dans son genre, qui ont à voir avec le sujet qui nous occupe, de façon indirecte.
Dans un collège de l’arrière-pays niçois, la marchandise frelatée qui ose prendre le nom de laïcité a été brandie par des sites d’extrême-droite (dont j’ai découvert à cette occasion les noms baroques comme « démocratie participative », l’un des plus ignobles !- et je me garde bien de donner des liens !) pour dénoncer l’inscription d’une poésie arabe chantée lors d’un répertoire musical en classe de cinquième, reprenant des protestations de parents (minoritaires). A vrai dire, ce lamentable incident, dont parle ici un enseignant du collège, a en principe peu à voir avec la religion, d’autant que le poème en question vient de ce moment de tolérance et d’ouverture qu’a pu pendant quelques années l’Andalousie arabe et qu’il vante l’amour, qu’il a été chanté aussi en hébreu et par la grande chanteuse libanaise Fayruz (chrétienne). Mais l’amalgame arabe=islam=islamisme se répand vite sur les réseaux sociaux et plonge les acteurs concernés dans la consternation, avec un relatif silence des autorités de l’éducation nationale. Ici ou là, des projets existent pour mettre en avant les périodes de rencontres entre civilisations (dont les religions sont une composante), le danger serait l’auto-censure et la crainte de se voir attaqué à la fois par les faussaires de la laïcité et par ceux qu’on pourrait appeler « fondamentalistes » de la laïcité sans doute à tort puisqu’ils ne respectent pas en réalité les fondamentaux des grandes figures de la laïcité française (Ferry, Briand, Jaurès). L’initiative d’ouverture culturelle de cette enseignante de musique allait tout à fait dans le développement du respect mutuel, interculturel, et cela dérange les identitaires de tous bords.
Un autre fait divers sur lequel je m’exprime avec prudence, ne connaissant pas l’affaire autrement que par des articles de presse : des enseignants d’une école primaire en Gironde avaient emmené leurs élèves voir un dessin animé, la veille des vacances, L’Etoile de Noël qui au lieu d’être une simple histoire d’animaux racontait surtout la Nativité. Voyant cela, les enseignants ont interrompu le film et ramené les élèves dans leur école. Outre le fait qu’il est peu professionnel d’emmener des élèves voir un film sans se renseigner davantage sur son contenu (il suffit de voir par exemple le lien : https://fr.aleteia.org/2017/11/12/letoile-de-noel-un-cadeau-en-dessin-anime/ pour en savoir un peu plus, ne peut-on contester la brutalité d’une interruption, les risques d’incompréhension de la part de beaucoup d’élèves, alors même qu’il aurait été bien plus fructueux de discuter du contenu, en triant entre croyances et réalité avérée, en montrant la signification de ce mythe chrétien (non sans résonance avec certaines situations dramatiques d’aujourd’hui)… ? Il faudrait en savoir plus sur ce qui s’est dit, mais il y aura certainement eu des carences d’explication en amont, où on aurait peut-être alors évoqué une histoire qui ne signifie pas la même chose selon qu’elle reste une belle histoire ou qu’elle est fondatrice d’une religion. Pour ma part, totalement incroyant depuis bien longtemps, j’ai toujours eu le souci auprès de mes élèves de leur permettre de décoder en particulier le christianisme et me suis réjoui quand j’ai vu que la Bible entrait au programme et que des manuels contenaient des extraits des Évangiles (le bon Samaritain par exemple ou le plus singulier Fils prodigue à l’interprétation complexe). Tant pis s’il existe encore des adeptes d’une « laïcité de combat » qui hier interdisaient la présence des éditions Bayard dans les écoles et aujourd’hui ne savent pas distinguer les situations et les contextes et donnent un brevet de laïcité à madame Le Pen comme l’a fait honteusement Elisabeth Badinter il y a quelques années.
Il y a peu, intervenant à La Réunion sur la laïcité et les valeurs de la République, en particulier à l’ESPE, j’ai au écho des ravages d’une conception autoritaire et surplombante de la laïcité incapable de s’adapter aux situations locales (de la part de certains responsables institutionnels) dans un département où règne la tolérance entre religions, et alors même que certains groupes extrémistes tentent de s’implanter et ne peuvent que se réjouir de positions « dures » qui choquent inconsidérément quand il faut procéder avec finesse et ce « tact » dont parle Erik Prairat.
Attention, je précise cependant que :
- je considère que les religions, avec leurs interdits et leurs hypocrisies fréquentes, sont souvent des empêcheuses de vivre une vie libre et épanouie, surtout quand elles ne sont pas minoritaires et qu’elles ont du pouvoir (la Pologne ou l’Irlande en témoignent côté chrétien, les exemples islamiques étant innombrables)
- il n’est pas admissible de transiger sur les programmes scolaires, y compris l’apprentissage de la natation ou la présentation des images de nus antiques en Histoire des arts ; mais on peut aussi argumenter et expliquer sans coups de mentons qui ne servent à rien
- la laïcité est un bien plus que précieux, mais elle reste un principe d’organisation et non une valeur proprement dite. Pour autant elle a « de la valeur », ce n’est pas la même chose.
Reste qu’il faut gérer la complexité. Considérer comme normal juridiquement que des femmes portent un voile dans l’espace public hors école n’est pas forcément la même chose que banaliser ce qui n’est pas qu’une tenue vestimentaire, mais reste un symbole d’infériorisation et d’enfermement des femmes. Et si le créationnisme ou l’instauration de règles internes de « hallal » au sein de groupes sociaux ne me font pas plus plaisir que l’astrologie ou les croyances dans les vertus de fausses médecines, ils ont droit de cité, même si ça ne nous plait pas. Reste à définir ce qui est de l’ordre de la conviction intime et ce qui risque d’être propagande parfois à la limite de la Loi, à distinguer clairement espace public/espace privé –aux frontières floues- ou à savoir comment parler des religions à l’école, en partant de cas concrets qu’il faut résoudre positivement, en se référant davantage à l’éthique de la responsabilité qu’à celle de la conviction.
Mais surtout, je crois fermement qu’il existe une autre voie que l’intransigeance inefficace ou que la complaisance dangereuse, et la laïcité bien comprise nous guide pour trouver les bonnes réponses, et à défaut les moins mauvaises. La laïcité, telle que la définit Jaurès comme se confondant avec la démocratie : « elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. » (Discours de juillet 1904 à Castres). Et Fernand Buisson, dans le Dictionnaire de pédagogie concluait un long article consacré à la laïcité par ces mots : « tout en faisant respecter la loi, la faire comprendre et la faire aimer.