Trop d’élèves musulmans contestent certains contenus de cours et remettent en cause la laïcité. Bien des élèves ne sont pas à leur place au collège, mais on les fait passer de classe en classe au nom de l’égalité et de la bienveillance. Inclure les élèves handicapés (pardon, « en situation de handicap ») dans les classes ordinaires, c’est généreux, mais dans bien des cas, ça ne profite à personne et cela s’avère trop compliqué pour les enseignants. Il y a trop de laxisme à l’école, il règne trop souvent un « anarchisme pédagogique », où chacun fait ce qu’il veut, certains oubliant qu’ils sont fonctionnaires d’État.
On pourrait multiplier ce genre d’affirmations et de déplorations qui ont en commun de se vouloir en opposition au « politiquement correct ». Or, cette expression mérite pour le moins d’être interrogé. D’une part, parce qu’elle bâtit son contraire pour se donner le beau rôle en s’enfermant volontairement dans une pensée binaire, comme je l’ai développé précédemment. D’autre part, parce qu’elle repose souvent sur un prétendu bon sens, ennemi principal de la pensée complexe et nuancée et qui serait l’arme majeure de lutte contre ce « politiquement correct », parfois appelé « bienpensance » dans des glissements progressifs vers la droite.
SI on reprend les affirmations ci-dessus, on pourrait montrer que si elles peuvent partiellement souligner un aspect de la réalité, elles restent superficielles, mais surtout que les discuter ne revient pas nécessairement à ce « politiquement correct » dénoncé si facilement chez les autres.
Il ne s’agit pas de nier certains comportements inadmissibles d’élèves au nom d’une religion, mais de les analyser avec calme et raison et de trouver des réponses adéquates. (Voir un précédent billet à ce sujet). La question des élèves en difficulté au collège ne peut être balayée d’une main et la suppression du redoublement par exemple n’est pas une solution en soi, il faut bâtir des alternatives, développer la pédagogie différenciée, et ne pas rejeter à priori des dispositifs d’aide spécifiques ou de regroupements provisoires, dès lors qu’ils ne concernent qu’un nombre restreint d’élèves, dans une réflexion d’ensemble sur la réussite scolaire. On peut évacuer trop vite la difficulté d’inclusion de tous les élèves, surtout quand les moyens en AVS par exemple s’avèrent insuffisants et on a parfaitement le droit de s’interroger là-dessus. Les contempteurs du politiquement correct font d’ailleurs très souvent semblant de laisser penser que certains débats sont « interdits » alors même qu’ils remplissent les colonnes des médias et envahissent les ondes ! Quant au respect de normes institutionnelles par les enseignants, il faut parvenir à faire le tri entre ce qui est vraiment obligatoire et les marges de manœuvre. Mais les mêmes qui s’opposent un jour à des programmes ou des dispositifs qu’ils jugent contraire au « bien commun », peuvent fustiger le lendemain ceux qui n’appliquent pas d’autres dispositions, plus conformes à leurs vœux.

Le roman La tache du grand Philip Roth décrit les ravages d’un certain « politiquement correct » aux USA.
L’expression « politiquement correct » vient des campus américains. Il est vrai qu’on peut être choqué par certains phénomènes, lorsqu’on empêche de parler certains intervenants au nom par exemple de l’ « anti-impérialisme », lorsqu’on veut proscrire des œuvres littéraires jugées « racistes » ou « sexistes » (y compris Shakespeare) ou les transformer (le changement de fin de Carmen récemment en Italie). En France, dans certains milieux, affirmer qu’on peut condamner la répression sanglante de l’armée israélienne contre des manifestants tout en émettant des doutes sur le caractère pacifique de ces manifestations impliquant le Hamas dont on peut ne pas partager l’idéologie (litote !) vous met tout de suite dans le camp des soutiens au « sionisme » en oubliant le premier point qui est l’essentiel. A l’inverse, ne risque-t-on pas l’accusation d’antisémitisme quand on se permet de critiquer l’évolution désastreuse de l’État et de la société israélienne. Et on pourrait multiplier les exemples. Pour en prendre certains plus en phase avec le thème de l’éducation, dire qu’on condamne les dégradations des locaux universitaires récemment vous range dans les ennemis des contestations étudiantes et dans les rangs des défenseurs de la sélection à l’université. S’interroger sur la pertinence ou non de mesures proposées dans le vadémécum sur la laïcité récemment paru (que faire face à certaines tenues, pas si anodines que cela, comment gérer certains comportements ou pressions sur d’autres élèves au nom du « religieusement correct »), avouer qu’on n’a pas de solution toute prête, cela peut déplaire aux deux extrêmes : les ayatollahs d’une pseudo-laïcité comme ceux qui banalisent les questions voire défendent à tout prix la « différence ».
En fait, tout le monde à un moment donné peut tomber dans le conformisme de groupe, terme que je préfère à « politiquement correct ». On parle aussi de « pensée unique » : certes, à condition qu’il y ait …plusieurs pensées uniques. Rigidité de ceux qui défendent à tout prix la politique ministérielle actuelle et classent les opposants parmi les esprits chagrins et destructeurs. Mais aussi de ceux qui font des procès d’intention, et par exemple ne font aucune différence entre la politique gouvernementale actuelle et celle qui était annoncée avec François Fillon par exemple. Récemment, lors d’une rencontre pédagogique, un collègue affirmait que le ministre actuel appliquait la politique du Front national. Nuance et complexité, où êtes-vous passées ? Le conformisme intellectuel aime les avis tranchés, « choisis ton camp, camarade ! »
Bien sûr, on ne peut pas se réfugier à l’excès dans la nuance et on sait les pièges du « en même temps » érigé en slogan opportuniste. Mais il faut sans doute adopter le plus possible le point de vue scientifique : savoir affronter les opinions contraires, savoir écouter les arguments des adversaires, distinguer ce qui est en jeu : des faits, des interprétations de faits, des valeurs ? La réponse n’est pas la même à chaque fois. On sait qu’en science, une théorie est vraie lorsqu’elle résiste aux objections. La caractéristique du charlatanisme, comme le paranormal, est de refuser cette confrontation : il s’agit de conceptions « irréfutables » puisque ne s’inscrivant pas dans l’ordre du « réfutable » (voir le principe de « falsabilité » de Popper, qui, lui-même, peut être soumis à la critique).
. Dans la réalité quotidienne, il faut bien pourtant affirmer quelques convictions, ne pas en rester au doute qui mène au scepticisme et à l’inaction. J’invite les lecteurs à consulter cette vidéo très éclairante sur le site « Hygiène mentale » qui permet d’y voir plus clair entre nécessaire confiance dans les savoirs et les expertises et non moins nécessaire doute, y compris lorsqu’il s’agit de faits « qui vont dans notre sens ».
Pour reprendre les exemples cités au début de ce billet :
- le débat autour de comment réagir face aux contestations anti-scientifiques au nom de la religion ne remet pas en cause la nécessité de « réagir », mais en trouvant la bonne voie (ce qui implique un travail en amont, dans la formation notamment)
- les difficultés du collège dit « unique » ne remettent pas en cause sa nécessité, qui va dans le sens du progrès et de l’efficacité à long terme. La réforme du collège 2016 permettait justement de mieux gérer ces difficultés : son détricotage actuel est à cet égard catastrophique
- l’école inclusive demeure un objectif essentiel, mais les voies pour y parvenir ne sont pas « royales ». C’est un défi, il ne faut pas nier qu’il demande beaucoup aux acteurs, mais il est aussi puissant et peut être mobilisateur.
- la question de la « liberté pédagogique » et des marges de manœuvre des acteurs est difficile et il faut se méfier d’argumentations tordues qui justifient ce principe comme des injonctions abusives.

un exemple d’anti-pédagogiquement correct », le stimulant ouvrage de mon ami André Tricot qui sait interpeller ceux qu’il aime bien!
Oui, il existe une attitude fermée aux critiques, fermée au débat, qui bâtit des orthodoxies, interdit les blasphèmes dans un sens métaphorique et non religieux, qui érige des totems et énonce des tabous, qui rejette dans « l’autre camp » ceux qui peuvent être dans le doute. Ceux qui justement savent écouter les avis des autres, y compris en reconnaissant le bien fondé de certains de leurs arguments, perturbent les tenants des orthodoxies de tous bords. Ainsi, Philippe Meirieu pointant les risques de « morgue » prétentieuse chez certains issus des mouvements pédagogiques, le chercheur André Tricot interpellant les innovations et le simplisme de leurs évaluations. Ou Roland Goigoux refusant une opposition manichéenne entre tenants de la méthode syllabique et les autres.
Mais attention, tout cela a une limite. On peut refuser de débattre au nom des valeurs humanistes avec un négationniste, un partisan déclaré du racisme ou un ennemi de l’égalité entre hommes et femmes. Tout dépend des circonstances et de l’opportunité ou non d’un échange, pour ne pas lasser le champ libre par exemple à ces opinions nauséabondes. La lutte contre l’attitude conformiste repose malgré tout sur un fond solide de convictions profondes qui donnent du sens à nos pensées et nos attitudes.