Enseigner au XXI siècle

C’est si tentant la démagogie !

« L’affaire du prédicat était symptomatique d’une école coupée des parents et méprisant la formation qu’ils avaient pu recevoir. » Cette phrase prononcée devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale par la nouvelle présidente du Conseil supérieur des programmes, Souad Ayada, ne manque pas d’étonner de la part d’une intellectuelle et philosophe. Au-delà de la question très technique de la pertinence ou pas de la notion de « prédicat » (et qui aurait dû rester une notion technique, de second ordre), ne peut-on lire là toute une conception de l’école qui ne devrait pas heurter le sens commun, qui devrait respecter les habitudes des familles et surtout pas les « choquer ». Par ailleurs, Souad Ayada fait l’éloge de l’esprit critique, par exemple appliqué aux religions, ce dont on ne peut que l’approuver. Mais j’ai appris, en terminale, il y a bien longtemps, que l’un des fondements de la philosophie était de secouer les préjugés. Ma première dissertation en terminale avait pour sujet « penser, c’est perdre le fil ». On peut étendre cela à bien d’autres domaines que celui de la philosophie. Oui, en SVT, on va sans doute heurter des conceptions venues du fond des âges en matière de sexualité notamment. Oui, en Histoire, on va remettre en cause des idées toutes faites sur le Moyen Age ou la colonisation et montrer la face grise de toute période contre aussi bien le « roman national » que la diabolisation. Oui, en français, on va aborder des œuvres qui pourront déranger … Et on usera d’un vocabulaire spécialisé qui troublera moins les élèves, pour qui « article » n’est pas plus clair que « déterminant » (bien au contraire) que les parents nostalgiques d’un bon vieux temps fantasmé. Pas sûr d’ailleurs que ces mêmes parents se débrouillent si bien stop-dc3a9magogieavec le lexique grammatical plus « traditionnel ».

Ne pas respecter l’ordre immuable des choses ou l’immobilisme érigé en dogme, est-ce pour autant mépriser ? Bien évidemment, il faut faire preuve de ce fameux « tact » dont parle Erik Prairat. Et n’introduire de changements par exemple de lexique que lorsque c’est nécessaire.  Pour ma part, j’ai toujours essayé de faire la part des choses. Ainsi, utiliser « adjuvant » au lieu de « aide », introduire des notions telles que « thème » et « rhème », concepts intéressants mais qui ne sont utiles qu’opérationnalisés dans une phase d’écriture qui met en éclairage tantôt l’un tantôt l’autre dans une phrase selon l’effet recherché. En revanche, quand il est utile d’employer certains mots, avec les élèves, il ne faut pas hésiter. En n’oubliant pas que des expressions comme « complément d’objet direct » sont au moins aussi barbares que « prédicat », notion toute sauf nouvelle et qui est d’usage dans d’autres pays francophones. Mais me dira-t-on, pourquoi dois-je ainsi argumenter de façon rationnelle alors que cette affaire du « prédicat » est une pure manipulation de certains organes de presse dont la baisse de niveau, elle, est indéniable?

ob_1d7820_demagogie-2L’école doit se rapprocher des parents, elle doit expliquer et expliciter ce qui y est fait. C’est d’abord cela ne pas mépriser les parents. Et je me suis toujours battu pour cela. J’ai ainsi souvent donné aux parents de mes classes un document en début d’année rendant compte de ce qu’on allait travailler au cours des prochains mois. J’ai toujours veillé à un langage compréhensible en rédigeant les bulletins scolaires. J’ai donné des fiches de « conseils » en étant le plus concret possible (ce qui veut dire être très technique et ne pas se contenter de « il faut écouter en classe », ou « il faut faire ses devoirs en arrivant à la maison »). J’ai fait travailler l’écriture de courriers aux parents lors de formations (pour présenter le socle commun, ou une évaluation non basée sur des notes, ou un dispositif d’aide aux devoirs…) Mais pas au prix de concessions sur le plan de la rigueur des contenus et du choix des mots avec les arton3088élèves (l’important était que eux comprennent, plus que leurs parents). Sinon, on est dans la démagogie et la vaine flatterie. Lorsque j’ai participé au groupe qui a fait des propositions pour le nouveau programme curriculaire, j’ai déploré  que le ministère continue à défendre l’idée illusoire que les programmes scolaires puissent être compris par tous les usagers, sous leur forme unique. Je pense que cela aurait été un beau défi que de rédiger les « programmes pour les nuls » (pas de mépris dans cette expression qui a pris un tout autre sens depuis le développement de la célèbre collection).Il y a un langage pour professionnels, et encore faut-il distinguer ce qui doit alors être bien compris par tous les professeurs (par exemple le volet 1 des programmes, et tout ce qui est transversal) et ce qui ne l’est que par la discipline, (et ce n’est pas scandaleux). Un professeur de français sait très bien  ce que sont le point de vue interne, externe et omniscient dans un récit. Cela ne signifie pas qu’on va forcément l’enseigner tel que, mais qu’on va utiliser ces notions pour mieux saisir le rôle du narrateur dans un récit, en réception comme en production. On a ironisé sur certains mots des programmes d’EPS. Il est vrai que les didacticiens de cette discipline se laissent parfois aller vers un langage trop technique, ce n’est absolument pas nouveau. Rappelons que « référentiel bondissant » est une légende urbaine et que des expressions employées dans les programmes de 2016  sont compréhensibles par des professionnels, même si on pouvait être parfois plus simple. On oublie l’essentiel : l’évolution des pratiques dans cette discipline bien plus formatrice qu’il y a 30 ou 40 ans.

A vrai dire, à la nomination de madame Ayada, (dont j’admire le parcours, mais là n’est pas la question), j’ai cherché des écrits d’elle sur internet. Je suis tombé sur des textes vraiment incompréhensibles sur le soufisme et la culture islamique. Loin de moi alors d’ironiser ou de fustiger le jargon. Je mesurai surtout mon incompétence en la matière. Bien sûr, elle ne s’adressait pas à des familles. Mais justement, il y a un langage technique spécialisé qui peut et doit, de façon raisonnable et mesurée, être employé. « Prédicat » comme offense aux familles, quand même il fallait le faire ! Est-ce vraiment digne d’une philosophe dont on attend mieux ? On dirait aujourd’hui que les questions de langue française, de grammaire et d’orthographe, jouent le même rôle que les partis pris idéologico-politiques autrefois, elles rendent aveugles ou sourds certains intellectuels, quand ils sont de bonne foi. Et si on pouvait discuter sereinement, sans anathèmes ? Décidemment, me voilà bien naïf ?

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